Les réflexions d’un professeur de la Faculté de médecine de Columbia, par ailleurs poète, sur les morts du 7 octobre
Dans « A Prayer of Six Wings », le psychiatre Owen Lewis s'attaque aux traumatismes causés par les atrocités du Hamas

Le poète Owen Lewis, professeur de psychiatrie à l’Université Columbia, est bien placé pour savoir qu’en cas de traumatisme, il faut faire face à ce qui s’est passé pour le surmonter.
Face aux traumatismes causés par le pogrom du groupe terroriste du Hamas, le 7 octobre, et les actes anti-Israël qui s’en sont suivis autour du campus de l’Université Columbia et dans le quartier de Manhattan, Lewis a fait face en écrivant un livre de poésie, « A Prayer for Six Wings » (Dos Madras Press).
« J’ai eu l’impression d’être traversé par ce livre », confie Lewis, de passage à Tel Aviv pour voir sa cadette et les siens.
Le livre commence par « My Partisan Grief, SuperNova », une élégie de Lewis aux jeunes festivaliers massacrés par les terroristes du Hamas dans la rave du désert, Nova.
These are my cousins.
I don’t know them, These
my sons, daughters, young lovers
and friends. I don’t know them.
Their music fills the desert sky.
They dance to wed the Negev night.
[NDLT :
Ce sont mes cousins.
Je ne les connais pas, mes fils,
filles, jeunes amoureux et amis.
Je ne les connais pas.
Leur musique emplit le ciel du désert.
Ils dansent pour épouser la nuit du Neguev.]

Lewis se trouvait à New York le 7 octobre 2023, lorsque les premières nouvelles de l’attaque terroriste du Hamas ont commencé à filtrer.
Sa femme a su que l’un de ses cousins se trouvait au festival Nova, sans plus de détails, dans les tout premiers temps.
Lewis a lu des articles sur Oded et Yocheved Lifshitz, pris en otage dans le kibboutz Nir Oz, et s’est rappelé à ce moment-là que son père, qui s’appelait Lifshitz et venait de Minsk, avait changé son nom en Lewis une fois arrivé en Amérique.
Et c’est ainsi qu’il a écrit un poème, intitulé « Yocheved Lifshitz, 85 ans, libérée par le Hamas, selon le New York Times, le 24 octobre 2023 »
Excuse me for stepping into
your story but your married name
I couldn’t ignore. My namesake
Oscar Lifshitz, came from Kurjenoff,
near Minsk. We might’ve asked Oded.
your husband, if we’re related, but he’s
still in the captor’s underworld.
[NDLT :
Excusez-moi de m’immiscer dans
votre histoire, mais votre nom d’épouse
M’a interpelé. Mon Oscar Lifshitz
venait de Kurjenoff, près de Minsk. Nous aurions pu demander à Oded.
Votre mari, si nous sommes apparentés, mais il est
toujours aux mains des ravisseurs.]
Le corps de Lifshitz a été relâché par le Hamas dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu le mois dernier.

Dans « At-Home Coliseum, New York », Lewis parle de Noa Argamani dont l’appel à l’aide a été enregistré au moment où elle était prise en otage et hissée sur une moto, la main tendue vers son petit ami, Avinatan Or, que l’on emmène loin d’elle. Il y parle aussi de Noa Marciano, prise en otage et tuée en captivité, et de sa petite-fille, elle aussi prénommée Noa.
The tv’s looping on a 26 year old woman
named Noa as she’s thrown onto a motorbike
straddle. She reaches
into my living room.
[NDLT :
La télévision tourne en boucle sur une femme de 26 ans
nommée Noa que l’on jette sur une moto. Elle est
dans mon salon.]
À l’époque, Lewis, Juif américain né et élevé dans le New Jersey, se demande s’il peut décemment parler au nom des Israéliens – comme s’il faisait partie de la tragédie.
« Et puis je me suis dit : ‘C’est ma façon de vivre cette histoire. Ce n’est pas toute l’histoire. Mais j’en fais partie’ », explique Lewis.

C’était avant de faire l’expérience de l’ostracisme de la part de ses collègues écrivains et de l’antisémitisme dans les rues de l’Upper West Side. Il en a eu un avant-goût sur la 79e rue et à Broadway en voyant des gens déchirer les affiches d’otages placardées sur les vitrines d’un magasin vide. Un autre soir, Lewis et sa femme ont été menacés par un homme armé de ciseaux en train de déchirer des affiches d’otages.
« J’ai réalisé que la guerre se déroulait à un pâté de maisons de chez moi et à Gaza », explique-t-il. « Et le monde s’est rapidement retourné ; nous avons bénéficié de trois jours de sympathie. »
Il a vu des collègues poètes signer une pétition pour boycotter Israël et ne pas accepter de prix de PEN International parce qu’ils pensaient que l’organisation des écrivains ne prenait pas suffisamment position contre Israël.
« Ils sont tellement stupides », regrette Lewis. « S’ils s’étaient intéressés à l’art israélien, ils auraient vu et entendu les voix dissidentes. Ils ne voyaient pas les polémiques. Je me disais : « Qu’est-ce qui se passe, là ? »
Lewis n’a pas été victime d’antisémitisme ou de sentiment anti-Israël de la part de ses collègues de Columbia mais il parle du campement du printemps dernier qui a envahi un bâtiment et un secteur de l’université comme de quelque chose de « brutal ».
« Je ne pouvais pas ne pas voir des panneaux qui disaient ‘Renvoyez les Juifs en Pologne’ », confie Lewis, des mois plus tard à Jérusalem. « Pourquoi un panneau comme celui-là, ici ? Pourquoi pas à propos du génocide au Darfour ? Où étaient les gens quand la Syrie tuait ses habitants par milliers ? »
Lewis, qui a étudié à l’Université de Pennsylvanie puis à la Mount Sinai School of Medicine de New York, est devenu psychiatre pour avoir du temps avec ses patients.
Jeune homme, il écrivait et jouait du piano, et pendant une courte période a même envisagé de devenir romancier, mais s’est accroché à la médecine et est devenu professeur de psychiatrie. Il a contribué à la mise sur pied de services de lutte contre la maltraitance des enfants en Europe de l’Est et mis en place un programme similaire dans le système scolaire public de New York.
C’est il y a environ 17 ans, après avoir divorcé de sa première femme, que Lewis a écrit, surtout de la poésie.
Il a passé du temps à se perfectionner, à étudier la poésie avec plusieurs professeurs et à se plonger dans des sujets difficiles, comme l’overdose de son frère à 23 ans, le divorce et le remariage.

En sa qualité de professeur psychologie clinique, Lewis enseigne la médecine narrative au sein du département des sciences humaines médicales et de l’éthique, pour montrer aux médecins comment écouter, entendre et établir du lien.
La forme si particulière de la poésie, poursuit Lewis, permet à ses élèves de faire attention au non-dit.
Au moment de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre, sa cadette et ses proches se trouvaient à Tel Aviv. Elle est violoniste dans l’Orchestre de l’Opéra d’Israël et a épousé un Israélien. Leur vie en Israël est, en général, formidable, dit-il.
Il leur a demandé de revenir à New York après l’attaque du 7 octobre et ils l’ont fait, pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que l’orchestre reprenne ses concerts et qu’elle ait envie de rejouer pour la population israélienne. Ces douze derniers mois, Lewis, qui est un grand-père adorable, s’y est rendu à trois reprises.
Sa poésie est également le reflet de ces voyages, comme l’actualité qui se retrouve dans ses titres, des titres qu’il qualifie de « journalisme poétique ».
Il s’est également intéressé au chagrin des Palestiniens, notamment après avoir lu des poètes palestiniens qui parlaient de la guerre à Gaza.
« Tout n’est pas polémique, c’est magnifique, ils parlent de leur chagrin », explique-t-il tout en faisant en sorte de faire une place dans ses poèmes à leur version de l’histoire, sans rien taire de son identité de Juif, d’amoureux d’Israël et de visiteur régulier.
En rassemblant ses poèmes, bruts et émouvants, pour « A Prayer for Six Wings », son quatrième opus de poésie, il a pris conscience qu’en se penchant ainsi sur des choses qui l’avaient profondément touché, son lectorat serait probablement surtout juif.
Il assure ne pas s’inquiéter du succès ou non succès de son ouvrage dans le monde de la poésie. « J’ai le sentiment que ceux qui ont besoin d’entendre ces poèmes sont ceux qui ont vécu ce chagrin », conclut Lewis.
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