L’horreur du 7 octobre hante les proches de la famille Kutz, massacrée à Kfar Aza
Adi Levy-Slama, qui a perdu cinq de ses proches le 7 octobre, s'est rendue pour la première fois depuis un an dans la maison de sa sœur à Kfar Aza
« Pour moi, on est encore le 7 octobre », lâche Adi Levy-Slama, la voix brisée par l’émotion devant la maison du kibboutz Kfar Aza, dans le sud d’Israël, où cinq de ses proches ont été brutalement assassinés ce matin-là par les balles du Hamas.
« On les a retrouvés enlacés, tous les cinq, mais nous ne savons pas ce qui s’est passé », raconte Mme Levy-Slama en évoquant la mémoire de sa sœur Livnat Kutz, retrouvée morte à 49 ans aux cotés de son mari Aviv, 53 ans, de leur fille de 18 ans, Rotem, et de leurs fils Yonatan et Yftah (16 et 14 ans).
Avant de se rendre au kibboutz, près d’un an après le drame, Mme Levy-Slama a participé avec sa famille à une cérémonie marquant la fin du deuil juif au cimetière de Gan Yavné, à une trentaine de kilomètres de Kfar Aza.
« Tristesse, culpabilité, frustration, douleur, tous ces sentiments ne me quittent pas, ni le jour ni la nuit, depuis le 7 octobre », déclare, très ému, Asher Levy, le frère de Mme Kutz, devant les cinq tombes avant d’interpréter une chanson composée pour la circonstance.
« Signe de paix »
L’attaque des commandos du mouvement islamiste palestinien Hamas au matin du 7 octobre à partir de la bande de Gaza a entraîné la mort de 1 205 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP basé sur les chiffres officiels israéliens qui inclut les otages morts ou tués en captivité à Gaza.
À Kfar Aza, situé à tout juste deux kilomètres de la ligne de démarcation avec Gaza, 64 habitants ou invités du kibboutz ont été tués le 7 octobre, selon sa porte-parole, et 18 personnes ont emmenées comme otages. Les Kutz n’ont pas eu le temps de prévenir qui que ce soit de leurs proches.
La porte de derrière, brisée, témoigne de l’irruption des terroristes du Hamas dans leur maison, « un havre de bonheur », se souvient Mme Levy-Slama, qui a accepté d’accompagner une équipe de l’AFP sur place.
Elle se remémore les pique-niques sur la pelouse devant le pavillon, les rires de ses neveux jouant au basket, sa nièce jeune soldate, sa sœur qui était « tout » pour elle, et son beau-frère qui organisait un festival de cerfs-volants chaque année dans le kibboutz.
Le 6 octobre 2023, Aviv Kutz en préparait la 15e édition, prévue pour le lendemain.
Mme Levy-Slama montre le terrain abandonné sur lequel chaque année les habitants de Kfar Aza faisaient voler leurs cerfs-volants vers la bande de Gaza « en signe de paix ». Une façon de dire « vous nous envoyez des roquettes, nous vous envoyons des cerfs-volants », raconte-t-elle en référence aux projectiles, dont des ballons incendiaires, tirés régulièrement par la branche armée du Hamas et d’autres groupes palestiniens en direction d’Israël.
« Je n’oublie rien »
Dans un entretien entrecoupé de longs silences et de larmes, Mme Levy-Slama évoque la mémoire de sa sœur, qui avait fabriqué des ailes avec des jouets abîmés, une œuvre exposée sur le mur du réfectoire du kibboutz.
« Ces ailes sont comme un symbole que tout est possible, que chacun peut voler de ses propres ailes et aller très haut », explique-t-elle.
Sa sœur, qui devait fêter son 50ème anniversaire le 25 octobre 2023, avait refusé qu’on lui offre des cadeaux et demandé que chacun accomplisse ce jour-là un acte de bénévolat.
Devant la maison, dans le silence du kibboutz presque vidé de ses habitants depuis l’attaque du 7 octobre, Mme Levy-Slama se souvient de sa première visite une semaine après l’annonce de la mort de ses proches.
« La maison était intacte, le fait de voir les casseroles sur la gazinière, le pain de Shabbat sur la table montrait qu’il y avait de la vie. Maintenant, il n’y a plus de vie […] j’ai le cœur brisé », dit-elle en sanglots.
Âgé de 80 ans, Benny Kutz, le père de son beau-frère, vivait à Kfar Aza avec son épouse et ils ont échappé à la tuerie. Installé provisoirement à Tel Aviv, il affirme ne plus vouloir remettre les pieds au kibboutz où il a vécu presque 60 ans.
« Le temps ne fait pas son oeuvre et je n’oublie rien, j’y pense tout le temps… Je continue de souffrir… Je ne serai plus jamais le même », confie M. Kutz à l’AFP.
« J’ai perdu ma famille et ma maison, des pertes immenses », ajoute l’octogénaire.
Tribu éteinte
Racontant son histoire familiale, depuis l’arrivée de son père de Pologne en Palestine sous mandat britannique pour fuir les pogroms il y a 100 ans, il estime que « si on n’est pas arrivé à la sécurité et au calme » depuis toutes ces années « c’est un échec ».
Entouré des photos de son unique fils et de sa famille, il déplore que le nom de son père ne survivra pas : « La tribu Kutz est arrivée à sa fin ».
À Kfar Aza, le quartier dit « des jeunes » du kibboutz est toujours en ruine, toutes les maisons sont partiellement ou entièrement brûlées. Une affiche avec la photo et le nom de la personne tuée ou enlevée ce jour-là est posée devant chacune des maisons.
Le kibboutz n’autorise pas les visiteurs à y pénétrer, à l’exception de celle de Sivan Elkabetz, 23 ans, tuée le 7 octobre avec son compagnon Naor Hassidim, transformée en maison témoin de l’horreur.
On peut y voir les impacts de balles, le matelas renversé, des objets personnels, des habits qui traînent par terre… Les restes de vies détruites.
Dans les rues du kibboutz, Mme Levy-Slama, qui venait voir sa sœur et sa famille presque toutes les semaines, ne parvient toujours pas à se faire à l’idée « qu’ils ne reviendront pas ».