Martelée par les canons russes, Kharkiv est sombre, silencieuse, mais vivante
Le Times of Israel a visité les quartiers les plus durement touchés de la deuxième ville d'Ukraine avec l'agence de secours israélienne IdeaSoft HelpKharkiv
- Un parking dans le nord-est de Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Une école à Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Un bâtiment dans le centre de Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Un bâtiment dans le centre de Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Un marché dans le centre de Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Le centre de Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
- Lazar Berman, correspondant diplomatique du Times of Israel, à Kharkiv, le 27 juillet 2022 (Crédit : Lazar Berman/The Times of Israel)
KHARKIV, Ukraine – Kharkiv est blessée.
Mais elle vit encore, aucun doute là-dessus, comme en témoignent les tramways de l’ère soviétique qui avancent péniblement sur leurs rails. Ou ces hipsters barbus et ces soldats au repos que l’on aperçoit à l’extérieur des quelques bars encore ouverts, buvant de la bière et fumant des cigarettes. On peut même commander un latté glacé dans le centre-ville.
Mais les plaies ouvertes sont omniprésentes. Le siège administratif de six étages, qui date de l’ère soviétique, a été visé par des missiles russes au cours de la première semaine de la guerre, et l’on peut voir ses fenêtres explosées depuis la Place de la Liberté.
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Avant l’invasion russe, la deuxième plus grande ville d’Ukraine était un important centre scientifique, universitaire et industriel. Aujourd’hui, ses rues sont pratiquement vides. Et à la nuit tombée, Kharkiv est à mille lieues des villes relativement normales comme Kiev ou Lviv.
Pour empêcher les forces russes de cibler la ville, Kharkiv a imposé un black-out. Les lampadaires des rues ne sont pas allumés et aucune lumière ne doit filtrer à travers les rideaux des maisons.
Les hôtels dans la ville sont particulièrement sinistres. Avec le black-out en vigueur, trouver la porte de ma chambre – ou n’importe quelle porte d’ailleurs – au troisième étage de mon hôtel s’est avéré impossible sans lampe de poche. Lorsque la Russie a frappé le centre de Kharkiv avec des missiles S-300 peu après minuit dans la nuit de jeudi à vendredi, à une distance suffisamment proche pour que l’hôtel tremble, l’obscurité dans les couloirs a ajouté à la tension des clients qui se dirigeaient à tâtons vers le bar servant d’abri de fortune à l’hôtel.

Au sein de la ville meurtrie, certains quartiers ont subi de plein fouet l’assaut de la Russie. Les quartiers nord-est de Kharkiv ont été le théâtre d’intenses combats de maison à maison au début de la guerre et ont été la cible de bombardements lorsque la tentative russe de prendre la ville s’est heurtée à une forte résistance ukrainienne.
Le Times of Israel s’est rendu aux abords de la ville avec IdeaSoft HelpKharkiv, une agence de secours cofondée par l’entrepreneur ukraino-israélien Peter Kolomiets, qui dirigeait un fonds de capital-risque et une société de logiciels dans la ville avant la guerre.
Comme Kolomiets est en Israël depuis le début des hostilités, c’est Sergey, 34 ans, qui dirige sur place les opérations de secours.
Ancien officier de l’armée ukrainienne, chargé des munitions, Sergey, qui est très convivial, se construisait une carrière dans la vente avant le début des hostilités. Après le bombardement par la Russie de la batterie antiaérienne de Kharkiv, le premier jour de la guerre, il s’était réfugié à Lviv avec sa petite amie. Mais trois jours plus tard, le beau-frère de Sergey lui a demandé de revenir pour mettre en place le centre de secours au siège d’IdeaSoft.
Il a commencé par rassembler des volontaires sur le forum de discussion de la communauté locale de joueurs d’airsoft, un jeu d’équipe utilisant des armes factices. Aujourd’hui, l’opération fonctionne avec une efficacité décontractée. L’ambiance est bon enfant, parmi les volontaires ; il se racontent des blagues tout en se préparant à livrer des colis dans des zones encore toujours cibles de l’artillerie et des roquettes russes.
IdeaSoft achète pour près de 50 000 dollars de médicaments par mois et a déjà livré des colis à plus de 80 000 adresses pendant la guerre. Certains de ces endroits sont des sous-sols dans lesquels sont réfugiées des familles entières.

Bien qu’aucun des volontaires n’ait été blessé au cours de leurs tournées, de nombreux incidents ont été évités de justesse. « Il s’agit principalement de bombes à proximité lorsque nous remettons aux gens leur livraison, leur commande », a déclaré Sergey jeudi. « Alors mes gars apportent les premiers secours ».
Quartiers meurtris
Il y avait une chance infime, mais néanmoins bien réelle, de se retrouver sous le feu des Russes jeudi matin, lorsque le Times of Israel s’est joint aux volontaires Dima et Yevgeny. Alors qu’ils chargeaient leur camionnette blanche de cartons, on entendait résonner dans les rues le bruit d’explosions quelque part dans la ville. Nous avons enfilé nos gilets pare-balles et mis nos casques à nos pieds en grimpant dans le véhicule.
En quittant le centre-ville en direction du nord-est, nous nous sommes arrêtés devant une école primaire qui avait été touchée par un missile, son squelette noirci par le feu.
Nous sommes passés devant le bâtiment où vit Dima, dans un appartement au neuvième étage. « On peut voir les roquettes lancées depuis Belgorod », dit-il, en faisant référence à la ville frontalière russe située à une heure de route. « On peut voir où ça monte et où ça descend. »

Le 3 avril, un immeuble d’habitation de neuf étages de la rue Buchmy a été touché par une roquette, déclenchant un incendie qui a vidé la structure. Des piles de briques jonchent le sol devant une entrée qui empeste encore la fumée.
Alexander, un ouvrier du bâtiment, possède un appartement au cinquième étage. Il dormait, seul chez lui, lorsque la roquette a frappé à 1 heure du matin. « La roquette a traversé le bâtiment et a mis le feu au neuvième étage », a-t-il dit. « Je suis sorti en courant, car je pensais qu’après la première frappe, il y en aurait une deuxième. »
Bien que le bâtiment n’ait plus d’électricité, d’eau courante, ni même de fenêtres, Alexander vit toujours dans son appartement. Il dort dans un sac de couchage militaire sur un lit de camp. Un simple fil reliant le sol en contrebas maintient une radio en vie sur une chaise. Des bénévoles de World Central Kitchen lui apportent de la nourriture, empilée sur une table en face de son lit. Il conserve sa vaisselle et son argenterie brûlées dans des boîtes en carton dans ce qui était la cuisine.
Les limites de la ville active sont situées dans le quartier de Saltivka, plus au nord-est. Là, les bus ne s’aventurent plus au-delà d’un carrefour précis, et pas un seul magasin n’est ouvert. Des rangées d’immeubles d’habitation blancs portent les marques d’incendies récents. Des carcasses de voitures criblées d’éclats d’obus moisissent sur les parkings, certaines sont renversées dans des cratères d’impact. Les sons de la télévision dérivent à travers la destruction, preuve qu’il y a encore de petites poches de vie parmi les murs nus et le verre brisé.

« Pour vivre ailleurs, il faut des ressources », explique Yevgeny. « Et il n’y a presque pas de travail pour ceux qui sont restés. L’argent est rare, la nourriture est rare. C’est pour cela que nous devons assurer les livraisons. »
« La Russie est un État terroriste », peut-on lire sur un graffiti peint sur un morceau de trottoir de la rue Friendship Among Nations Street. En arrière-plan, une tour vacille en témoignage silencieux de cette accusation, l’appartement éventré déversant son contenu sur l’herbe.
En reprenant la route en direction de la ville, l’animation des quartiers reprend de plus belle. Les habitants attendent aux arrêts de bus, les voitures circulent dans les rues, et les acheteurs fouinent autour des vendeurs sur les trottoirs.
Mais ici aussi, les missiles russes ont fait des ravages. Un marché en plein air a été transformé en rangées d’étals calcinés au 15e jour de la guerre. Il est encore possible de discerner ce que chaque étal vendait, car les restes de leurs marchandises sont reconnaissables parmi les décombres.

Zhenya a fait le tri dans son magasin d’électronique avec un ami. « Nous essayons de vivre et de nettoyer », a-t-il dit, estimant ses pertes à 20 000 dollars.
« Ce qui nous est arrivé, je veux que cela arrive aux Russes », a-t-il dit.
Selon Dima, il y a un facteur psychologique dans les frappes russes. « Les Russes avaient l’habitude de frapper tous les soirs à 11 heures du soir. Les gens savaient qu’il y aurait des explosions. Puis ils sont passés à 4 heures du matin. Ensuite, ils changent simplement d’heure. »

La camionnette cahote dans des rues défoncées entre les immeubles d’habitation et les sites industriels vides pour atteindre les familles qui attendent. Les bénévoles vérifient d’abord les pièces d’identité, avant de remettre des boîtes et des miches de pain. La plupart des bénéficiaires sont de bonne humeur, ou du moins font bonne figure.
Comme des singes stupides
Les longues heures de travail chez IdeaSoft peuvent avoir des conséquences sur le personnel. Deux jeunes femmes sont assises devant des ordinateurs, prenant des appels et marquant des adresses sur leurs écrans.
Katya, 25 ans, vit désormais dans le sous-sol du bureau. Originaire de Mairupol, elle n’a pas de famille à Kharkiv.

» Ce sont de véritables montagnes russes émotionnelles « , dit-elle. « Vous pouvez vous réveiller dans une humeur et finir dans une autre. On vit sous tension permanente, et ce pour de longues périodes, ce qui a des conséquences sur notre bien-être. »
Nastya, dont la tante vit dans la ville israélienne de Bat Yam, a déclaré que ses parents refusaient de quitter Kharkiv. « Nous sommes nés ici, nous allons mourir ici », a déclaré la jeune femme de 27 ans. « Nous avons des proches et de la famille ici, comment pouvons-nous partir ? Quelqu’un doit nous aider. »
Au milieu des ordinateurs, des piles de fournitures et des réfrigérateurs remplis de bière mexicaine, il y a des signes de réelle colère parmi le personnel.
Ils se sentent quelque peu abandonnés par leur gouvernement. « Plus vous allez vers l’ouest, plus les militaires sont bien armés, » dit Sergey.
Ils sont fatigués d’entendre que les réseaux de défense aérienne de l’Ukraine fonctionnent à Kiev et à Lviv, dit-il. « Ici, tout explose au sol. »

Le gros de leur rage est bien sûr réservé aux Russes.
« On dirait des fascistes – ce sont de vrais fascistes « , se renfrogne Sergey. « C’est – ils violent, ils tuent, ils font tout. Ils sont comme des singes stupides. Non, les singes sont plus intelligents. »
« Les Russes sont des crétins. Ils devraient tous mourir », a-t-il poursuivi.
Sergey a pris une gorgée de bière, puis s’est ravisé. « Seulement 100 millions devraient mourir. »
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