L’Ukraine marque les 75 ans du massacre de près de 34 000 juifs à Babi Yar
Les 29 et 30 septembre 1941, près de 34 000 Juifs ont été tués par balles par les nazis, aidés par des miliciens ukrainiens au ravin de Babi Yar
L’Ukraine commémore jeudi les 75 ans du massacre de Babi Yar, un ravin à Kiev où plus de 34 000 juifs furent tués par les nazis les 29 et 30 septembre 1941, l’un des carnages les plus atroces de la Seconde Guerre mondiale.
Ces cérémonies interviennent au moment où l’Ukraine prend ses distances avec son passé soviétique et revisite notamment l’histoire complexe et controversée du rôle joué par les nationalistes ukrainiens pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une cérémonie de commémoration est prévue sur le site du massacre à partir de 15H30 GMT, en présence du président ukrainien Petro Porochenko. Le président israélien Reuven Rivlin devait initialement prendre part à la cérémonie mais a dû interrompre sa visite officielle en Ukraine pour rentrer en Israël après le décès de l’ancien président Shimon Peres.
Avant la cérémonie, une déclaration d’intention en vue de construire « le premier centre mémorial pour les victimes du massacre de Babi Yar en Ukraine » a été signée notamment par le grand rabbin de Kiev et d’Ukraine, Yaakov Dov Bleich.
Les organisateurs espèrent que l’ouverture de ce complexe mémorial aura lieu en 2021, une date qui coïncidera avec les 80 ans du massacre.
« L’Holocauste est la page la plus tragique de l’histoire du peuple juif. (…) Ensemble, nous construisons une Ukraine où il n’y pas de place pour l’antisémitisme », a déclaré le président Petro Porochenko, présent lors de l’évènement.
Actuellement, le site abrite un monument construit en 1976 mais dédié aux « citoyens et prisonniers de guerre soviétiques », sans aucune mention des victimes juives. En 1991, un mois après la chute de l’URSS, la communauté juive avait également érigé non loin de là une sculpture en forme de menorah, le chandelier juif à sept branches.
L’Ukraine organise depuis quelques années seulement de grandes cérémonies commémoratives de la tragédie, volontairement ignorée par les autorités durant la période soviétique.
Un court film, réalisé par les organisateurs, a également été présenté, dans lequel s’exprimaient des survivants de Babi Yar.
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« Il y a peu de gens comme moi encore en vie. Dans peu de temps, nous serons tous partis, et cela sera oublié une fois pour toute. Et à Kiev, là où tout a eu lieu, il n’y a toujours pas de musée consacré à l’Holocauste », a déclaré l’une d’elles dans cette vidéo, Galina Kozira.
Les 29 et 30 septembre 1941, plus de 34 000 Juifs ont été tués par balles par les nazis, aidés par des miliciens ukrainiens au ravin de Babi Yar.
Les nazis, qui occupaient Kiev depuis le 19 septembre 1941, avaient diffusé des affiches en ukrainien ordonnant « à tous les juifs » de « se rassembler le 29 septembre 1941 vers 8 heures du matin au croisement des rues Melnik et Dokterivska » avec leurs papiers d’identité, de l’argent et des vêtements chauds. « Celui qui désobéira à cet ordre sera fusillé », prévenait le texte, perçu à Kiev comme l’annonce d’une déportation.
Des dizaines de milliers de personnes venues avec leurs affaires, pour l’essentiel des vieillards, femmes et enfants, avaient été tués à la mitrailleuse au bord du ravin.
Jusqu’en 1943 le site a été le théâtre d’exécutions massives : jusqu’à 100 000 personnes y ont été tuées, parmi lesquelles des juifs, des tziganes, des combattants de la résistance et des prisonniers de guerre soviétiques.
Le président allemand Gauck a dit aux milliers de personnes rassemblées sur le site jeudi soir que les nazis « ont même utilisé des Ukrainiens nationalistes comme assistants de police. »
« Mais nous admettons également que non seulement les gardes spéciaux (des camps de la mort), mais également des (soldats) ordinaires de la Wehrmacht ont participé à ces crimes », a déclaré Gauck. « Les Allemands doivent considérer les massacres de Babi Yar avec le plus grand sentiment de culpabilité. »
Dans son discours, le chef du Congrès juif mondial Robert Singer a également demandé à « tous les pays concernés, pas seulement l’Ukraine, d’assumer la responsabilité de leurs actes durant cette période sombre. »
Controverse avec le président israélien
Depuis l’arrivée au pouvoir d’autorités pro-occidentales début 2014, Kiev tente de rompre définitivement avec l’héritage soviétique. Kiev a ainsi promulgué en 2015 des lois interdisant les symboles soviétiques et nazis, et condamnant ces deux régimes.
Mais ces lois glorifient les combattants nationalistes ayant un temps lutté aux côtés des nazis contre les forces soviétiques.
Lors de son court séjour en Ukraine, le président israélien s’est attiré les critiques de certains responsables ukrainiens, après avoir évoqué lors d’un discours au Parlement l’implication de certains de ces combattants dans les massacres de juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.
« De nombreux collaborateurs des crimes étaient Ukrainiens. Et parmi eux il y avait des combattants de l’OUN (l’Organisation des nationalistes ukrainiens, ndlr), qui se moquaient des juifs, qui les ont tués et dans de nombreux cas livrés aux Allemands », a-t-il déclaré.
Le président israélien « s’est permis, à mon avis, une évaluation incorrecte et peu diplomatique de certaines pages tragiques de l’histoire ukrainienne, en particulier, de celle de l’OUN », a réagi la députée Irina Gerachtchenko, qui négocie les questions humanitaires durant les pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie à Minsk.
« Certaines déclarations de notre invité étaient déplacées en ces jours de deuil, dans le Parlement d’un pays qui lutte si difficilement pour son indépendance », a-t-elle ajouté, illustrant le rapport ambigu que l’Ukraine entretien avec son Histoire, compliquée, du XXe siècle.
Le drame de Babi Yar a été révélé lors des grands procès de Nuremberg (sud de l’Allemagne), mais l’URSS, dont l’Ukraine faisait partie, a toujours cherché à minimiser le drame pour ne pas avoir à admettre que les victimes étaient juives.