Les tactiques des opérateurs israéliens qui ciblent olim et personnes âgées
Les associations de consommateurs font état de nombreuses plaintes d’Israéliens qui disent avoir été volés, trompés, endettés ou même arrêtés à l'aéroport
En 1993, à l’âge de 24 ans, Rika Greenberg, d’origine danoise, a quitté Israël pour retourner au Danemark. Néanmoins, Greenberg, enseignante et professionnelle de la communication qui avait immigré en Israël avec sa famille quand elle était enfant, n’a jamais oublié ses racines juives et israéliennes. Elle a envoyé ses deux enfants, aujourd’hui âgés de 18 et 19 ans, dans des écoles juives et au mouvement de jeunesse du Bnei-Akiva. Leur éducation sioniste a été si efficace que la fille de Greenberg, âgée de 19 ans, a récemment décidé d’immigrer en Israël et de faire du volontariat au sein de l’armée. Mais quand Rika s’est rendue à l’ambassade d’Israël à Copenhague en février dernier pour renouveler son passeport israélien, elle a eu une surprise pour le moins désagréable.
« La secrétaire a retrouvé mon dossier dans le système informatique et m’a informé qu’elle ne pouvait pas renouveler mon passeport car une ordonnance m’interdisait de quitter Israël en raison d’une facture impayée émise en 1999 par l’opérateur téléphonique Bezeq », a-t-elle déclaré récemment depuis Copenhague lors d’une conversation téléphonique avec le Times of Israel.
« Si je me rends en Israël, je ne serais pas autorisée à sortir du pays parce que je suis censée devoir payer 16 000 shekels (3 814 €) à Bezeq. Alors que je ne vivais pas en Israël en 1999 et que je n’ai jamais eu de contrat avec Bezeq. »
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
C’est ainsi qu’a commencé la saga kafkaïenne longue de plusieurs mois de Greenberg. Durant cette période, elle a tenté de prouver non sans mal au gouvernement israélien, au bureau des dettes israélien – un organisme gouvernemental chargé de percevoir la somme – et à Bezeq qu’elle ne pouvait pas devoir à ces derniers 16 000 shekels étant donné qu’elle n’avait jamais eu de ligne téléphonique chez cet opérateur.
Elle a ainsi envoyé des documents aux trois organismes, leur prouvant qu’elle vivait au Danemark depuis 1993. Elle a réussi à obtenir la liste de ses enregistrements au ministère israélien de l’Intérieur, prouvant qu’en 1999, l’année durant laquelle la facture de téléphone a été émise, elle avait été absente du pays pendant six ans.
A un moment donné, un membre du personnel de l’ambassade d’Israël à Copenhague l’a prise à part et lui a conseillé, d’une manière bien intentionnée, de payer la facture afin d’en finir avec cette histoire.
« Mais je ne voulais pas. Je n’ai pas l’argent. Et payer serait comme admettre que j’ai fait quelque chose de criminel. »
Greenberg n’est pas la seule à s’être retrouvée dans cette situation. Entrer en conflit financier avec un opérateur téléphonique israélien est presque un rite de passage – surtout pour les nouveaux immigrants et les personnes âgées. Tapez le nom de n’importe quelle société de télécommunications israélienne dans la barre de recherche Facebook et vous tomberez sur une litanie de plaintes d’utilisateurs qui expliquent avoir été surfacturés, facturés par erreur, et même arrêtés à l’aéroport pour des factures concernant des services auxquels ils n’ont jamais souscrit.
Les experts affirment que le fait que cela se produise en Israël n’est pas un hasard : cela ferait en effet partie d’une culture d’entreprise appelée shitat hamatzliah (la méthode « on peut toujours essayer », littéralement la « méthode du succès ») dont se servent de nombreuses compagnies téléphoniques pour surcharger systématiquement leurs clients – si elles réussissent, tant mieux pour elles ; mais si elles font face à un refus catégorique de payer de la part des clients ou de leurs avocats, elles reculeront la plupart du temps.
Adi Graff, porte-parole d’Emun Hatzibur, une organisation israélienne des droits des consommateurs, a déclaré au Times of Israel que, si la saga Bezeq de Rika Greenberg était inhabituelle dans le sens où elle avait duré de nombreuses années, il ne s’agissait pas d’un cas isolé.
« Le gouffre entre les promesses et la réalité est un problème récurrent dans l’industrie cellulaire, a écrit son organisation dans un rapport publié en 2015. Malgré les mesures réglementaires visant à endiguer ce phénomène, il fait toujours l’objet de nombreuses plaintes, soulignant un grave problème dans cette industrie en ce qui concerne les accords entre les consommateurs et les entreprises. »
Le rapport poursuit en décrivant une pratique répandue consistant à induire le public en erreur en proposant des téléphones ou des tablettes gratuits lorsqu’ils souscrivent au service d’un opérateur de téléphonie cellulaire. La tablette n’est pas réellement gratuite : le client signe généralement un contrat long et dense sans le lire et s’appuie sur les conseils du vendeur.
Le rapport indique qu’à partir de 2015, Pelephone était le pire contrevenant lorsqu’il s’agissait de tromper les clients de cette manière. Il a également classé Pelephone comme le pire des principaux fournisseurs, avec une note de 2 sur 5, suivi de Cellcom (2,5), Golan Telecom (2,5), Hot Mobile (3) et Partner (3,5).
Tamar Nevo, responsable de la recherche pour Emun Hatzibur, a déclaré au Times of Israel que, malgré une légère amélioration du phénomène depuis son apparition en 2014, son organisation continuait de recevoir un flot continu de plaintes de la part de clients qui s’estimaient floués par leurs compagnies téléphoniques.
Selon elle, les personnes âgées et les nouveaux immigrants seraient les populations les plus susceptibles d’être victimes de ces méfaits.
En juillet 2015, le Comité spécial pour les pétitions publiques de la Knesset a tenu une séance consacrée aux « plaintes du public pour tromperie concernant la vente d’appareils par les compagnies de téléphonie cellulaire ».
Au cours de l’audience, plusieurs clients ont expliqué de quelle façon ils avaient reçu des appareils qu’ils pensaient gratuits et pour lesquels ils ont finalement été facturés.
Lors de cette même audience, Ido Rosenberg, porte-parole de Pelephone, a nié tout acte répréhensible.
« Contrairement à certaines affirmations, Pelephone n’incite pas ses représentants à tromper les clients. Mais je tiens à souligner qu’au-delà de ce que le vendeur dit au client, ce dernier signe un contrat [et doit respecter ses conditions]. »
Liat Cohen, porte-parole de Cellcom, a également déclaré que « comme les autres sociétés, nous n’avons pas de politique consistant à demander aux commerciaux de tromper les clients ».
Un porte-parole du ministère des Communications a déclaré au Times of Israel que la loi interdisait aux compagnies de téléphone d’induire les clients en erreur en leur affirmant verbalement une chose tandis que le contrat stipule le contraire. Toute personne qui estime avoir été victime d’un tel comportement doit contacter le service des plaintes du ministère des Communications. Si la plainte est jugée justifiée, le consommateur sera remboursé. Et si la plainte s’inscrit dans un schéma commercial qui vise à tromper les clients, l’entreprise sera condamnée à une amende.
Piégé par la dette
Les consommateurs se plaignent néanmoins du fait que ces lois de protection des consommateurs soient rarement appliquées tandis que toute dette impayée émise par les opérateurs est rigoureusement exigée par les avocats de la compagnie de téléphone, avec l’appui du bureau gouvernemental de l’Exécuteur de dettes.
En avril dernier, Ari Newman, producteur et romancier américain vivant à Jérusalem, s’apprêtait à partir en vacances quand il s’est fait arrêter à l’aéroport.
« Il y a un problème avec votre passeport », lui a-t-on indiqué peu avant son vol. Newman a été conduit dans une autre zone de l’aéroport où on l’a informé qu’un mandat avait été placé sur son passeport par l’exécuteur en raison d’une dette impayée de 12 000 shekels (2 880 €) à Pelephone, une compagnie de téléphone mobile appartenant à Bezeq, et qu’il ne pouvait pas quitter le pays sans l’avoir payée.
« J’ai mis fin à mon contrat avec Pelephone il y a trois ans et je n’ai jamais reçu de facture ou d’information m’indiquant qu’il y avait un problème. La première fois que j’ai découvert que je leur devais de l’argent, c’était à l’aéroport. »
Newman a été contraint d’annuler ses vacances et, dans les mois qui ont suivi, il a essayé, en vain, de recevoir une facture de Pelephone. Il a réussi à échanger avec un avocat de la compagnie – le même qui avait réclamé qu’une interdiction de voyager soit émise contre lui.
« Il ne m’a toujours pas envoyé de facture. Quand j’en ai demandé une, il a simplement répondu : ‘Si vous ne payez pas, vous ne pourrez pas quitter le pays.’ »
Selon le dernier rapport annuel de l’Autorité de recouvrement des créances, un adulte israélien sur sept – soit 709 000 personnes – disposerait d’un dossier ouvert auprès des autorités israéliennes pour le recouvrement d’une dette.
Au total, 2,5 millions de dossiers ont été ouverts auprès des autorités israéliennes chargées de l’application de la loi. Parmi eux, 470 000 concerneraient des dettes envers des banques et des compagnies d’assurance, tandis que 370 000 concerneraient des fournisseurs de téléphone et d’Internet.
Bon nombre de ces dettes sont à la base relativement modestes mais augmentent de façon exponentielle au fil des mois en raison des frais de recouvrement, des intérêts sur les arriérés et de la valeur rajustée. Ainsi, les personnes visées par ces dossiers peuvent à tout moment faire l’objet d’importantes mesures telles que le gel de leur compte bancaire, la confiscation de leur voiture et de leurs biens ou l’interdiction de quitter le pays.
Adi Graff d’Emun Hatzibur affirme que l’ouverture d’un dossier auprès des autorités est quasi automatique – la dette augmente ainsi de façon exponentielle avec les frais rajoutés.
« Nous recevons fréquemment des plaintes du public au sujet de lettres d’avertissement émises par les compagnies mais jamais reçues par les clients. Le dossier est alors transféré à un avocat chargé de la recouvrer. C’est un point de non-retour. A partir de là, le dossier est transmis aux autorités. »
Ainsi, elle décrit le cas d’une femme qui a eu un dossier ouvert contre elle auprès des autorités pour une dette de 600 NIS (140 €) en 2004 quand elle avait 15 ans. Quand la femme a eu connaissance de la dette, celle-ci avait grimpé à 50 000 shekels (12 000 €).
Graff décrit également le cas d’un « soldat solitaire » qui retournait en Ukraine pour rendre visite à sa famille. Alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion, il a appris qu’il avait une dette de 40 000 shekels (9 600 €) auprès de Pelephone. Lui aussi n’en avait alors jamais eu connaissance. Grâce à l’intervention d’Emun Hatzibur, il a pu trouver une solution et ainsi s’envoler pour rendre visite à sa famille.
Selon Tzvika Graiver, cofondateur et avocat du mouvement « Keep Olim in Israel », trois groupes de personnes seraient principalement touchées par le problème : les personnes âgées, les pauvres et les marginalisés, et les nouveaux immigrants. Graiver fournit actuellement une aide juridique à des dizaines de nouveaux immigrants qui ont eu des dossiers ouverts auprès des autorités. Beaucoup doivent de l’argent auprès des banques, tandis que d’autres sont endettés auprès des compagnies téléphoniques.
Les nouveaux immigrants se retrouvent empêtrés dans ces ennuis avec les compagnies de télécommunication souvent de deux façons. La première : ils signent sans lire le contrat.
« Un nouvel immigrant souscrit à un contrat de téléphonie. Il a droit à toutes sortes de promesses – on lui dit notamment que les conversations sont gratuites vers l’étranger et qu’il a droit à une tablette gratuite. Il signe un contrat, mais le contrat stipule le contraire que ce que le vendeur lui a dit. »
Malgré des profits de plusieurs milliards de shekels par an, les compagnies téléphoniques israéliennes ne prennent pas la peine de traduire leurs contrats en langues étrangères, se plaint Graiver. Cela laisse le nouvel immigrant sans autre choix que de signer quelque chose qu’il ne peut pas lire.
« Soudain, toutes sortes de frais supplémentaires apparaissent sur sa facture de téléphone. S’il ne paye pas, son dossier se retrouve sur le bureau de l’Exécuteur et monte à hauteur de quelques milliers de shekels. Il ne peut alors plus quitter le pays ni utiliser son compte en banque. Sa vie tourne alors au cauchemar. »
Comme l’explique l’Association pour les droits civils en Israël dans son rapport « Changement nécessaire – Comment Israël conduit les débiteurs dans la pauvreté » : « Les fossés existant entre créanciers et débiteurs sont si grands – en terme de pouvoir et de connaissances – que les premiers se retrouvent favorisés face aux seconds : 93 % des débiteurs qui se retrouvent avec un dossier ouvert auprès de l’exécuteur ne sont pas représentés par des avocats, alors que 95 % des créanciers le sont ; 91 % des débiteurs sont des particuliers et seulement 22 % des créditeurs le sont, ce qui signifie que 78 % des créditeurs sont des professionnels tels que des banques ou des entreprises qui possèdent une connaissance solide dans le domaine. Dans la plupart des cas, les créanciers sont des acteurs récurrents dans le domaine des dettes, alors que la plupart des débiteurs y sont confrontés pour la première fois de leur vie. 84 % des dossiers sont ouverts directement auprès du bureau de l’exécuteur testamentaire, sans procédure judiciaire préalable et sans que la dette ne soit prouvée devant un organe judiciaire. »
« Seuls les forts survivent »
Selon Graiver, les dossiers de la plupart des débiteurs sont conduits devant le bureau de l’exécuteur sans qu’ils ne bénéficient de représentation juridique, car l’embauche d’un avocat coûte souvent plus que ce qu’ils doivent.
« Ils pensent que c’est quelque chose qu’ils peuvent gérer par eux-mêmes, mais ce n’est pas le cas. Les entreprises sont très puissantes et font appel aux meilleurs avocats. »
De plus, ajoute Graiver, les compagnies de télécommunications embauchent des « lobbyistes de feu » qui passent 12 heures par jour, chaque jour, à la Knesset pour s’assurer qu’aucune réglementation stricte qui irait à l’encontre des intérêts de leurs clients ne soit envisagée ou mise en effet.
« Si les entreprises de télécommunication devaient traduire leurs contrats en anglais, si elles envoyaient une lettre d’avertissement en anglais aux nouveaux immigrants, si le bureau de l’exécuteur traduisait son site web en anglais, si les entreprises étaient contraintes de payer des amendes pour leur comportement, les choses changeraient », affirme-t-il.
« Le gouvernement ne veut rien faire. Très peu de membres de la Knesset se soucient réellement du sort des gens ordinaires. Ils vont à la cafétéria de la Knesset boire du café servi par de nouveaux immigrants originaires d’Ethiopie qui ne sont même pas des employés de la Knesset mais des travailleurs sous contrat qui subsistent avec des salaires de misère. »
« C’est le capitalisme : les forts survivent et les faibles sont toujours plus faibles », ajoute-t-il.
Lorsqu’on lui demande pourquoi il existe dans d’autres sociétés capitalistes de meilleures lois en faveur des droits des consommateurs, Graiver émet l’hypothèse suivante : « Je pense que c’est en raison de notre situation sécuritaire. Nous entendons tellement parler de l’Iran, de la bombe nucléaire, des attaques terroristes et des guerres que nous ne votons pas pour les membres de la Knesset qui s’occuperaient économiquement de nous. »
Mais quand un consommateur s’allie avec quelqu’un de fort – comme un avocat ou un journaliste – qui se penche sur sa situation, le problème disparaît souvent, affirme-t-il. C’est pourquoi Keep Olim en Israël est en train de monter un syndicat qui aura pour mission de faire pression sur les entreprises et les organisations qui nuisent aux intérêts des nouveaux immigrants.
« Être soutenu par une grande organisation va déplacer l’équilibre des pouvoirs pour le diriger vers les consommateurs. »
Le Times of Israel a contacté Bezeq afin d’interroger l’entreprise sur la situation de Rika Greenberg. Comme par magie, et comme pour souligner le point de vue de Graiver, le problème a été aussitôt résolu après ces mois d’impasse.
« Je suis tellement heureuse, a-t-elle affirmé. Bezeq a signé un accord », annulant toutes les accusations portées contre elle. « Le problème est désormais réglé ! »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel