L’histoire cachée des Américains de la bataille de Tel Hai, fondatrice du sionisme
Deux combattants tués lors de cette bataille, en 1920, étaient des vétérans du 39e Bataillon juif des États-Unis - mais leurs noms et leurs rôles sont restés longtemps inconnus
Ils avaient été parmi les premiers Juifs à donner leur vie pour une communauté juive sioniste, sur un territoire qui allait devenir ultérieurement Israël. L’histoire de leur mort est devenue une légende nationale et pourtant, pratiquement personne ne connaît seulement leur nom.
Le nom de ces « Américains » qui avaient été tués au cours de la célèbre bataille de Tel Hai, il y a maintenant 102 ans.
Cette bataille, qui avait eu lieu le 1er mars 1920, avait été l’un des premiers affrontements directs entre Juifs et arabes dans la Palestine mandataire – un prélude des conflits qui continueront au cours des vingt-cinq années suivantes et dont le point d’orgue avait été la guerre de l’Indépendance et la formation de l’État d’Israël en 1948. C’est, tout du moins, ce qui est inscrit dans la conscience populaire des Israéliens.
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La vraie histoire de la bataille de Tel Hai est moins celle d’un combat entre Juifs et Arabes que le récit d’un malentendu apparent dans une période de conflit et, de manière plus générale, dans une période de tensions accrues – des tensions qui ont amené une situation délicate de prime abord à dégénérer rapidement, donnant lieu à des effusions de sang avant de connaître une escalade incontrôlable.
Néanmoins, cette bataille était presque immédiatement devenue un cri de ralliement pour le « Yichouv » pré-État – ou le proto-gouvernement juif de Palestine. Elle sera restée une référence culturelle sioniste pendant tout le siècle dernier. Chaque année, le gouvernement continue à organiser une cérémonie annuelle commémorant la bataille et le Premier ministre Naftali Bennett, cette année, a souligné combien Tel Hai avait encore une résonnance aujourd’hui.
« Tel Hai a aidé à ancrer dans notre conscience que les Juifs qui veulent vivre une vie de labeur et de créativité sur leur terre doivent nécessairement – et c’est encore malheureusement le cas à ce jour – apprendre, chacun son tour, à tenir une arme et à se défendre », a déclaré Bennett dans son discours.
Et en effet, les derniers mots qui auraient été prononcés – ils sont néanmoins contestés – par le héros de la bataille, Joseph Trumpledor : « Peu importe : C’est bon de mourir pour notre pays », sont encore au cœur de la culture militaire sioniste et les huit personnes tuées dans cet affrontement, ainsi que dans des attaques précédentes, sont commémorées par le nom de la ville voisine de Kiryat Shmona (ce qui signifie littéralement : La ville des huit).
Et pourtant, face à la noblesse et à l’importance accordée à la bataille, et aux Juifs, hommes et femmes, qui ont été tués, il est étonnant que si peu de choses soient connues au sujet de deux d’entre eux, Jacob Tucker et William Scharff, deux membres de la Légion juive britannique qui étaient venus des États-Unis et qui avaient servi dans la Palestine mandataire de l’époque jusqu’à leur décharge, quelques jours avant la bataille.
Ils avaient été, en quelque sorte, les « soldats seuls » de cette période – restant en Palestine après leur service dans la Légion juive avant de tomber sur le front d’une bataille devenue un événement déterminant dans la formation d’une nouvelle mythologie sioniste.
Et sur le mur de Tel Hai où sont accrochées les photographies de ceux et de celles qui sont morts en défendant leur implantation, leurs cadres restent vides.
La Légion juive, connue à l’origine sous le nom de Bataillons juifs, était un corps placé sous l’autorité des Britanniques qui avait combattu dans ce qui était la Palestine de l’époque pendant la Première guerre mondiale. Elle avait été l’idée originale de Trumpeldor et du visionnaire sioniste révisionniste Zeev Jabotinsky, tous deux convaincus de la nécessité, pour les Juifs, d’apprendre à se battre et de la nécessité d’associer aux Britanniques la destinée de l’entreprise sioniste, ces derniers étant en passe de prendre en charge la Palestine à la fin de la guerre.
Même si la Légion est mieux connue pour avoir été l’unité dans laquelle avaient servi des personnalités sionistes liées au Yichouv pré-État – comme Jabotinsky, Trumpeldor, David Ben-Gurion et Yitzhak Ben-Zvi – plus d’un tiers des combattants étaient venus des États-Unis, avaient servi dans le 39e Bataillon et ils étaient ensuite repartis chez eux, une fois la guerre terminée (tous n’étaient pas repartis par choix : pour apaiser les Arabes locaux, les Britanniques avaient souvent renoncé à offrir aux légionnaires l’option de rester, revenant sur leurs engagements pris de leur offrir des terres en Palestine).
Tucker et Scharff, pour leur part, étaient restés en Palestine après avoir quitté leur bataillon. Les informations sont légèrement plus nombreuses concernant Tucker, qui avait laissé derrière lui des documents et des papiers, et qui avait des parents aux États-Unis. Rien ou presque ne peut être confirmé sur Scharff – tous les renseignements permettant d’en savoir davantage à son sujet ayant disparu ou n’ayant tout simplement jamais été retrouvés.
Ce qui n’aurait jamais dû être le cas. Des informations sur Tucker et Scharff auraient pu facilement être obtenues au moment de leur mort mais si l’intérêt pour la bataille de Tel Hai avait été immédiat et que le courage des combattants tombés sur le front avait été salué, pratiquement personne, à ce moment-là, n’avait pris la peine de s’enquérir de leur identité. Jusqu’en 1935 – soit quinze ans après la bataille – Tucker et Scharff n’étaient connus par les Juifs de la Palestine de l’époque que par leur nom. Non pas que leur identité complète ait été ignorée par les autorités juives de Palestine ou par le gouvernement américain mais, pour des raisons inconnues, les responsables juifs n’avaient jamais transmis ces renseignements à la presse, ou la presse ne les avait jamais demandés.
Dans une initiative visant à corriger cet oubli de l’histoire et à mettre en lumière le rôle tenu par les Juifs américains dans cette célèbre bataille de Tel Hai, le Times of Israel s’est plongé dans les archives de la Légion juive, du musée de Tel Hai, de l’armée britannique, du département d’État américain et des Archives sionistes centrales, contactant également les membres encore en vie des familles des deux Américains. Certaines des informations qui ont été découvertes dans les archives lors de nos recherches n’avaient jamais été publiées auparavant.
La bataille sioniste qui ne concernait pas vraiment le sionisme
La communauté de Tel Hai avait été établie en 1905 – une sorte de ramification de Metulla, une implantation plus établie qui se trouvait à proximité, dans une zone connue comme le « doigt de Galilée », qui s’avance sur le territoire qui appartient aujourd’hui au Liban. En 1918, les membres de l’organisation Hashomer, une milice juive, avaient formé un kibboutz à Tel Hai, avec de très rares membres.
Quand les forces alliées avaient vaincu l’empire Ottoman pendant la Première guerre mondiale, au mois d’octobre 1918, cette partie du Levant – Le secteur qui se situe autour des frontières actuelles qui séparent Israël du Liban et de la Syrie – était devenue le site d’un nouveau conflit. Deux années auparavant, les Britanniques et les Français avaient divisé la région entre eux dans le cadre d’un accord secret connu sous le nom des Accords Sykes-Picot. Il déterminait que le Royaume-Uni prendrait sous son contrôle ce qui est aujourd’hui devenu la Jordanie, le sud de l’Irak et une partie de la Palestine d’alors tandis que les Français s’empareraient du Liban, du nord de l’Irak et du sud-ouest de la Turquie.
Toutefois, de manière distincte, les Britanniques avaient promis leur soutien à la formation, par les responsables arabes, d’un État indépendant en Syrie, amenant Fayçal I bin al-Hussein bin Ali al-Hashemi à déclarer à la fin de l’année 2018 la création du royaume arabe de Syrie – au vif déplaisir de la France.
Les communautés juives de Tel Hai, de Metulla, de Kfar Giladi et de Hamarah étaient donc en plein milieu de ce conflit entre les Britanniques, les Français et les Arabes locaux. Même si les Juifs de Palestine avaient un réel intérêt à voir les Britanniques prendre le contrôle de la région et non les Français – qui étaient moins enclins à favoriser la perspective d’un État juif – ils s’efforçaient généralement de rester hors des hostilités, offrant occasionnellement un refuge et une assistance à toutes les parties.
Il y avait eu un certain nombre d’actes de violence dans le secteur de Tel Hai dans les semaines qui avaient précédé la bataille – certains liés au combat que se menaient les Arabes, les Français et les Britanniques. Certains leaders arabes pensaient encore, de surcroît, que les sionistes coopéraient avec les Français. D’autres violences avaient eu lieu dans le contexte plus général d’anarchie qui régnait dans la région dans le sillage de la défaite de l’Empire Ottoman, qui avait gouverné la région jusque-là.
Dans la nuit du 12 décembre 2019, des bandits arabes avaient commencé à ouvrir le feu au hasard dans Tel Hai, touchant Shneor Shaposhnik à l’estomac et le tuant, disent des informations de l’époque. Et deux mois plus tard, Aharon Sher, venu aider Tel Hai à se défendre, avait été abattu aux abords de l’implantation après une rixe entre des voleurs arabes et des membres de Tel Hai, alors que ces derniers travaillaient dans les champs.
Dans le contexte de ces violences, Trumpeldor avait été appelé pour aider à renforcer la défense des implantations juives de la Haute-Galilée, et il était arrivé vers la fin du mois de décembre 1919. Il avait ensuite, à son tour, lancé un certain nombre d’appels par le biais des journaux locaux, à l’aide d’affiches ou en s’appuyant sur le bouche à oreille pour demander à des vétérans de la Légion juive de le rejoindre pour aider à sécuriser les implantations.
Tucker et Scharff avaient fait partie des quelques dizaines de légionnaires qui avaient répondu à l’appel et qui étaient partis vers le nord, parfois à pied, vers les communautés de Haute-Galilée. Ils étaient arrivés dans le secteur le 28 février – soit deux jours avant la bataille.
La bataille elle-même
Les événements qui s’étaient déroulés le 1er mars – ou le onzième jour d’Adar, selon le calendrier hébraïque – restent quelque peu indéterminés. Les personnes impliquées avaient bien accordé des interviews au fil des années sur ce qui s’était passé à Tel Hai ce jour-là mais les récits devaient occasionnellement changer, notamment sur des aspects essentiels de la bataille, comme le moment qui avait été choisi pour donner l’ordre d’ouvrir le feu.
Mais les détails les plus importants sont les suivants : dans la matinée du 1er mars, une sentinelle de Tel Hai avait vu 150 à 200 miliciens arabes, certains portant l’uniforme, dirigés par Kamal al-Hussein, un chef bédouin local qui s’opposait avec vigueur aux Français et qui soutenait le royaume arabe de Syrie, et dont le village de Khalisa, dans la vallée de Hula, avait été attaqué par les troupes françaises pendant l’hiver. (Étrangement, ce « méchant » de la bataille de Tel Hal devait ultérieurement devenir un allié du « Yichouv », aidant les Juifs à acheter des terres dans la Palestine de l’époque)
La vingtaine de personnes qui se trouvaient à Tel Hai ou aux abords de l’implantation s’étaient saisies des armes qu’elles avaient en leur possession et elles s’étaient placées à différents endroits autour du complexe, tandis qu’un certain nombre d’autres personnes, parmi lesquelles Trumpeldor, qui étaient parties à l’implantation voisine de Kfar Giladi, étaient revenues en hâte.
Les troupes arabes avaient demandé à entrer à Tel Hai, disant qu’elles pensaient que des soldats français pouvaient se trouver à l’intérieur. L’atmosphère avait été tendue quand les Arabes avaient commencé à fouiller la communauté. Les Juifs de Tel Hai avaient gardé leurs armes à la main et dirigé les Arabes pendant toute l’inspection.
Ce qui était arrivé ensuite fait encore débat. Alors que al-Hussein, accompagné par certains de ses hommes, fouillait une salle à l’étage, l’une des deux « défenseuses » de Tel Hai, Dvora Drechler, avait crié à Trumpeldor qu’on lui avait pris son pistolet, et un coup de feu s’était fait entendre. Il est encore impossible de dire qui avait été à l’origine du tir et quelles en avaient été les circonstances même s’il semble qu’il y avait eu un accrochage entre Drechler et al-Hussein, ou l’un de ses hommes.
Drechler avait reçu une balle dans la bouche et il semble qu’elle soit morte instantanément. Certains avaient affirmé que Trumpeldor avait donné l’ordre d’ouvrir le feu après le cri poussé par Drechler ; la majorité des autres avaient expliqué qu’il avait ordonné de tirer après le coup de feu initial. Il y a avait eu un rapide échange de tirs au cours duquel un milicien arabe avait jeté une grenade à travers la fenêtre d’une pièce du dernier étage. La majorité de ceux qui se tenaient dans la pièce, à l’étage supérieur, avaient été tués – suite aux tirs ou à l’explosion de la grenade – et notamment Scharff, qui avait monté l’escalier après être revenu de Kfar Giladi aux côtés de Trumpeldor.
« Nous avons trouvé Scharff dans le coin, soldat mort à moitié appuyé au mur, tué apparemment par une balle. Dvora, elle aussi, était couchée à côté de lui, tuée par balle », selon une lettre qui avait été écrite par le chef sioniste Avraham Herzfeld après l’attaque, sur la base des témoignages des personnes présentes.
Pendant les échanges de coups de feu, les Arabes avaient aussi tiré sur les personnes qui se trouvaient dans la cour intérieure de Tel Hai, et notamment sur Tucker – le légionnaire tout juste déchargé avait néanmoins eu le temps de tuer l’un des hommes d’al-Hussein. Tucker, grièvement touché, était mort des suites de ses blessures quelques heures plus tard. Trumpeldor, lui aussi, se trouvait dans la cour ; il s’y était précipité après avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu. Il avait reçu deux balles, une dans le bras et l’autre à l’estomac. Il avait été grièvement blessé mais il était resté conscient pendant toute la bataille, même s’il avait confié le commandement à Pinhas Schneerson, venu à Tel Hai de Kfar Giladi.
Selon Mordechai Braverman, présent à Tel Hai, al-Hussein avait tenté de mettre un terme au combat, disant que ce qui était arrivé était un malentendu et qu’il pouvait calmer ses troupes. Et pourtant, la bataille devait durer encore plusieurs heures, avec une courte interruption au milieu pour permettre aux deux parties de dégager leurs victimes.
À la tombée de la nuit, les coups de feu s’étaient en grande partie calmés et Trumpeldor a dit à Schneerson d’appeler le médecin de Kfar Giladi, le Dr Gershon Gary, un autre ex-légionnaire américain. Gary est arrivé peu de temps après, a évalué l’état des blessés à Tel Hai et les a conduits à Kfar Giladi pour des soins supplémentaires. Alors qu’il vérifiait l’état de santé de Trumpeldor, le Dr Gary a affirmé que le héros de guerre russe avait prononcé ses célèbres derniers mots: « Peu importe : il est bon de mourir pour notre pays. » La question de savoir si Trumpeldor, qui avait une connaissance limitée de l’hébreu, a vraiment prononcé cette phrase ou s’il a dit quelque chose en russe qui y ressemble reste débattue par les historiens. Il a succombé à ses blessures en chemin vers Kfar Giladi.
Au total, six Juifs ont trouvé la mort dans les combats du 1er mars – Drechler, Muntir, Chizik, Scharff, Tucker et Trumpeldor – ainsi qu’un nombre indéterminé d’Arabes. Ce groupe de six allait rapidement passer à la postérité sous le nom de « Trumpeldor et ses camarades ».
Après les combats, il a été décidé d’abandonner Tel Hai, d’enterrer les morts dans deux tombes communes et détruire toutes les fournitures qui restaient à l’intérieur. Les renforts restants ont été envoyés à Kfar Giladi et Metulla, les deux dernières implantations juives de la région, qui ont continué à être harcelées par des clandestins arabes. Kfar Giladi a également été abandonné pendant cette période, mais les résidents y sont revenus quelques mois plus tard.
Le mythe de Tel Hai
Tel Hai est devenu mythique quasiment aux lendemains de la bataille. Onze jours après les combats, l’écrivain sioniste Berl Katznelson a écrit et publié dans le magazine sioniste travailliste Kuntress le désormais célèbre poème « Yizkor », ou mémorial, en souvenir de la bataille et des violences. Ce poème a servi de base à la prière commémorative qui est dite, encore aujourd’hui, pour les soldats israéliens tombés au combat quatre fois par an, à Yom Kippour, Souccot, Pessah et Chavouot.
Dans ce même numéro de Kuntress, le Dr Gary donnait à lire son récit de la bataille et les derniers mots que l’on attribue à Trumpeldor.
En l’espace de quelques jours, des articles ont été publiés par la plupart des journaux en Palestine, et peu de temps après, l’histoire est arrivée jusque dans les recoins les plus éloignés des États-Unis, avec une apparition dans le « Bnai Brith Messenger » de Californie, quelques semaines plus tard.
Tucker et Scharff n’étaient désignés que par leur nom de famille. L’American Bnai Brith Messenger a également identifié à tort les légionnaires américains comme « Munter et Sharf (sic) ».
Il faudra encore 15 ans avant que les prénoms de Tucker et Scharff ne soient publiés dans les journaux juifs, grâce à un autre légionnaire, un Canadien nommé Leo Hefetz, qui a demandé des informations sur les hommes aux autorités britanniques.
Dans l’article, Hefetz a écrit que leurs noms « devaient être connus et figurer dans les annales du Yishuv travailliste en Terre d’Israël en raison de leur grande bravoure », ajoutant « ne pas comprendre pourquoi il n’en était pas déjà ainsi ».
En effet, il n’y avait aucune raison pour que les noms de Tucker et Scharff aient été perdus. Les autorités sionistes de l’époque savaient qui ils étaient.
Le 26 mars 1920, la Commission sioniste a fourni des informations sur les deux hommes, dont leurs noms et numéros d’identification, au consul américain en Palestine, Otis Glazebrook. La commission a indiqué à Glazebrook, dans un courrier, avoir contacté les proches parents et appris que Tucker « avait un frère à Chicago, fabricant de meubles ».
Personne ne semble avoir donné suite à cette information.
Selon Nakdimon Rogel, journaliste qui a écrit l’un des récits les plus fiables de Tel Hai, les deux « Américains » ont été victimes du désir des premiers dirigeants sionistes de développer un mythe national.
« Le manque d’intérêt pour les détails et les personnes, autres que ceux susceptibles d’alimenter la polémique et la propagande, s’exprime dans l’indifférence totale envers les deux vétérans du bataillon ‘américain’ tombés à Tel Hai », a écrit Rogel dans son livre, Tel Hai : Un front sans front intérieur.
Dans une analyse critique de la portée de Tel Hai, Yael Zerubavel de l’université Rutgers a déclaré que la bataille et son héros, Trumpeldor, offraient quelque chose à chacun des principaux mouvements sionistes de l’époque. Aux révisionnistes, une histoire de bravoure et d’autodéfense juives, au Parti travailliste, l’histoire de Juifs protégeant une colonie agricole.
La bataille est devenue élément du discours de différentes factions sionistes et « l’histoire n’intéressait les partis rivaux que tant qu’elle prouvait ou réfutait leur prétention morale au mythe », a résumé Zerubavel dans un article de 1991.
Que savons-nous d’eux?
On sait assez peu de choses sur Scharff.
Malgré des recherches exhaustives dans les archives américaines, britanniques, canadiennes et israéliennes, on a trouvé extrêmement peu de détails sur William Wolf Zeev Scharff. Il n’y a aucune trace de l’entrée aux États-Unis d’une personne de sa tranche d’âge, et portant son nom. Selon les Archives nationales du Royaume-Uni, les deux tiers des archives de service de la Première Guerre mondiale ont été détruites. Les tentatives pour récupérer les dossiers de service de Scharff auprès du gouvernement britannique ont donc échoué.
L’un des survivants de la bataille de Tel Hai, Yitzhak Kanev, a décrit Scharff comme quelqu’un qui « se sentait étranger et un peu bizarre », ajoutant que « personne ne le connaissait vraiment ou l’appelait par son prénom ».
En 1959, un homme nommé William Cohen a envoyé une lettre à Tel Hai affirmant que sa femme Celia était la sœur de Scharff. Cohen voulait des informations à propos d’une parcelle de terre située près de Tel Hai qu’il pensait avoir été reçue par Scharff en « récompense de ses hauts faits de guerre ».
Lorsque Nahum Horowitz, qui a fondé le musée Tel Hai, l’a informé qu’il n’y avait rien de tel et a demandé plus d’informations sur Scharff, ne serait-ce qu’une photo de lui, il n’a obtenu aucune réponse. Les efforts pour retrouver les descendants de William et Celia Cohen ont été infructueux.
La seule source d’informations disponibles à son sujet avant son séjour à Tel Hai est à chercher du côté d’un Israélien nommé Avi Scharff, dont le père Yossi a prétendu être un parent de Scharff, bien que cela ne soit étayé par aucune preuve tangible. Avi Scharff a déclaré que son père n’avait jamais précisé comment les deux hommes étaient liés, mais qu’il pensait qu’ils étaient frères ou cousins. Il n’a mentionné ce lien que plus tard au cours de son existence, lorsqu’ils se sont rendus sur le lieu du célèbre monument « Lion rugissant » dédié à la bataille de Tel Hai, sur lequel figure le nom de Scharff.
Dans une conversation téléphonique avec le Times of Israel, Avi Scharff a déclaré que son père décrivait Scharff comme « un aventurier » qui parcourait seul les collines de Pologne lorsqu’il était jeune homme. Selon le père d’Avi Scharff, William Scharff a quitté la Pologne à l’adolescence pour se rendre au Canada, où il a travaillé comme bûcheron, puis aux États-Unis. Ni le gouvernement canadien ni le gouvernement américain n’ont de trace de l’entrée de Scharff sur leur territoire (même en utilisant une combinaison des différents prénoms qu’il a utilisés, William, Wolf et Zeev, ainsi que diverses orthographes de son nom de famille, Scharff, Sharf, Sherf, Scharf, etc.).
Selon les archives britanniques, Scharff s’est engagé dans le 39e bataillon le 9 août 1918. Ses motivations pour rejoindre la légion ne sont pas tout à fait claires. Bien qu’Avi Scharff ait dit qu’il ne pouvait pas parler spécifiquement des opinions politiques de Scharff, il a indiqué que, dans son ensemble, sa famille ne soutenait pas la cause sioniste à cette époque.
En s’engageant en août 1918, Scharff aurait probablement pu rejoindre la Palestine à temps pour mener des activités de maintien de la paix avant la démobilisation. Il a été démobilisé le 16 février 1920 et, moins de deux semaines plus tard, s’est rendu à Tel Hai.
On en sait plus sur Tucker.
Les informations concernant son engagement, par exemple, ont été conservées sous forme de copie envoyée au bureau du prévôt général des États-Unis, l’organisme gouvernemental qui suivait le recrutement. Ce petit document, de la taille d’une carte postale, mentionne son année de naissance – 1894 – même si on trouve ailleurs l’année 1893. Il donne également son lieu de résidence au moment de s’engager – un quartier juif de Detroit, dans le Michigan – ainsi que sa profession, mécanicien.
Un formulaire que Tucker a rempli à sa libération atteste de son désir de rester en Palestine et travailler dans l’agriculture ou une « usine coopérative ». On y apprend également qu’il parlait anglais et yiddish, mais pas hébreu.
En plus de ces documents, deux hommes qui prétendaient avoir connu Tucker et sa famille ont adressé des lettres aux archives du musée de Tel Hai, offrant des descriptions plus personnelles de l’homme.
Il serait né à Goniadz, petite ville des environs de Bialystok, dans ce qui est aujourd’hui la Pologne mais qui était alors l’empire russe, fils du rabbin Abraham Kalman et de Chaia Gittel. Lorsqu’il n’étudiait pas, le rabbin Abraham Kalman était menuisier, tandis que Chaia Gittel vendait du lait afin de subvenir aux besoins de la famille. Tucker l’aidait à porter les lourdes boîtes de lait, selon David Bachrach, l’auteur d’une de ces lettres.
Un ami d’enfance de Goniadz, Yosef Ben-Efraim Halpern, qui a également servi dans les bataillons juifs, a écrit dans une lettre acquise par les archives du musée de Tel Hai que Tucker « avait une voix de soprano mélodieuse, douce et agréable » et qu’il se produisait dans la chorale locale et pendant les fêtes. Dans sa lettre, Bachrach se souvient aussi de la belle voix de Tucker, bien qu’il ait dit que c’était un alto.
Comme son père, Tucker a appris le travail du bois et créé son propre atelier de fabrication de broches à filer.
À un moment donné, après le tournant du siècle, Tucker a quitté Goniadz et s’est installé aux États-Unis, suivant les traces de son frère Louis, qui avait immigré aux États-Unis en 1904 ou 1905 (dans le recensement de 1930, il a indiqué 1904 et en 1940, 1905). Il s’est installé dans la région de Chicago, travaillant dans la fabrication de meubles.
Yaakov se mit en route… pour la dernière fois, pour Tel Hai
On ignore si Tucker avait la citoyenneté américaine au moment de s’engager, bien ce soit peu probable. Sur sa carte de recrutement, Tucker a indiqué comme nationalité « juive » et non « américaine ». En outre, au moment où il a rejoint la légion, Tucker aurait eu au moins 21 ans, peut-être 22, ce qui l’aurait rendu éligible à la conscription américaine et donc incapable de servir légalement dans l’armée britannique.
Tucker semble avoir commencé à s’identifier à la cause sioniste alors qu’il vivait encore en Pologne. « L’esprit sioniste s’est enraciné en nous avec l’apparition du Dr [Theodor] Herzl », a écrit Bachrach.
Bachrach a déclaré que le père de Tucker ne partageait pas ces idées
« mais qu’il avait absorbé l’esprit sioniste par lui-même, et cet esprit l’a conduit à la terre [d’Israël] ».
Selon un parent de Tucker qui a parlé au Times of Israel sous couvert d’anonymat, même si des coupures de journaux de Chicago attestent que le frère de Tucker, Louis, était impliqué dans un certain nombre d’organisations juives, et même sionistes, il est clair que la famille n’a pas soutenu sa décision de se rendre en Palestine et de se battre au sein du bataillon juif.
Les tentatives pour récupérer le dossier de service de Tucker auprès du gouvernement britannique ont également échoué. On ne sait donc pas quelles batailles Tucker a menées, mais le fait qu’il ait été l’une des premières recrues des États-Unis au 39e bataillon laisse penser, sans certitudes, qu’il aurait pu prendre part à la bataille de Megiddo.
Tucker a été démobilisé le 16 février 1920. Halpern a déclaré que Tucker était resté avec lui chez lui, dans le quartier de Neve Shalom, l’un des premiers quartiers juifs construits à l’extérieur de Jaffa.
« De Tel Hai, un appel est venu pour tous les anciens combattants, partout où ils s’étaient répandus sur la terre [d’Israël], pour qu’ils s’arment et se portent au secours de Tel Hai. De chez moi à Neve Shalom, notre cher Yaakov est sorti », a écrit Halpern. Il se souvient que Tucker avait tenté de se rendre à Tel Hai à plusieurs reprises, mais qu’il avait dû plusieurs fois rebrousser chemin en raison de problèmes de train. « Seulement le quatrième jour, le train a été réparé … Puis Yaakov s’est mis en route… pour la dernière fois, pour Tel Hai.
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