Les membres du kibboutz Reïm reviennent peu à peu chez eux, la plupart sans se sentir en sécurité
Près de 80 terroristes du Hamas ont envahi le kibboutz le 7 octobre, tué sept personnes et fait quatre otages. De retour, la famille d'un adolescent assassiné dit simplement être revenue "chez elle"
Il y a de cela deux ans, Noam et Yoed Mash quittaient la ville surpeuplée de Ramat Gan et emménageaient avec leurs deux jeunes filles dans le kibboutz Reïm, non loin de la frontière avec Gaza, dans le sud d’Israël.
« Nous avons adoré la région, nous voulions que les filles grandissent dans un kibboutz et nous cherchions une communauté », se souvient Noam, 36 ans, art-thérapeute. « Nous avons fait beaucoup de recherches avant d’arriver ici. »
Leur vie a volé en éclats le 7 octobre, lorsque près de 80 terroristes du Hamas ont envahi le kibboutz, assassiné sept personnes et enlevé quatre otages. Ces derniers ont été libérés en novembre dernier. Douze membres de l’armée israélienne et de la police ont été tués lors des combats qui ont fait rage à Reïm, certains dans le quartier des Mash, terrés chez eux.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Ces terroristes font partie des milliers d’hommes armés qui ont franchi la frontière de Gaza, en ce samedi noir, avant d’exécuter pas moins de 1 200 personnes. Ils ont également enlevé 251 personnes dans l’enclave côtière – 97 d’entre elles s’y trouveraient toujours, certaines déjà mortes.
Il a fallu 10 heures à l’armée pour se rendre à Reïm.
Selon le secrétaire du kibboutz, Zohar Mizrahi, il était prévu qu’un plus grand nombre d’hommes armés prennent Reïm d’assaut, mais nombre d’entre eux sont allés en direction de la rave Supernova toute proche, où ils ont massacré 364 festivaliers.
La désormais tristement célèbre route 232, qui relie le kibboutz Reïm au monde extérieur, a été prise d’assaut par des hommes armés et transformée en un cimetière rempli de cadavres et de voitures incendiées.
La famille Mash a été évacuée avec le reste de la communauté vers un hôtel d’Eilat, puis vers deux immeubles dans le sud de Tel Aviv.
« Ça va un moment », se souvient Noam, assise sur le porche de sa maison temporaire à Reïm – la construction de leur maison définitive devait commencer cet été. « Mais progressivement, le bruit et la promiscuité vous pèsent. »
Yoed, qui faisait partie de l’équipe de sécurité du kibboutz, passait la semaine à Reïm dans le cadre de son service militaire de réserve.
« Les enfants lui en voulaient parce qu’il n’était pas là, et ils s’en prenaient à moi », poursuit Noam.
Elle ajoute : « Nous devions revenir cet hiver, mais nous avons décidé qu’il valait mieux le faire avant la rentrée scolaire. »
Yoed et Noam, qui est présidente du comité d’éducation du kibboutz, sont rentrés à Reïm fin août avec quelques familles ayant de jeunes enfants.
En plus de la piscine et de la supérette, le kibboutz a rouvert une crèche pour les enfants jusqu’à trois ans. Noam conduit Mila dans un jardin d’enfants situé au moshav Ein Habesor, et Dar a fait sa rentrée au cours préparatoire non loin du kibboutz Magen, dans l’une des trois écoles primaires régionales gérées par les autorités locales. Pour les déposer, il lui faut conduire entre 15 à 20 minutes en direction du sud.
« Nous en avons beaucoup parlé », se souvient Noam. « D’ici, on entend la guerre. Je me sens en sécurité à 90 % grâce à ce que Yoed me dit. Nous avons pris la décision, et je suis en paix avec ça. Quelque chose en moi s’est calmé. C’est un test. S’il n’est pas concluant, nous partirons. »
Rester à Tel Aviv
En revanche, Noa Ahrak et son mari Oran (tous deux âgés de 39 ans) et leurs trois enfants Dror (9 ans), Negev (7 ans) et Gefen (4 ans) ont choisi de rester à Tel Aviv.
« Le retour à Reïm se fait par étapes, lorsque les familles pensent que c’est le bon moment », explique Noa. « Nous sommes l’une des dernières communautés à ne pas être revenues [dans la zone frontalière de Gaza]. »
Elle estime à 70 % la part de la communauté – et la plupart des familles avec des enfants de trois à sept ans – qui se trouvaient à Tel Aviv et souligne qu’officiellement, le kibboutz se trouve toujours à un emplacement provisoire, avec le soutien financier de l’État.
L’administration Tekuma s’est engagée à fournir ce soutien jusqu’à fin décembre.
Les Ahrak, qui ont grandi dans la région frontalière de Gaza, ont emménagé à Reïm il y a de cela près de dix ans et sont membres du kibboutz depuis près de deux ans. Ils ont commencé à construire leur maison définitive en septembre 2023.
Oran, qui travaille normalement pour l’Autorité israélienne de la nature et des parcs et, comme Yoed, fait partie de l’équipe de sécurité du kibboutz, passe une partie de la semaine à Reïm. Noa, qui est avocate, exerçait à Beer Sheva, dans le sud du pays, jusqu’au 7 octobre : elle a pris les fonctions de responsable de la communauté du kibboutz à Tel Aviv en mars.
Elle explique que la communauté fonctionne toujours comme un kibboutz. Le bâtiment ancien restauré situé entre les deux immeubles d’habitation du complexe offre une salle de restaurant, une clinique, deux jardins d’enfants (dont l’un fréquenté par Gefen) et des bureaux.
Dror et Negev vont à pied à l’École pour la nature et la société, à côté, reviennent déjeuner et ont des activités jusqu’à 16 heures.
« Les enfants veulent retourner au kibboutz », dit-elle. « Nous leur avons dit que nous y retournerions, mais les écoles ne sont pas encore prêtes. Ils ne sont pas mal ici, mais ils se sentent en transit. »
Elle souligne que ses aînés sont dans la même classe avec les mêmes professeurs et qu’il leur a semblé « naturel » qu’ils continuent là, plutôt que de les transférer dans une école près de Reïm nouvellement installée, de surcroit dans un kibboutz pas encore remis en état.
« Revenir chez nous, avec leur père, est sans doute plus important que de terminer l’année scolaire ici », poursuit Noa. « Je ne dis pas que nous ne reviendrons pas en janvier, mais nous avons besoin de routine, de stabilité et de sécurité. Nous avons besoin que l’État tienne ses engagements de base pour que nous puisssions nous en remettre et reconstruire le kibboutz comme il était.
Un impact de balle dans la fenêtre
L’autorité de Tekuma a indiqué que les communautés étaient libres de fixer leur processus de reconstruction comme bon leur semblait, sur fonds publics.
À cause des combats qui ont fait rage le 7 octobre, « nous avons un impact de balle dans une fenêtre et une porte cassée », poursuit Noa.
« C’est un peu partout comme ça dans le kibboutz. Je pensais que les choses seraient différentes maintenant. Il y a un fossé entre les énormes budgets évoqués par le gouvernement au début et ce qui se passe sur le terrain », dit-elle. « Ils ont mis un an à recenser et estimer les dégâts, avant de s’écharper à propos des chiffres. La bureaucratie qui règne dans les ministères fait qu’il est difficile d’apporter des réponses sûres à la communauté. »
Le kibboutz Reïm a proposé un projet de remise en état actuellement en cours d’examen, explique l’autorité par voie de communiqué.
Il poursuit : « Nous travaillons avec le kibboutz pour faire en sorte que soient respectés les calendriers et que les habitants puissent revenir d’ici la fin 2024, en établissant des priorités entre les travaux dans le projet de remise en état. »
L’autorité ajoute avoir autorisé les « travaux essentiels et urgents » avant même l’approbation officielle du projet de remise en état de façon à accélérer les choses.
« C’est chez moi »
La plupart des rapatriés ont des collégiens et des lycéens qui ont fait leur rentrée à l’école du coin, estimant qu’il était important pour eux d’être avec leurs amis d’autres localités de la région.
Parmi eux se trouve la famille Gabay, dont le fils, Amit, a été assassiné le 7 octobre dans le quartier des jeunes du kibboutz.
Dans la salle à manger du kibboutz, qui sert actuellement le déjeuner cinq fois par semaine, le père d’Amit, Noam, qui est né dans le kibboutz et fait partie de l’équipe de sécurité, dit comprendre que certains ne soient pas encore revenus.
« Il s’agit de se sentir en sécurité, et ils ne se sentent pas en sécurité », explique-t-il.
Le mois dernier, Noam Gabay a ramené sa femme, Adi, et leurs deux enfants, Ofri, 16 ans, et Omer, 7 ans.
« C’est chez nous », explique-t-il lorsqu’on lui demande pourquoi, ce à quoi il ajoute qu’Ofri voulait déjà revenir il y a de cela plusieurs mois, pour être avec ses amis.
Amit est inhumé dans le kibboutz. Sa maison a été démolie. Selon Zohar Mizrahi, il y a eu un consensus pour ne pas laisser les bâtiments endommagés comme mémoriaux.
A LIRE – Adi Gabay a perdu son fils aîné, Amit, le 7 octobre : « Je veux regarder vers l’avenir »
« Nous construirons notre mémorial », dit-elle.
Jusqu’au 7 octobre, ce sont pas moins de 435 personnes qui vivaient dans ce paradis fait de pelouses ombragées, d’arbres et de fleurs.
Une semaine après le massacre, les agriculteurs du kibboutz sont revenus (sans leurs travailleurs thaïlandais), et trois semaines plus tard, les deux usines ont rouvert. Les travailleurs passaient la semaine dans le kibboutz et retrouvaient leur famille le week-end.
Toutefois, quelques-uns des membres du kibboutz sont revenus parce qu’ils ne voulaient pas vivre à Tel Aviv.
Parmi eux, l’artiste Itamar Mizrachi, 25 ans, occupé à élaguer les arbres dans le jardin le jour de la venue du Times of Israel.
« L’herbe arrivait à ma hauteur », dit-il en riant. « Je suis couvert d’ampoules. »
Barbu et pieds nus, bardé de tatouages, Mizrachi a grandi à Reïm avant de partir travailler et voyager : il y est revenu en août 2023. Il a dans un premier temps été évacué à Eilat avec le reste de la communauté, mais, refusant de vivre à Tel Aviv, il est revenu au kibboutz en janvier pour garder la maison d’amis à lui.
Récemment, il a emménagé dans la maison de sa défunte grand-mère, Varda Harmati, assassinée le 7 octobre. Le jour de la venue du Times of Israel, il venait de terminer 12 « sessions » de création.
Il dort dans le lit de sa grand-mère et entrepose ses tableaux de grandes dimensions sur le sol du mamad dans lequel elle est morte.
Sur une table, des brins de sauge et de romarin destinés à être brûlés le soir, quand les amis viennent. « C’est pour chasser les mauvais esprits », explique-t-il.
Les murs sont couverts des œuvres d’Harmati. La maison n’a pas changé, ajoute Mizrahi.
Sans idée précise sur l’avenir, il confie : « Pour l’instant, je suis là et je crée. »
Mais il ajoute que son jeune frère Roi, actuellement à Tel Aviv, ne reviendra pas. Le 7 octobre, l’armée israélienne a bombardé les terroristes, cachés tout à côté de la pièce protégée dans laquelle il avait trouvé refuge.
Aujourd’hui remis de ses blessures, Roi a assisté aux funérailles de Harmati et à la petite fête donnée en l’honneur de ce qui aurait dû être son 82e anniversaire, mais, conclut Mizrahi, « c’est tout ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel