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Analyse

Meir Kahane, son idéologie et Israël

Une fusion politique de l'extrême-droite négociée par Netanyahu fait face à une vive opposition, car elle pourrait faire entrer les Kahanistes à la Knesset - ou dans une coalition

Le rabbin Meir Kahane lors d'une conférence de presse à New York, le 31 août 1984. (Crédit : Gene Kappock/NY Daily News Archive via Getty Images via JTA)
Le rabbin Meir Kahane lors d'une conférence de presse à New York, le 31 août 1984. (Crédit : Gene Kappock/NY Daily News Archive via Getty Images via JTA)

JTA — Dans les années 1980, la droite et la gauche israéliennes se sont affrontées au cours de trois scrutins rapprochés et féroces pour déterminer qui prendrait la direction du pays, avec une division des votes qui s’était avérée si uniforme qu’une des élections avait conduit au partage des pouvoirs.

Et pourtant, durant cette période tendue, le Parti travailliste et le Likud s’accordaient au moins sur une chose : le rabbin Meir Kahane, extrémiste de droite, était indigne de siéger à la Knesset.

Kahane appelait à l’expulsion des Arabes d’Israël, et sa formation Kach avait de lourds antécédents en termes de harcèlement des Arabes israéliens. Avant de s’installer en Israël, Kahane était le leader de la Ligue de défense juive (LDJ) à New York. L’homme, au cours de sa vie, aura été condamné à des peines de prison aussi bien aux Etats-Unis qu’en Israël.

Quand Kahane fut élu à la Knesset en 1984 malgré une forte opposition, les autres députés quittaient le Parlement en masse à chaque fois qu’il était amené à prendre la parole. Les groupes juifs américains l’avaient, eux aussi, souvent dénoncé.

« Ce phénomène dangereux ne durera pas parce qu’aucune personnalité publique, aucun membre de la Knesset ne lui apporte son soutien », avait commenté un jour le Premier ministre Yitzhak Shamir issu du Likud au sujet de Kahane, selon Haaretz. Il avait également qualifié le rabbin de « dangereux ».

Le suprématiste juif Meir Kahane – au centre, barbu – qui prônait l’expulsion de tous les arabes d’Israël et des territoires capturés durant la guerre de 1967, vote pendant la première session à la Knesset de Jérusalem, le 13 août 1984 (Crédit : AP Photo/Anat Givon)

Plus de trois décennies plus tard, il semblerait que les temps aient changé : le Premier ministre actuel du Likud, Benjamin Netanyahu, a usé de son influence pour que les successeurs idéologiques de Kahane puissent se présenter à la Knesset. Craignant que la droite israélienne ne perde le pouvoir, Netanyahu a orchestré une fusion entre HaBayit HaYehudi – un parti national religieux – et Otzma Yehudit (Pouvoir juif), un groupe d’extrême-droite dirigé par les disciples de Kahane. Cette alliance augmente les chances du parti uni de remporter suffisamment de votes pour siéger au Parlement israélien.

L’éventuelle victoire des candidats d’Otzma Yehudit ou l’influence qu’ils pourraient avoir à la Knesset s’ils y sont élus restent indéterminées. Mais plusieurs groupes juifs américains ainsi que des personnalités publiques israéliennes s’opposent à cette fusion, la considérant comme la reconnaissance publique d’un extrémisme rejeté par les précédents gouvernements israéliens.

Yossi Klein Halevi (Crédit: Frederic Brenner)

« Je n’aurais jamais pensé voir ça un jour », s’est exclamé Yossi Klein Halevi, un auteur américano-israélien disciple de Kahane dans sa jeunesse et opposant fervent de cette idéologie aujourd’hui, devant les caméras d’i24 News.

« Toutes les sociétés ont leurs fanatiques en marge. Mais ce qu’a fait le Premier ministre, parce qu’il est désespéré, parce qu’il est dans une course politique dans laquelle les écarts se réduisent de plus en plus, c’est ouvrir la porte au diable ».

De nombreuses organisations juives américaines centristes et libérales ont fait savoir qu’elles s’opposaient à cette fusion cette semaine. Le mouvement réformé, l’ADL (Anti-Defamation League), l’AJC (American Jewish Committee) et plusieurs autres groupes ont qualifié l’encouragement apporté à Otzma Yehudit de caution inacceptable apportée à l’extrémisme.

Michael Ben Ari (à gauche) prend la parole lors d’une cérémonie en l’honneur de feu le rabbin Meir Kahane, dirigeant extrémiste juif, dans une salle de Jérusalem, le 26 octobre 2010. A droite, Baruch Marzel. (Yossi Zamir / Flash 90)

Vendredi, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committe), le groupe de lobby pro-israélien, a repris à son compte la condamnation de l’AJC, notant qu’il avait pour politique de ne pas rencontrer les responsables d’Otzma Yehudit. Les groupes juifs centristes – et surtout l’AIPAC – évitent habituellement de critiquer Israël sur des questions de politique intérieure.

« Les positionnements d’Otzma Yehudit sont répréhensibles », précisait un communiqué de l’AJC, un important groupe pro-israélien centriste. « Il ne reflète pas les valeurs qui sont au cœur de la fondation même de l’Etat d’Israël ».

Le communiqué ajoutait que « historiquement, les positionnements des partis extrémistes – qui reflètent l’extrême-gauche ou l’extrême-droite – ont été fermement rejetés par les principaux partis, même si le processus électoral de la démocratie israélienne robuste a permis leur présence, quoique faible, à la Knesset ».

Michael Ben Ari, au centre, Ben Gvir, à gauche, et Lehava et Benzi Gopstein du parti Otzma Yehudit lors d’un événement à Jérusalem marquant le 27ème anniversaire de la mort du rabbin Meir Kahane, le 7 novembre 2017 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Ni le communiqué de l’AIPAC, ni celui de l’AJC ne se sont spécifiquement référés à Netanyahu ou à l’accord conclu avec Otzma Yehudit. Une coalition de groupes de gauche s’est montrée, pour sa part, moins réticente.

« Cette semaine, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, désireux d’ancrer son positionnement électoral, a orchestré l’unification du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit et de l’Union nationale de manière à ce qu’il puisse entrer à la Knesset dans le cadre d’un bloc de droite consolidé », a expliqué le communiqué rédigé par huit groupes, notamment par le New Israel Fund, J-Street, the National Council of Jewish Women et le Mouvement reconstructionniste. « Nous sommes scandalisés par les partis politiques de droite et leurs dirigeants qui ont inversé le cours des choses en ouvrant la porte de la scène politique israélienne traditionnelle aux Kahanistes ».

La majorité des groupes juifs américains s’étaient également opposés aux activités menées par Kahane aux Etats-Unis et en Israël dans les années 1960, 70 et 80. Aux Etats-Unis, le groupe de Kahane avait manifesté avec violence pour le compte des Juifs soviétiques, notamment en faisant exploser des missions diplomatiques soviétiques à New York. Après avoir été emprisonné en Amérique pour avoir violé sa probation après la fabrication d’une bombe artisanale, Kahane était parti en Israël, où il avait été incarcéré pour avoir enfreint une ordonnance qui lui interdisait de se rendre à Hébron.

Malgré les efforts déployés pour interdire son parti Kach, il avait remporté un siège à la Knesset lors du scrutin israélien de 1984. Il avait utilisé son poste pour prôner l’expulsion d’Israël des Arabes et disséminer ses propos racistes. Il avait été condamné par les formations de tout l’échiquier politique ainsi que par le Grand rabbinat israélien et les groupes juifs américains.

« Il ne peut y avoir aucune hésitation, aucune ambiguïté, aucun équivoque dans l’expression de notre rejet et de notre condamnation », avait déclaré en 1984 Marshall Grossman, un responsable communautaire de Los Angeles. Kahane « viole à la fois l’esprit et la lettre de la déclaration d’Indépendance israélienne qui accorde la liberté et l’égalité dans la citoyenneté à tous, indépendamment de la race et de la religion ».

Des responsables du gouvernement israélien avaient également tenté de bloquer Kahane au moyen d’outils judiciaires et législatifs. Le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, avait proposé un projet de loi anti-raciste pour interdire les discours prononcés par Kahane. La commission intérieure de la Knesset avait supprimé des privilèges de Kahane, qui lui permettaient entre autres d’envoyer du courrier gratuitement. Le procureur général avait vivement recommandé à la Knesset d’adopter une résolution interdisant la venue de Kahane dans les centres de population arabes. Le ministre de la Police avait examiné les moyens d’empêcher les rassemblements du parti Kach.

« J’ai le sentiment que ce phénomène est honteux, dégoûtant et dangereux », avait déclaré devant la Knesset le procureur général Yitzhak Zamir en 1984. « Un silence de la Knesset ou une absence de positionnement sur le problème pourrait être interprété comme un acquiescement des paroles et des actes de Kahane ».

Le rabbin Meir Kahane (Crédit photo : Yossi Zamir/Flash90)

Les défenseurs et les critiques de Kahane, à la droite de l’échiquier israélien, avaient pour leur part estimé que l’homme ne faisait que dire haut et fort ce qui était habituellement tu dans la politique de droite : qu’en rejetant l’autonomie en faveur des Palestiniens, la droite devait soit soutenir l’expulsion des Arabes, soit s’engager dans le contrôle permanent d’une population insurgée. Prenant la parole à New York, Kahane avait dit « qu’aucun Arabe ne souhaite vivre dans un Etat juif » et il avait qualifié de « compromis » l’expulsion massive de Juifs des pays arabes qui avait suivi l’indépendance israélienne en 1948.

En 1988, Kahane avait été suspendu de la Knesset pour avoir insulté un membre arabe et brandi un nœud coulant à son encontre. La même année, alors que le parti de Kahane se préparait à remporter plus de 10 sièges lors des élections, il lui avait été interdit de se présenter en raison de son programme raciste – sur les vives recommandations du Likud. Kahane avait été assassiné à New York en 1990 et, deux ans plus tard, la Cour suprême israélienne avait interdit aux formations qui lui avaient succédé de concourir à un scrutin.

Mais est-ce que les partis d’aujourd’hui, ces mouvements dirigés par les disciples de Kahane, sont les mêmes ? La commission centrale électorale israélienne a dit non – qu’ils pouvaient effectivement se présenter. En 2012, la commission avait rejeté une plainte qui réclamait l’interdiction d’Otzma en Israël, une formation d’extrême-droite dirigée par Michael Ben-Ari – qui est à la tête d’Otzma Yehudit cette année. Et Ben-Ari a déjà siégé à la Knesset par le passé – de 2009 à 2013.

Quoi qu’il en soit, Ben-Ari ne sera élu, cette année, que si son parti remporte suffisamment de voix pour obtenir cinq sièges à la Knesset. Et si cela devait arriver, il serait le seul représentant de cette idéologie au Parlement – tout comme cela avait été le cas de Kahane, il y a 35 ans.

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