L’UE, y compris l’Allemagne, presse les Palestiniens d’organiser des élections
D'après un officiel palestinien, la chancelière allemande a récemment dit à Mahmoud Abbas qu'elle avait remporté quatre élections depuis qu'il a été élu en 2005
L’Union européenne (UE) fait pression sur l’Autorité palestinienne (AP) pour qu’elle organise des élections législatives et présidentielles, alors que l’institution semble glisser vers une approche plus musclée à l’égard des affaires palestiniennes après être devenue récemment le principal soutien financier de Ramallah.
L’UE est devenue le principal donateur de l’AP après que l’administration américaine, qui occupait la place, a décidé de mettre fin au versement de millions de dollars d’aide sécuritaire et économique en 2018 et 2019.
« L’Europe envoie un message très clair à l’Autorité palestinienne et au président Abbas, celui que des élections doivent avoir lieu », a fait savoir au Times of Israël une source de l’UE, s’exprimant sous couvert d’anonymat.
« Certains en Europe se demandent : ‘Pourquoi versons-nous tout cet argent alors que nos objectifs ne sont pas atteints ?' », a fait savoir la source, rappelant que parmi les objectifs de l’UE figurent la solution à deux États et le développement d’institutions palestiniennes démocratiques.
L’AP n’a pas tenu d’élections parlementaires ou présidentielles depuis 2006 et 2005.
Un officiel palestinien, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, a affirmé que la chancelière allemande avait fait personnellement passer le message à Mahmoud Abbas lors d’une rencontre à Berlin en août qu’elle pensait que les Palestiniens devaient faire en sorte d’organiser des élections.
« Quand avez-vous été élu pour la dernière fois ? », a demandé Angela Merkel à Abbas lors de la rencontre, d’après l’officiel.
Lorsqu’Abbas lui a répondu 2005, son interlocutrice lui a répondu « J’ai été élu quatre fois depuis votre dernière élection », a rapporté l’officiel.
Saeb Erekat, le secrétaire-général du Comité exécutif de l’OLP, qui était présent à la réunion entre Abbas et Merkel, a indiqué qu’il ne pouvait pas commenter les échanges privés entre les dirigeants palestinien et allemand.
Un porte-parole du Bureau représentatif de l’Allemagne à Ramallah a fait savoir que le bureau « ne commente pas les discussions en coulisses de membres du gouvernement ou dans un contexte diplomatique ».
Pressant ou encourageant ?
L’AP et le Hamas sont à couteaux tirés depuis que ce dernier a chassé son rival de la bande de Gaza en 2007. Plusieurs tentatives de réconciliation entre les deux camps ont échoué.
Ces dernières années, l’UE a versé des centaines de millions d’euros aux Palestiniens. En 2018, sa contribution s’est élevée à plus de 400 millions d’euros.
Des diplomates britanniques, français, allemands, italiens et espagnols ont rencontré le Premier ministre de l’AP, Mohammed Shtayyeh, au début de la semaine et lui ont fait savoir que l’AP devait agir en faveur de la tenue d’élections, a ajouté la source au sein de l’UE. Un responsable de l’AP, qui a demandé à rester anonyme, a confirmé la tenue de cette réunion.
En septembre, Mahmoud Abbas a déclaré lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York qu’il allait convoquer des élections dans un futur proche.
Depuis, il a rencontré plusieurs fois le responsable de la commission centrale électorale de l’AP, Hanna Nasser, à ce sujet. Dans le même temps, le Hamas s’est dit prêt à participer à des scrutins législatif et présidentiel.
Le ministre des Affaires sociales, Ahmad Majdalani, a assuré que l’UE ne faisait pas « pression » sur les Palestiniens en ce sens, mais les y « encourageaient » simplement.
Wasel Abu Yousef, membre du Comité exécutif de l’OLP, a indiqué que ce n’était pas un « secret que les Européens, comme nous, souhaitent la tenue d’élections ».
Israël autorisera-t-il le vote à Jérusalem-Est ?
Pour les Palestiniens, ce qui retarde principalement ces élections, c’est qu’Israël n’a pas fait savoir s’il autoriserait l’organisation du scrutin à Jérusalem-Est.
Israël considère toute la ville comme sa capitale souveraine.
D’après un officiel palestinien, qui a également demandé à rester anonyme, Israël a reçu une demande de l’Autorité palestinienne à cet égard, mais n’a pas encore donné sa réponse.
Espérant rassembler les Palestiniens autour de la tenue d’élections, l’UE fait pression sur Abbas pour qu’il promulgue un décret présidentiel établissant les dates des élections législatives et présidentielle, même si Israël n’a pas encore annoncé s’il autoriserait leur tenue à Jérusalem-Est, a ajouté la source européenne.
Mais Abbas n’a pas accédé à la requête européenne, réitérant qu’il ne promulguera un décret que lorsque l’État juif aura accepté de donner une suite favorable à sa demande concernant la partie orientale de Jérusalem.
« Nous voulons des élections, car depuis 2006, des élections législatives et présidentielle n’ont pas eu lieu ici. Nous devons donc tenir ces élections, mais pas à n’importe quel prix », a déclaré Abbas lors d’une réunion du Conseil révolutionnaire du Fatah le 17 décembre dernier.
« Certains disent : « Promulguez un décret’. Pourquoi devrions-nous le faire ? Pour faire pression sur Israël ? Imaginez qu’Israël ne nous en donne pas l’autorisation, à quoi nous servirait ce décret ? », a-t-il ajouté.
Erekat a appelé l’UE et la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu’il réponde à la demande des Palestiniens concernant Jérusalem-Est.
« J’exhorte les Européens et la communauté internationale à dire à Israël de répondre à notre demande au sujet des élections à Jérusalem », a réagi Saeb Erekat lors d’un appel téléphonique. « Si nous recevons une réponse positive de la part du gouvernement israélien, le président promulguera un décret dès le lendemain ».
Les accords d’Oslo, signés par Israël et l’OLP dans les années 1990, a établi un mécanisme permettant aux Palestiniens de voter à Jérusalem-Est.
L’écrasante majorité des Palestiniens de Jérusalem-Est ne peuvent pas prendre part à des élections en Israël, car la législation israélienne ne permet qu’à ses citoyens de s’exprimer dans des urnes. Or, les intéressés ne détiennent pas la citoyenneté israélienne, mais le statut de résident permanent.
Michael Milstein, le responsable du Forum d’études palestiniennes au centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines, pense qu’Abbas utilise cet argument comme prétexte à la non-tenue d’élections.
« La question de Jérusalem-Est fournit une échappatoire à Abbas. Il n’a jamais voulu que des élections aient lieu et sait qu’il n’y a aucune chance que le Premier ministre [Benjamin] Netanyahu les autorise à Jérusalem-Est dans les prochains mois », a-t-il affirmé. Israël doit organiser son troisième scrutin législatif en moins d’un an, le 2 mars 2020.
Erekat dément les arguments selon lesquels les Palestiniens ne souhaitent pas d’élections.
« Nous voulons des élections plus que tout le monde. La démocratie palestinienne est notre plus grand intérêt », a-t-il assuré.
Michael Milstein espère également que l’Europe ne fasse pas « trop » pression sur Abbas, estimant que l’affaiblir pourrait nuire à la stabilité de l’Autorité palestinienne.
D’autres analystes ont confirmé qu’il était peu probable qu’Israël accepte un scrutin à Jérusalem-Est, et d’autres questions intra-palestiniennes ont semé le doute sur la perspective d’élections.
« La possibilité que des élections ait lieu est très faible », d’après Jihad Harb, un expert palestinien basé à Ramallah. « Je pense qu’elle se situe autour des 20 % ».
Jihad Harb estime que l’Autorité palestinienne et le Hamas ne sont pas parvenus à s’entendre sur de nombreuses questions liées aux élections, comme celles de savoir quel tribunal sera chargé des éventuels arbitrages et qui assurera la supervision policière nécessaire.