« L’odeur de la mort » est omniprésente, affirme une Juive italienne
Alors que le nombre de victimes augmente, la communauté juive d'Italie s'appuie sur ses propres médias et sur les institutions communautaires pour garantir bien-être et solidarité

JTA – Au moins deux fois par jour, Micol Naccache fond en larmes à cause de ce que le coronavirus fait à sa ville de Milan et à sa communauté juive.
Enseignante au lycée et mère de deux enfants, Micol Naccache se décrit comme « une personne optimiste ». Mais elle lutte pour rester positive après la mort d’un de ses amis, victime de la maladie, dont l’apparition à Milan au début du mois a contraint toute l’Italie à un confinement qui dure maintenant depuis trois semaines.
« Je sens la mort autour de moi, c’est la première fois que quelque chose comme ça m’arrive », a commenté la femme de 48 ans, qui commence ses journées par désinfecter toute sa maison avec un spray à l’alcool, en partie pour se protéger et en partie pour se distraire. « C’est comme dans une guerre, où vous marchez et où les gens meurent autour de vous. Je ne les vois pas mourir, mais je la sens, la mort tout autour de moi ».
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Plus de 7 500 personnes sont mortes en Italie à cause du Covid-19, le plus grand nombre de décès de tous les pays. Quelque 800 personnes meurent chaque jour d’une maladie qui a submergé les services de santé locaux.

Isolés et inquiets, des milliers de Juifs italiens se sont tournés vers leurs médias et institutions communautaires pour trouver une bouée de sauvetage et un sentiment de solidarité.
L’une des victimes de la semaine dernière est Giorgio Sinigaglia, un ami de Micol Naccache et membre de la communauté juive de Milan. Ingénieur de 54 ans, il était père de quatre enfants. La semaine précédente, le virus avait tué Michele Sciama, un ancien dirigeant de la communauté.
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La pandémie a tué au moins cinq personnes juives à Milan, et toutes ont été enterrées dans le cimetière juif, a indiqué Alfonso Arbib, le rabbin de la communauté. Leurs corps n’ont pas été préparés conformément aux lois religieuses juives, ni à la tahara, qui consiste à laver le cadavre, entre autres rituels.

« Ce n’est pas sûr », a expliqué M. Arbib, « et préserver la vie est la chose la plus importante en ce moment ».
Plusieurs autres membres de la communauté sont morts ces derniers jours, a-t-il dit, bien qu’on ne sache pas encore si leur décès est dû au Covid-19. M. Arbib a également déclaré que parmi les plusieurs malades, certains se battent pour leur vie.
La semaine dernière, des images de camions de l’armée transportant des corps à incinérer dans la ville de Bergame, dans le nord du pays, ont stupéfié l’Italie. Alfonso Arbib a rapporté que ces scènes étaient particulièrement choquantes pour les Juifs italiens, dont la foi interdit l’incinération.
« Jusqu’à présent, nous avons pu empêcher cela parce que les enterrements sont encore autorisés sous certaines conditions, mais il est à craindre que cela ne soit plus possible si le nombre de morts continue d’augmenter », a-t-il commenté.

De nos jours, les funérailles sont des événements limités, seuls dix proches du défunt étant autorisés à y assister. Les coutumes de la shiva et du nichum avelim – les sept jours de deuil au domicile du défunt et les visites des parents, amis et connaissances pendant cette période – ont été rendues impossibles en raison du confinement du pays.
« Perdre un être cher sans lui dire au revoir est vraiment douloureux », a témoigné Stefania Sciama, la fille de l’ancien chef de la communauté de Milan, au Times of Israel dans une interview publiée jeudi. « Mon père est mort seul, et maintenant je ne peux même pas réconforter ma mère. »
Sa mère, Viviane, est seule chez elle et reste en contact avec d’autres membres de sa famille par le biais de conversations par vidéo.
La perspective de partager le destin de Stefania Sciama terrifie Liliana Segre, sénatrice juive de Milan âgée de 89 ans et une survivante de la Shoah.
« Je dois dire la vérité, la chose qui me fait le plus peur est de mourir seule », a-t-elle confié mardi à Moked, le service d’information juif italien. « J’ai déjà vu ceux qui sont morts seuls, mais je ne pensais pas que je serais moi aussi en première ligne ».
Milo Hasbani, le président de la communauté juive de Milan, une association à but non lucratif représentant la plupart des institutions juives de la ville, se sent « impuissant pour aider les personnes que je suis chargé d’aider, et c’est un sentiment très difficile », a-t-il fait savoir à la JTA.
« En fait, je ne peux pas faire grand-chose en pratique, car je ne peux pas quitter mon domicile. C’est très difficile ».
La communauté de Milan a réussi à organiser un service d’assistance pour les personnes âgées qui se retrouvent seules, notamment en leur livrant des produits alimentaires et des médicaments à domicile. Elle a également exploité des plateformes de chat vidéo et de streaming pour préserver un sentiment d’unité.
Alfonso Arbib donne quotidiennement des leçons sur la Torah sur Facebook à des dizaines de téléspectateurs. Chaque fois qu’un membre de sa congrégation meurt, il consacre la leçon suivante au défunt et fait une nécrologie, tandis que ses disciples ajoutent leurs propres mots dans les commentaires de texte.
Le site web de la communauté de Milan, Mosaico, a publié une nécrologie sur chaque personne disparue à cause de la maladie et a invité les lecteurs à ajouter leurs propres mots dans les commentaires.
Celui sur Giorgio Sinigaglia, l’ingénieur, a reçu environ 200 commentaires, notamment d’amis proches qui se souviennent de moments qu’ils ont partagés avec lui. Des encouragements et des condoléances ont été adressés à sa veuve et à ses enfants.

« Je ne suis pas un fan de Facebook et de la communication sur internet, je suis plutôt un gars de la vieille école, surtout quand il s’agit de transmettre des condoléances », a commenté M. Hasbani, « mais maintenant nous n’avons nulle part ailleurs qu’internet pour nous rassembler pour faire notre deuil. C’est donc ce que vous voyez ».
Dans un « moment difficile d’isolement social et de solitude », le site web est destiné à faciliter « la proximité émotionnelle et le partage de la douleur », a expliqué Fiona Diwan, rédactrice en chef du site web et du mensuel juif milanais Bet Magazine.
« Quand les étreintes, la sociabilité et la possibilité d’enterrer l’être aimé manquent, il ne reste que les mots écrits », a-t-elle déclaré.
Micol Naccache, l’enseignante, écoute les leçons d’un rabbin et auteur romain, Benedetto Carucci Viterbi.
« Il donne de belles leçons qui me touchent vraiment et me donnent la force de continuer », confie-t-elle.
Ses enfants, âgés de 8 et 10 ans, fréquentent l’école juive de Milan, La Scuola Ebraica, qui compte 500 élèves. Comme la plupart des autres écoles en Italie, elle est passée à l’enseignement à distance, mais « il est très difficile pour les élèves de se concentrer », a commenté celle qui enseigne également le droit et l’économie à distance dans une autre école.
Le 9 mars, des centaines de Juifs italiens ont regardé en direct une lecture du Parchemin d’Esther pour Pourim sur la plateforme de vidéoconférence Zoom. Le rabbin Ariel Finzi de Naples a lu le texte alors qu’il était assis sur un canapé de style baroque, vraisemblablement chez lui. Des participants de toute l’Italie ont laissé des mots d’encouragement sur l’espace de dialogue de Zoom.
« C’était un moment fort, nous étions tous chez nous, mais on pouvait vraiment sentir la communauté autour de nous », a témoigné Adam Smulevich, journaliste pour Moked, le service d’information de l’Union des communautés juives italiennes, qui représente les quelque 30 000 citoyens juifs du pays.
Moked, qui a été fondé en 2009, est devenu un relais central pour les foyers qui pleurent la crise sanitaire de manière isolée.
Depuis le début du confinement, Moked a augmenté sa production d’articles et a lancé des éditions vidéo qui sont diffusées en streaming sur Facebook. Elle produit également au moins trois bulletins d’information par jour grâce à ses quelque 100 collaborateurs, ainsi qu’un magazine et un journal pour enfants chaque mois.

« Au début, c’était plus loin et maintenant ça se rapproche, ça paraît assez proche maintenant », a commenté Daniel Reichel, un journaliste basé à Milan qui fait partie de l’équipe de cinq personnes de Moked.
Les Juifs italiens se rassemblent par le biais des sites web de leur communauté, des médias et des sermons en streaming, mais aussi « sur les groupes familiaux WhatsApp », a-t-il dit. Sa famille, qui est répartie dans toute l’Italie et en Israël, a créé son premier groupe de ce type pour rester en contact pendant la crise.
Mais Daniel Reichel, 33 ans, n’a que peu de temps pour l’utiliser et communiquer avec ses proches. Ces jours-ci, les journalistes de Moked se réveillent à l’aube et travaillent jusqu’à environ 22h30, a-t-il indiqué.
« Notre responsabilité est importante en temps normal, mais maintenant elle est double : nous devons fournir des informations, bien sûr, mais aussi transmettre des encouragements, proposer parfois une distraction, lutter contre la solitude, inspirer et combattre les fausses informations », a-t-il expliqué. « Mais il s’agit aussi d’apporter une bouée de sauvetage, d’être présent dans la vie des gens qui sont devenus très seuls, très vite ».
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