Les raisons pour lesquelles Miri Regev devrait aller voir ‘Foxtrot’
Le film récompensé de Samuel Maoz est sombre, pas toujours juste envers Israël et marqué par la contestation et par le désespoir. Notre ministre de la Culture en haïrait certaines parties, mais elle devrait aller le voir
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le film « Foxtrot » de Samuel Maoz – applaudi à l’étranger, honni par notre ministre de la Culture Mriri Regev – n’est pas toujours juste envers Israël.
Si un réalisateur non-israélien avait été l’auteur d’un film de fiction dont la scène pivot montre des soldats israéliens paniqués tuant accidentellement par balles des civils palestiniens entassés à bord d’une voiture à un point de contrôle puis enterrant littéralement les preuves, avec des responsables de l’armée israélienne se prêtant de manière absolue à cette dissimulation, un grand nombre d’entre nous aurions pu être indignés. Notre armée, l’armée de notre peuple, répéterions-nous, ne ferait jamais et ne pourrait jamais faire une telle chose.
Mais aucun non-Israélien n’aurait pu réaliser un film comme ‘Foxtrot’. Ce n’est pas une oeuvre d’Israël-bashing imaginée par un étranger. C’est bien la production furieuse, passionnée et perspicace d’un initié – et qui résonne de manière si puissante auprès des Israéliens, en effet, qu’en regarder certaines parties devient une véritable épreuve.
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La représentation de l’expérience apocalyptique que des milliers de parents israéliens ont vécue au cours des décennies – lorsqu’une sonnette est venue lacérer la sérénité d’un foyer et que l’armée s’est présentée pour annoncer la mort d’un enfant « dans l’exercice de son devoir » – est tellement insoutenable, tellement crue, qu’elle constitue presque une vision insupportable.
Rarement un réalisateur de fiction n’a été autant en mesure de capturer l’abjecte terreur, le déni que des générations successives de familles en Israël ont dû endurer de manière routinière, horrible, lorsque leurs enfants soldats se sont retrouvés quelque part, risquant leur vie pour garantir la survie de notre pays dans un environnement toxique.
Ces scènes, ces premières scènes du film, sont des aperçus dramatisés de cette réalité que, je l’imagine, de nombreux Israéliens – parmi lesquels, très certainement, notre ministre de la Culture – aimeraient montrer au monde entier, pour mieux comprendre le prix que nous versons continuellement pour simplement exister.
« Foxtrot » est un long-métrage admirablement filmé et teinté d’humour, mais sa vision est sombre. Du divertissement, dans l’acceptation traditionnelle du terme, il n’en est certainement pas. On pourrait qualifier « Foxtrot » de film dissident, vitupérant artistiquement contre les deuils sans fin et les tragédies de notre présence ici. Mais plutôt que de blâmer explicitement ou même implicitement les gouvernements israéliens pour cette danse de la mort, façon Foxtrot, qui nous ramène toujours au point de départ, Moaz – qui a été lui-même un artilleur durant la guerre du Liban en 1982 – n’offre que le seul désespoir.
Non, « Foxtrot » n’est pas toujours juste envers Israël. Cette scène centrale de tirs et d’enterrement est moins surréaliste, et présentée de manière plutôt plus réaliste, que certains de ses défenseurs ont pu l’affirmer – mais elle dépeint une séquence d’événements qui est plus que difficile à concilier avec l’armée israélienne telle que nous la connaissons.
Dans une autre scène, l’une des plus puissantes également, qui se trouve elle aussi au début du film, les mêmes soldats au même point de contrôle forcent un couple arabe qui se rend à un mariage, élégamment vêtu, à sortir de sa voiture sous une pluie torrentielle. Cette scène est un exercice bref de condamnation muette de la part du réalisateur.
Alors que les parures se trempent, que les maquillages se figent, la caméra se fixe sur les expressions du couple. Déception, innocence blessée, amertume, humour désabusé momentané, et humiliation se succèdent. Une telle attitude désagréable et non nécessaire de la part des soldats israéliens n’est sans doute pas invraisemblable, mais telle qu’elle est dépeinte ici, elle défie même la logique interne de l’oeuvre. Ces soldats, à ce point de contrôle, n’auraient pas fait cela.
Mais c’est du cinéma. C’est de l’art. Il n’y a pas d’obligation de logique ou d’équité.
Et en tant qu’oeuvre cinématographique, en tant que création artistique, le film démontre le talent, le flair et l’intelligence israéliennes – des qualités dont nous pouvons nous enorgueillir. Il est également l’illustration du doute, de la douleur, de la frustration et de l’introspection des Israéliens – des attributs sans lesquels nous ne nous développerions pas.
« Foxtrot » peut s’attendre à recevoir plusieurs prix, mardi, lors des Ophirs israéliens – une cérémonie à laquelle Regev n’a pas été invitée. Le film pourrait également représenter Israël aux Oscars, ce qui ne manquera pas d’accroître encore la fureur de Regev, d’autant plus qu’un financement gouvernemental a aidé à le réaliser (aux côtés d’une douzaine d’autres financeurs).
La ministre, qui a décidé de changer la manière dont de tels fonds d’Etat sont alloués – « Ce qui était le cas n’est pas ce qui sera », a-t-elle déclaré samedi à la Deuxième chaîne – n’aurait pas, selon des informations, vu un film qu’elle a pourtant qualifié « d’auto-flagellation, de coopération apportée au narratif anti-israélien ».
Si elle l’a vu – ce qu’elle aurait vraiment dû faire en tant que ministre de la Culture – elle peut avoir été surprise de découvrir combien l’oeuvre reflète effectivement certaines des réalités les plus terre à terre du service militaire israélien, qui lui est si familier à elle, qui fut porte-parole de l’armée israélienne.
Il y a des parties du film qu’elle pourrait haïr, c’est certain. Il n’y en a pas beaucoup dans le film que j’ai assurément trouvées faciles ou plaisantes à regarder. Mais nous devons vraiment faire nôtre cette idée que ce ne sont que les sociétés fragiles et cassantes – et non les robustes – qui ne peuvent tolérer la critique productive.
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