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Analyse

L’explosion de Beyrouth devrait alerter les Libanais sur l’arsenal du Hezbollah

Le groupe terroriste risque d'être accusé d'avoir entreposé ses explosifs dans des zones civiles ; l'armée israélienne se prépare à une éventuelle attaque à la frontière

Judah Ari Gross

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Une photo de drone de la scène d'une explosion dans le port maritime de Beyrouth, au Liban, le 5 août 2020. (Crédit : Hussein Malla/AP)
Une photo de drone de la scène d'une explosion dans le port maritime de Beyrouth, au Liban, le 5 août 2020. (Crédit : Hussein Malla/AP)

La gigantesque explosion dans le port de Beyrouth mardi soir semble avoir été causée par une combinaison mortelle de corruption, d’incompétence, de négligence et de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. À ce stade, l’explosion n’a aucun lien direct avec Israël, le groupe terroriste du Hezbollah ou le cycle actuel de tensions entre eux, mais elle pourrait avoir un impact énorme sur eux trois.

L’explosion a coûté la vie à au moins 137 personnes, faisant des milliers de blessés à divers degrés, et a ravagé les maisons d’au moins 300 000 personnes dans. Beaucoup de questions autour des explosions, que les résidents de la capitale libanaise ont comparé à une « bombe atomique », restent sans réponse, notamment comment le nitrate d’ammonium a pu exploser et pourquoi une telle quantité aussi dangereuse a pu être conservée là-bas aussi longtemps.

Le composant chimique – utilisé pour des engrais, mais aussi des explosifs – avait été saisi dans le port en 2014 après avoir été confisqué d’un cargo nommé Rhosus, possédé par la Russie, qui avait eu un problème technique dans le port de Beyrouth.

Si les officiels libanais connaissaient les dangers associés à ce composant, il est resté stocké là-bas alors que les propriétaires du Rhosus étaient engagés dans une bataille judiciaire avec le Liban pour récupérer le contenu très volatile du cargo.

Le nitrate d’ammonium n’est pas normalement inflammable, mais il peut exploser s’il est soumis à une forte chaleur. Les premiers éléments venus du Liban indiquent que le feu qui a causé une plus petite explosion dans un entrepôt contenant des feux d’artifice a pu entraîner l’augmentation de la chaleur nécessaire pour faire exploser le nitrate d’ammonium. D’autres personnes ont formulé l’hypothèse que des caches d’armes du Hezbollah auraient pu jouer un rôle.

L’enquête sur la cause des explosions vient tout juste de commencer. Pourtant, dès le départ, un fait important a été établi : Israël n’avait rien à voir là-dedans.

Aussi bien des officiels israéliens que des sources proches du groupe terroriste du Hezbollah ont rapidement rejeté l’hypothèse que l’Etat juif avait le moindre rôle dans ces explosions, malgré les rumeurs persistantes et totalement infondées que des avions de chasse auraient été vus dans la zone et qu’un missile aurait été vu frappant le port.

Une photo montre le site d’une explosion à Beyrouth, le 4 août 2020. (Crédit : Anwar AMRO / AFP)

Le démenti rapide de deux camps a marqué une évolution significative, alors que ces dernières semaines les tensions entre Israël et le Hezbollah ont été au plus haut depuis près d’un an. Le groupe terroriste a menacé d’attaquer les soldats israéliens après la mort de l’un de ses combattants dans une frappe aérienne attribuée à Israël autour de Damas le mois dernier.

Dans le contexte de ces menaces, l’armée israélienne est passée en état d’alerte maximale le long des frontières du Liban et de la Syrie, en se préparant défensivement à une possible attaque du Hezbollah, en maintenant ses soldats à distance de zones vulnérables d’attaques et en renforçant la surveillance le long des frontières. L’armée israélienne se prépare aussi à répondre avec force si une telle attaque devait avoir lieu, en déployant de l’infanterie, des forces spéciales et des renforts d’artillerie dans la zone.

Des soldats israéliens opèrent sur des chars d’assaut près de la frontière libanaise, le 28 juillet 2020. (AP Photo/Ariel Schalit)

Mercredi après-midi, l’armée restait à ce niveau élevé d’alerte tout en observant l’évolution des événements au Liban pour voir si les explosions conduiront le Hezbollah à abandonner – ou du moins à reporter – sa vengeance, permettant à Tsahal de baisser d’un cran son état de préparation le long de la frontière.

Le Liban déjà au bord du gouffre

À ce stade, il est impossible de prédire les implications à long terme que l’explosion dévastatrice aura sur le Hezbollah, le gouvernement libanais et le Moyen Orient plus largement, alors que des habitants de Beyrouth sont encore portés disparus et piégés sous les décombres.

Ces explosions se sont produites au pire moment pour le Liban, confronté à un effondrement économique, à la pandémie de coronavirus et à des manifestations populaires continues contre la corruption et l’incompétence du gouvernement. Avant les explosions, le Liban n’avait pas assez de carburant pour faire fonctionner ses hôpitaux 24/24h sans le recours à des générateurs de secours, sans parler de la situation des citoyens lambda.

La destruction à grande échelle dans la capitale libanaise, la destruction presque complète de son port le plus important, et la colère sourde de la population contre le gouvernement qui a permis que cela se produise auront incontestablement des conséquences durables sur un pays déjà en proie à une grande instabilité politique.

Un manifestant anti-gouvernemental donne un coup de pied dans une cartouche de gaz lacrymogène contre la police anti-émeute, lors d’une manifestation près de la place du Parlement, au centre de Beyrouth, au Liban, le 15 décembre 2019. (Crédit : AP Photo/Hussein Malla)

Est-ce que cela va conduire à un gouvernement compétent et technocratique, capable de mettre le pays sur des rails plus stables, si possible – pour Israël, l’Occident et la coalition arabe anti-Iran – sans le Hezbollah comme un acteur central de la politique du pays ? Ou verrons-nous, avec l’incompétence et la corruption actuelle, un retour au sectarisme violent qui a plongé le Liban dans une guerre civile de plusieurs décennies ? C’est bien trop tôt pour le dire.

Tandis qu’une bonne partie de la colère déjà exprimée par la population libanaise est dirigée vers le gouvernement en général, et alors que le pays se relève et évalue la situation, le Hezbollah pourrait bien rapidement se retrouver confronté à des critiques sur ses pratiques en matière de stockage d’armes et des matériels explosifs dans des zones civiles – notamment de grandes quantité de nitrate d’ammonium.

Un hélicoptère de l’armée libanaise largue de l’eau sur la scène de l’explosion qui a frappé la zone du port de Beyrouth, au Liban, le 5 aout 2020. (Hussein Malla/AP)

La tradition du Hezbollah de stocker des armes dans les maisons et les villes densément peuplées est bien documentée par les Nations Unies, l’armée israélienne et les médias occidentaux, ainsi que par les groupes internationaux de défense des droits de l’homme.

Selon l’armée israélienne, la plupart des maisons des villes chiites le long de la frontière libanaise contiennent des caches d’armes, pour des mitraillettes, des roquettes ou d’autres armes.

Une image satellite diffusée par l’armée israélienne montrant trois sites près de l’aéroport international de Beyrouth qui, selon l’armée, sont utilisés par le Hezbollah pour convertir des missiles conventionnels en missiles à guidage de précision, le 27 septembre 2018. (Crédit : Armée israélienne)

En 2018, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a également révélé l’emplacement des sites à l’intérieur de Beyrouth qui, selon lui, étaient utilisés par le Hezbollah pour fabriquer et stocker des missiles à guidage de précision, dont un à côté de l’aéroport Rafic Hariri de Beyrouth.

En cachant ses arsenaux parmi des civils, le groupe terroriste espère probablement utiliser la population comme boucliers humains et empêcher Israël de mener des frappes par crainte de faire des victimes collatérales.

Le stockage d’explosifs par le Hezbollah à proximité de civils s’étendrait au niveau international. Au début de cette année, les autorités allemandes ont découvert des centaines de kilogrammes de nitrate d’ammonium après avoir reçu un renseignement du Mossad israélien concernant un complot d’attentat à la bombe par le Hezbollah dans le pays. En 2015, plus de huit tonnes de ce matériel ont été découvertes en possession d’un homme libano-canadien soupçonné d’être un agent du Hezbollah. Environ trois tonnes ont été confisquées à Londres cette année-là, le groupe terroriste ayant apparemment l’intention de l’utiliser pour un attentat contre des sites israéliens ou juifs au Royaume-Uni. Des stocks supplémentaires de nitrate d’ammonium ont également été trouvés en possession de membres présumés du Hezbollah en Thaïlande au cours de cette même période.

Rafic Hariri, ancien Premier ministre libanais assassiné par le Hezbollah en 2005. (Crédit : Domaine public/Département de la Défense américain)

En plus des critiques potentielles concernant sa stratégie de stockage d’armes et d’explosifs dans des zones peuplées, le Hezbollah pourrait également être accusé cette semaine d’avoir assassiné l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri en 2005.

Quatre membres présumés du groupe terroriste sont jugés par contumace devant un tribunal soutenu par les Nations unies aux Pays-Bas pour l’attentat-suicide de Beyrouth qui a tué Hariri et 21 autres personnes. Le verdict, qui pourrait être décisif pour l’affaire, devrait être rendu vendredi.

Le dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah fait une déclaration, le 29 juin 2018. (Capture d’écran YouTube)

En attendant, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah – qui a également menacé de bombarder les réserves d’ammoniac d’Israël, autrefois situées dans le port de Haïfa – ont jusqu’à présent fait profil bas à la suite de ces explosions.

Nasrallah, qui devait prononcer un discours mercredi, a annulé l’événement mardi soir.

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