Lipstadt: L’antisémitisme ne disparaîtra pas, mais nous avons le pouvoir d’y remédier
Suite au nombre record d'actes antisémites aux États-Unis en 2022, l’envoyée de Joe Biden appelle les gouvernements étrangers à sérieusement s'attaquer à la haine des Juifs
Dans une tribune publiée mercredi à l’occasion de Pessah, le président américain Joe Biden a exposé l’approche de son administration en matière de lutte contre l’antisémitisme.
« Sous ma présidence, nous continuons à condamner l’antisémitisme. Ne pas dénoncer la haine, c’est être complice. Le silence est une complicité. Et nous ne nous tairons pas », a-t-il écrit dans sa tribune publiée sur le site web de CNN.
Biden a évoqué sa décision de nommer Deborah Lipstadt, spécialiste de la Shoah, première envoyée spéciale pour surveiller et combattre l’antisémitisme ; les visites du Second Gentleman Douglas Emhoff [NDLT : Le mari de la vice-présidente des USA, Kamala Harris] en Pologne et en Allemagne pour promouvoir la sensibilisation à la Shoah ; l’organisation d’un sommet de la Maison Blanche sur le thème de l’antisémitisme ; l’organisation d’un sommet à la Maison Blanche sur les violences motivées par la haine ; l’élaboration d’une stratégie inter-institutionnelle de lutte contre l’antisémitisme qui devrait être publiée dans le courant de l’année ; et l’organisation d’événements à la Maison Blanche qui renforcent la culture juive en tant qu’élément essentiel de l’histoire américaine.
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Néanmoins, les attaques antisémites aux États-Unis sont plus fréquentes que jamais.
Un rapport de l’Anti-Defamation League (ADL) publié le mois dernier a révélé qu’un nombre record de 3 697 incidents ont été signalés aux États-Unis l’année dernière. Ce chiffre correspond en moyenne à 10 incidents par jour et représente une augmentation de 36 % par rapport au record de 2021. Le chiffre de 2022 était le plus élevé depuis que l’ADL a commencé à tenir des registres en 1979.
Dans une interview accordée au Times of Israel, Lipstadt a déploré le nombre d’incidents signalés visant les Juifs, tout en suggérant que le succès des efforts de l’administration pour lutter contre l’antisémitisme ne devrait pas nécessairement être évalué à l’aune de ces incidents.
Elle a plutôt souligné ses efforts pour amener les gouvernements étrangers à prendre le problème au sérieux, tout en concédant que le succès sur ce front ne résoudra pas le problème de l’antisémitisme.
« Nous avons réussi à faire comprendre que l’antisémitisme n’est pas un problème de niche. Il ne s’agit pas seulement des Juifs… mais il a un impact sur notre politique étrangère et sur certains aspects de notre politique intérieure », a déclaré Lipstadt.
« Mes prédécesseurs avaient un peu plus de facilité dans la mesure où ils pouvaient aller dans ces autres pays et dire : ‘Vous avez un problème, et nous, aux États-Unis, nous en sommes très inquiets et nous voulons que vous vous en occupiez' », a-t-elle poursuivi.
« Mais comme l’a dit le secrétaire [d’État Antony] Blinken, lorsque l’ambassadrice Lipstadt se rend quelque part, elle ne peut pas dire que nous avons résolu le problème. Elle dit : ‘Nous savons que nous avons un problème. Que pouvons-nous faire ensemble ?’. »
« Quelqu’un m’a dit récemment : ‘Vous faites du bon travail’. J’ai répondu : ‘Vous savez, l’antisémitisme a considérablement augmenté’, ce à quoi il m’a répondu : ‘Oui, mais imaginez à quel point la situation serait pire si vous et votre équipe ne vous y attaquiez pas’. »
La capacité de Lipsadt à s’attaquer à l’antisémitisme au niveau national est limitée, car son mandat d’ambassadrice du Département d’État consiste à s’attaquer à la haine des Juifs à l’étranger. Elle n’est pas allée jusqu’à approuver la création d’un bureau supplémentaire chargé de lutter contre l’antisémitisme aux États-Unis. « Je pense que c’est une bonne chose que chaque agence (…) cherche à savoir comment s’attaquer à ce problème. Nous avons besoin de ce bureau au sein du Département d’État parce qu’il est passé entre les mailles du filet. »
Interrogée sur les raisons pour lesquelles un engagement accru ne conduirait pas nécessairement à une diminution des attaques, l’envoyée pour la lutte contre l’antisémitisme a répondu en citant un passage de la Haggadah de Pessah.
« Les auteurs de la Haggadah de Pessah, l’un de nos textes les plus anciens, ont reconnu il y a des centaines d’années que ‘dans chaque génération, il y a ceux qui se lèvent pour nous détruire’, ce qui explique pourquoi les historiens parlent de l’antisémitisme comme de la plus ancienne des haines », a déclaré Lipstadt. « Mais il y a une deuxième partie à ce passage de la Haggadah, et elle concerne la résilience : ‘Et Dieu nous sauve de leurs mains’. Pour les croyants, il s’agit d’une main divine qui les sauve. D’autres, des croyants compris, disent que c’est grâce aux gens que nous avons réussi à résister et à faire face [aux menaces contre les Juifs]. »
Lipstadt a déclaré qu’on lui demandait souvent si l’antisémitisme contemporain était comparable à celui de l’Europe des années 1930, ajoutant que le phénomène actuel n’était pas aussi grave. « Ce qui est radicalement différent, c’est que dans l’Europe des années 1930, l’antisémitisme était perpétré par des gouvernements ou par des individus bénéficiant d’un soutien important de la part des gouvernements. Aujourd’hui, une myriade de pays disposent d’envoyés et de représentants spéciaux pour lutter contre cette haine. »
Quant à l’ancien président américain Donald Trump – qui avait dénoncé le procureur de Manhattan qui l’a inculpé cette semaine comme le candidat « trié sur le volet » du milliardaire juif George Soros, Lipstadt a évité de faire un commentaire direct.
« Je ne veux pas m’impliquer là-dedans parce qu’il y a une campagne, mais je dirai que je suis troublée par beaucoup de gens et beaucoup d’autres pays et individus qui utilisent ce genre de croquemitaine. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela peut certainement avoir des implications antisémites », a-t-elle déclaré.
Pour ce qui est de l’avenir, Lipstadt a déclaré qu’elle souhaitait poursuivre son engagement avec les pays à majorité musulmane, à la suite des Accords d’Abraham que l’administration Trump a négociés entre Israël et plusieurs pays arabes.
« Bien que le conflit israélo-palestinien soit un différend territorial très grave, il s’agit d’une question distincte des préjugés. Je dirais que dire qu’il y a un conflit entre Israël et les Palestiniens et qu’il est donc normal de haïr les Juifs est mal et que c’est une forme de préjugé. Nous insistons sur ce message », a-t-elle déclaré.
« Il est certain que la question de l’utilisation abusive des réseaux sociaux est également à l’ordre du jour », a ajouté Lipstadt. « Je suis assez satisfaite de ce que nous avons pu faire jusqu’à présent, mais ce n’est qu’un début. »
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