L’histoire d’amour unique de l’infatigable optimiste qui a survécu aux prisons syriennes
Le journal de détention d'Efraim Zinger et celui de sa future épouse sont à la base d'un nouveau livre sur la victoire d'une famille sur les traumatismes de la guerre du Kippour

À la tête de la délégation israélienne aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, Efraim Zinger s’est soudain souvenu des gardes syriens qui l’avaient torturé lorsqu’il était prisonnier de guerre, en 1973.
« Tout le monde me regardait, le drapeau israélien flottait fièrement derrière moi, et je me demandais si l’un d’entre eux me reconnaitrait, 23 ans après », se souvient Zinger, ex-Secrétaire général du Comité olympique d’Israël.
Celui qui avait passé huit mois en captivité après sa capture, sur le plateau du Golan, pendant la guerre du Kippour, avait appris plus tard que les réseaux syriens qui avaient diffusé l’événement d’Atlanta en avaient interrompu la transmission lorsque la délégation israélienne avait foulé le sol du stade d’Atlanta.
Mais ce flashback, à ce moment précis, illustre parfaitement la capacité de Zinger – comme celle de la société israélienne dans son ensemble – à exceller dans de multiples domaines tout en portant les traumatismes indélébiles d’une guerre qui a façonné une grande partie de son caractère et de sa vision du monde.
Aujourd’hui âgé de 69 ans, Zinger revient sur la guerre telle qu’il l’a vécue à travers un livre en hébreu publié un peu avant le 50e anniversaire de la guerre, le 6 octobre dernier.
Intitulé « Born To Be Free, a Tale in Two Voices about Captivity and Love » , l’ouvrage est inspiré du journal de détention tenu par Zinger en Syrie, qu’il était parvenu à faire sortir clandestinement de sa prison. Il s’appuie également sur le journal intime de sa petite amie de l’époque, Shoshi, depuis devenue son épouse, alors qu’il était prisonnier.

« Pour une raison que j’ignore, j’ai réussi à continuer à vivre sans trop de cicatrices émotionnelles », confie Zinger qui, en captivité, a été battu si violemment que, lors d’une séance de torture, un de ses tympans s’est déchiré.
Zinger a eu quatre enfants avec Shoshi, professeure de géographie aujourd’hui à la retraite. Ils ont monté un élevage de poulets, près de Netanya, tout en terminant son doctorat en relations internationales et en continuant à travailler au service des équipes olympiques israéliennes.

« J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la raison pour laquelle j’ai été si peu affecté par des traumatismes qui ont pu ravager l’existence de ceux qui ont vécu des expériences comparables, à commencer par certains de mes compagnons de détention à Mazzeh », explique Zinger au Times of Israel, évoquant la prison, près de Damas, de sinistre mémoire dans laquelle nombre de prisonniers de guerre israéliens ont été torturés.
Il se peut que la résilience de Zinger ait à voir avec Shoshi, dont il est tombé amoureux peu de temps avant d’être fait prisonnier, explique Zinger. « Quand je suis revenu de Syrie, elle m’a dit quelque chose qui m’a profondément marqué et qui est devenu ma devise : ‘On reprend là où on s’en est arrêtés’. »

En prison, Zinger a gardé le moral en « maintenant une séparation étanche entre mes différentes identités, entre le vrai moi et le prisonnier ». Cela passait par le fait de « me rappeler que les gardes faisaient leur travail, jouaient un rôle. Et que moi aussi, je devais jouer un rôle. »
Ce rôle consistait notamment à ne pas divulguer les informations en sa possession en qualité de membre d’une unité de renseignement. Zinger a tenu un certain temps, mais il ne connaissait finalement que très peu d’informations sensibles car il avait été enrôlé moins d’un an avant d’être fait prisonnier.

Pour garder le moral, il arrivait à Zinger de chanter dans sa tête, y compris pendant les interrogatoires. Une fois, il a tapé du pied pendant l’interrogatoire dans un moment de distraction qui lui a valu de se faire battre. « C’était un rappel à l’ordre pour bien séparer mes deux identités : le prisonnier et la personne », se souvient-il.
C’est par hasard que Zinger s’est retrouvé dans l’avant-poste de Hermon où il a été capturé. Avant que les armées syrienne et égyptienne ne lancent leur attaque surprise contre Israël, il avait demandé à passer les fêtes de Yom Kippour dans une base arrière où Shoshi devait venir pour l’occasion. Mais à son arrivée, on lui a demandé de remplacer un soldat dont le grand-père venait de décéder à l’avant-poste Hermon, sur les hauteurs du Golan.

En l’occurrence, les commandos syriens ont envahi le secteur pendant les fêtes et pris l’avant-poste, en sous-effectif, dans lequel se trouvait Zinger. Treize des défenseurs du bunker ont été tués. Dix se sont retirés et ont retrouvé des soldats israéliens sur les lignes arrières. Et 31 hommes, parmi lesquels Zinger, ont été capturés après leur reddition.
Cette opération du 7 octobre est l’un des succès majeurs de la Syrie pendant cette guerre qui a coûté la vie à plus de 2 500 soldats israéliens, le bilan le plus lourd depuis la guerre d’Indépendance.

L’armée israélienne finit par inverser le cours de la guerre, mais ce conflit est vu en Israël comme un symbole de l’échec du renseignement et des autorités qui ont mis en danger l’existence même d’Israël et a eu de profondes conséquences géopolitiques. Pour certains, il a alimenté une méfiance de la population envers les autorités et les élites, qui se rejoue autour de la question de la refonte judiciaire qui polarise actuellement le pays.
Avant que la décision de se rendre ne soit prise, « il était clair qu’il y avait de bonnes chances que nous essayions de mettre fin aux combats et que nous nous fassions tuer », se souvient Zinger. « J’ai pensé à mes parents, tous deux survivants de la Shoah dont j’étais le fils unique. J’étais triste à l’idée qu’ils devaient m’enterrer, et avec moi les projets de famille qu’ils avaient fondés ici ».

À aucun moment, Zinger ne s’est senti coupable de s’être porté volontaire pour se trouver à la base où il a été capturé. « Cela faisait partie de mon devoir. Seulement, moi – et par extension mes parents – avions eu un mauvais jeu. C’est douloureux, mais je ne me le suis jamais reproché ».
C’est une manière de voir les choses qui lui vient de son père Shlomo, né dans ce qui est aujourd’hui la Roumanie. Les nazis ont tué deux de ses sept frères et sœurs. Lui-même a survécu à une marche de la mort vers le camp de concentration de Mauthausen, en Autriche. Ouvrier de la construction routière, Shlomo était un sioniste révisionniste qui a résisté aux pressions pour se conformer à l’hégémonie de l’élite socialiste dirigée par le parti Mapai de David Ben Gurion.

Il a également refusé le dédommagement du gouvernement allemand, estimant qu’il s’agissait d’une tentative d’absoudre sa culpabilité pour la Shoah. La mère d’Efraim Zinger, Lotty, a survécu à la guerre en se cachant dans ce qui est maintenant l’Ukraine. C’était une mère dévouée dont la vie difficile, en Israël et avant cette période, avait détérioré l’état de santé et généré des traumatismes qui l’ont poussée à décider d’avorter, deux ans avant la naissance d’Efraim.
Leur fils revient sur cette décision.
« Je choisis mes mots avec soin. J’essaie de ne pas blâmer ou juger, mais je me demande pourquoi, après tout ce qu’ils avaient traversé, ils ne pouvaient pas faire preuve d’optimisme et se réjouir de cette nouvelle vie », écrit-il dans le livre.

De son propre aveu au Times of Israel, Zinger a toujours été d’un grand optimiste. « Je pense que c’est en partie ce qui m’a aidé en captivité. Je cherchais toujours à voir le verre à moitié plein ».
Il a commencé à le faire devant l’avant-poste, alors que les soldats syriens prenaient la route, à pied, avec leurs prisonniers, pour se rendre en Syrie. Zinger se souvient d’avoir regardé l’avant-poste, qui battait toujours drapeau israélien. « Je faisais face à l’inconnu. Je me suis dit : ‘Je n’ai aucune idée d’où on va ni de ce qui va se passer, mais une chose est sûre : je reverrai ce drapeau, battant fièrement au vent’, écrit Zinger dans le livre.

En prison, les personnes chargées des interrogatoires lui disent, ainsi qu’aux autres prisonniers, qu’ils sont totalement coupés du monde extérieur et que la Syrie, que l’armée israélienne a repoussée dans les deux semaines qui ont suivi l’incursion de la Syrie sur le plateau du Golan, a gagné la guerre. Tibériade et Haïfa sont sous occupation syrienne et le ministre de la Défense Moshe Dayan a été tué dans les combats, disent ces hommes à Zinger pour tenter de lui arracher des informations. Cette grossière tentative de guerre psychologique est d’une efficacité très limitée sur les prisonniers, rappelle Zinger.

A Al Mazzeh, Zinger se prépare à une détention de longue durée. « Je pensais qu’il faudrait trois ans au moins avant que je sois libéré ». Il écrit chaque jour sur son expérience carcérale, sur du papier trouvé dans la prison. Avant sa libération, Zinger cache ces pages dans ses vêtements, mais les 30 pages sont découvertes lors d’une fouille effectuée par ses gardiens avant la libération.

Pendant qu’Efraim, connu de ses amis sous le nom de Ziggy, écris sur sa captivité, Shoshi tient de son côté un journal de ce qu’elle vit. Le livre passe du journal de détention au journal intime. Il évoque une lettre écrite par Zinger à sa famille depuis la prison. Il y demande notamment à Shoshi de passer à autre chose et de ne pas l’attendre. « Je suis heureux qu’elle ne l’ait pas fait », écrit-il dans le livre.
Chez Efraim, à Kfar Saba, Shoshi écrit : « Lotty et Shlomo sont comme des morts-vivants. Ma douleur est l’ombre de la leur. » Shoshi essaie de redonner le moral au couple : « Lotty s’est accrochée à moi physiquement, comme si elle essayait de puiser ma force et ce que je savais sur Efraim », se souvient Shoshi, ajoutant que Lotty avait cessé de manger, les premiers jours de la captivité de son fils.

Après sa libération, Zinger est autorisé à passer un week-end chez lui avant trois semaines de réhabilitation et d’interrogatoires intensifs de la part d’agents des services de sécurité israéliens chargés de recueillir des informations sur ce que l’ennemi a pu apprendre grâce à eux, particulièrement dans le cas de soldats du renseignement comme Zinger.
Ce traitement est traumatisant pour certains soldats, que l’exercice replonge dans le traumatisme de la captivité. Mais pas pour Zinger. « Pour être honnête, cela a été une sorte de retraite bienvenue après le cirque médiatique qui a suivi notre libération », dit-il des séances de débriefing qui ont lieu près de Haïfa. « En plus, j’étais avec mon compagnon de captivité du temps d’Al Mazzeh », se souvient-il.

Pour lui, les débriefings sont une conséquence normale de sa captivité. « Je sais que certains soldats l’ont vécu différemment. Pour moi, c’était l’occasion de voir des membres de mon équipe pour élaborer une stratégie commune. Comme une équipe d’entraîneurs qui analysent un match perdu, il fallait analyser ce qui s’était mal passé, et ce que j’avais pu dire à l’ennemi, de façon à pouvoir aller mieux. J’ai compris pourquoi cela devait être fait. »

Joueur passionné de basket-ball et de volley-ball avant l’armée, Zinger refuse d’être libéré de ses obligations militaires, à son retour de captivité, et devient instructeur sportif à l’armée, et suit pour ce faire l’un des entraînements les plus exigeants de l’armée israélienne. Il commence le cours moins de trois mois après son retour de Syrie et s’aperçoit rapidement qu’il a surestimé sa capacité à retrouver son endurance et sa masse musculaire, dit-il. « Le cours était très difficile et je ne faisais pas partie des meilleurs, mais j’ai réussi ».
Cette première décision lui ouvre la voie à un entraînement sportif professionnel et signe le début d’une carrière au sein du comité olympique israélien. Mais ce n’est, pour autant, pas la fin de son expérience militaire.

En 1982, dix ans à peine après sa libération, Zinger est rappelé au titre de la réserve pour rejoindre une unité envoyée au Liban. Cela aussi lui paraît normal et ne lui occasionne aucune crainte relative à la captivité.
A Zinger, non. Mais sa femme, Shoshi, intervient pour le faire rapatrier du Liban, ne serait-ce que parce que la Convention de Genève ne s’appliquerait pas à lui s’il était de nouveau fait prisonnier. Elle passe plusieurs coups de téléphone : « Et un jour, au Liban, le commandant adjoint de la division vient à notre base avancée, à bord d’une voiture du commandement, et demande à Efraim Zinger de s’avancer parce que Zinger doit ramener son cul derrière la frontière internationale au plus vite », se souvient Zinger.
L’histoire de la captivité de Zinger jette un pont entre deux générations, la sienne et celle de ses parents, premier traumatisme majeur de la vie de la nation qu’ils ont contribué à bâtir. Mais, « au-delà des questions de caractère, de philosophie ou d’histoire, il s’agit avant toute chose d’une histoire d’amour », assure Zinger, questionné sur l’essence-même de son livre. « L’histoire de deux jeunes gens séparés par une guerre terrible, et finalement réunis. »

L’histoire s’est encore enrichie depuis sa publication, ajoute Zinger, déjà grand-père de huit petits-enfants et un neuvième en route.
« Je suis heureux d’annoncer que jeudi, nous sommes allés au mur Occidental avec toute la famille et avons célébré la bar-mitsva de notre premier petit-fils ».
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