Mexique : Découvrez la première femme juive dans la course à la présidence
Claudia Sheinbaum, ex-maire de Mexico, a une avance confortable sur son principal adversaire dans les sondages ; si elle gagne, ce sera deux premières pour son voisin américain
JTA – Si la situation actuelle se maintient, le Mexique pourrait bien élire sa première femme présidente l’année prochaine. Les deux principales candidates aux élections de 2024 étant Claudia Sheinbaum, ancienne maire de Mexico, et Xóchitl Gálvez, sénatrice représentant le bloc d’opposition de centre-droit.
Sheinbaum, qui est actuellement la favorite, pourrait en outre devenir la première présidente juive du pays.
Âgée de 61 ans, elle a été annoncée au début du mois comme candidate du parti de gauche Morena, dirigé par le président sortant du pays, Andrés Manuel López Obrador. Depuis, sa popularité n’a fait que croître : selon un sondage réalisé par le quotidien espagnol El Pais, 47 % des électeurs la soutiennent, alors que sa rivale immédiate, Mme Gálvez, n’est soutenue que par 30 % d’entre eux.
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Si elle est élue, Sheinbaum rejoindrait les rangs de la poignée de Juifs hors d’Israël qui ont été élus à la plus haute fonction de leur pays, notamment Janet Jagan (Guyane), Ricardo Maduro (Honduras), Pedro Pablo Kuczynski (Pérou) et Volodymyr Zelensky (Ukraine). Sheinbaum serait également probablement la première personne juive de l’histoire à diriger un pays de plus de 50 millions d’habitants.
Nous vous proposons ici un aperçu sur Sheinbaum et sur la place qu’occupe sa judaïté dans sa campagne.
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Née de deux professeurs de sciences à Mexico, Sheinbaum a elle aussi étudié la physique et enseigné l’ingénierie à l’université nationale autonome du Mexique. Ses recherches portaient, entre autres, sur la consommation d’énergie dans les bâtiments et le système de transport mexicains. Avec un groupe d’autres experts, elle a contribué au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2007.
Alors qu’il était chef du gouvernement de la ville de Mexico, Obrador a nommé Sheinbaum au poste de secrétaire à l’environnement en 2000. Elle devient par la suite une proche alliée et rejoint le nouveau parti de gauche Morena (nommé d’après la patronne catholique du pays, la Vierge de Guadalupe) au début des années 2010. En 2015, elle est élue maire de Tlalpan, le plus grand arrondissement de Mexico, avant de devenir maire de la ville entière en 2018. Elle a occupé ce poste jusqu’à ce qu’elle se lance dans la course présidentielle cet été.
À l’instar d’Obrador, dont le mandat est limité – et dont le taux d’approbation de plus de 60 % est l’un des plus élevés au monde – le programme de Sheinbaum comprend la lutte contre la corruption profondément enracinée au Mexique, le maintien des allocations aux populations les plus vulnérables du pays et le développement de la souveraineté énergétique du Mexique. Sheinbaum devrait toutefois être plus favorable à l’environnement qu’Obrador : alors que l’actuel président a soutenu l’industrie pétrolière mexicaine, Sheinbaum a affirmé que l’avenir du pays « doit être lié aux énergies renouvelables ».
En tant que maire de Mexico, Sheinbaum a guidé la ville au plus fort de la pandémie de COVID et alors qu’Obrador semblait minimiser les risques liés au virus, Sheinbaum préconisait le port de masques et l’intensification des tests de dépistage et ce, dès le début de la pandémie. Dans un pays ravagé par la violence, elle a réussi à réduire de près de moitié le taux d’homicide dans sa ville.
Mais des controverses ont également éclaté au cours de son mandat de maire. Malgré le développement des transports en commun, au moins une douzaine d’accidents, dont certains mortels, se sont produits dans le métro de la ville. Ses détracteurs l’accusent d’avoir négligé les travaux de réparation des infrastructures en ruine de la ville.
Sheinbaum a également été confrontée à des controverses liées à des catastrophes infrastructurelles pendant son mandat à la tête de Tlalpan. Lors d’un tremblement de terre en 2017 qui a fait plus de 300 morts au total, une école primaire s’est effondrée dans le district de Sheinbaum, tuant 19 enfants et six adultes. Un appartement avait été construit au-dessus de l’école, la déstabilisant, et on lui a reproché d’avoir donné l’autorisation aux fonctionnaires du district d’approuver les permis de construire. Elle s’est excusée pour ce qui s’est passé, mais certains parents des enfants décédés lui en veulent encore.
Son identité juive est plus politique que religieuse
Les grands-parents de Sheinbaum étaient d’un côté des ashkénazes qui avaient immigré de Lituanie dans les années 1920 et de l’autre des séfarades qui avaient quitté Sofia, en Bulgarie, dans les années 1940 pour fuir les nazis. Elle a confié qu’elle célébrait les fêtes avec ses grands-parents, mais qu’à la maison, sa vie familiale était laïque.
Des sources ont révélé à la Jewish Telegraphic Agency en 2018 que Sheinbaum se sentait connectée à l’histoire des Juifs dans le domaine de l’activisme politique, mais pas autant à la religion ou à ses traditions. Comme de nombreux Juifs laïques et de gauche au Mexique, ses parents ont déménagé dans le sud de la ville pour se rapprocher de l’Université nationale autonome du Mexique, un foyer d’activisme politique. Elle a déclaré à un groupe d’électrices juives lors de sa campagne pour la mairie en 2018 qu’elle était fière d’être juive.
Elle ne s’est par ailleurs jamais prononcée publiquement sur Israël et ne s’est encore jamais exprimée comme membre d’une minorité, alors que les juifs représentent moins de 1 % de la population de la capitale. On ignore si elle appartient à une synagogue ou à tout autre institution juive.
« Au Mexique, la plupart des [Juifs] sont affiliés à l’une des cinq ou six grandes communautés », a expliqué Daniel Fainstein, doyen des Etudes juives à l’Universidad Hebraica de Mexico. Le pays est connu pour abriter de nombreuses communautés orthodoxes très soudées, qui ne sont pas nécessairement très proches les unes des autres. « Je ne pense pas qu’elle soit affiliée à l’une de ces communautés. … Elle n’est pas considérée comme, disons, l’une des nôtres. … Elle est plutôt perçue comme une personne d’origine juive qui développe son travail en tant qu’académicienne, puis en tant que politicienne ».
La judéité de Sheinbaum devient un sujet brûlant dans la course
Selon Juan Pablo Pardo-Guerra, sociologue mexicain à l’université de Californie à San Diego, bien que les Mexicains soient généralement de fervents catholiques, le pays a une longue tradition de séparation de la religion et de la politique.
« La politique mexicaine est en fait assez laïque », a-t-il expliqué à la JTA. « La religion du Président et ses pratiques religieuses ne sont donc jamais discutées ».
Rompant avec cette tradition tacite, l’ancien président Vicente Fox a traité Sheinbaum de « juive bulgare ». « La seule Mexicaine est Xóchitl », a ajouté Fox en faisant référence à l’adversaire de Sheinbaum.
Fox s’est excusé par la suite et Gálvez a condamné les propos de Fox. Mais depuis l’annonce de sa candidature, en seulement quelques mois de campagne officielle, Sheinbaum a déjà publié son acte de naissance sur Twitter – à deux reprises – en plus de publier des publicités de campagne qui soulignent son identité mexicaine face aux attaques sur ses origines.
Pardo-Guerra a déclaré qu’il ne pensait pas que l’identité juive de Sheinbaum jouerait un rôle déterminant lors du dépouillement des votes l’année prochaine. Mais il a ajouté qu’il pouvait être difficile de distinguer « la stupidité de l’antisémitisme » dans le discours politique mexicain.
« Ce qui a été dit sur Claudia Sheinbaum à certaines occasions est très proche de l’antisémitisme », a-t-il déclaré. « La plupart du temps, cela relève du domaine de l’ignorance, mais je ne dirais pas qu’il n’y a pas d’autres positions. »
Tabea Alexa Linhard, professeure de littérature comparée à l’université Washington de St. Louis, qui donne des cours sur les cultures mexicaine et juive de la diaspora, a également déclaré que le tweet de Fox contenait « un peu des deux », antisémitisme et ignorance.
« Différentes formes d’antisémitisme perdurent au Mexique, comme ailleurs », a-t-elle écrit dans un courriel. « Il est difficile de ne pas y voir des échos des théories du complot concernant le lieu de naissance de Barack Obama. Ce n’est qu’une ruse politique, mais aux États-Unis, cela a certainement eu des conséquences importantes, et ce genre de coup de sifflet pourrait également avoir des conséquences au Mexique ».
La plupart des Juifs mexicains ne voteront probablement pas pour elle
Si le Mexicain moyen ne se soucie sans doute pas de la religion de Sheinbaum, le Juif mexicain moyen, par contre, ne votera probablement pas pour elle. Comme c’est le cas pour la plupart des communautés juives d’Amérique latine, la majorité des Juifs du Mexique penchent sont conservateurs sur le plan politique. Comparé à d’autres leaders de gauche en Amérique latine, le programme de Sheinbaum n’est pas un programme radicalement à gauche, mais Gálvez, qui a fondé deux entreprises technologiques, pourrait être plus attrayante pour les Juifs de tendance conservatrice, qui comptent parmi eux de nombreux chefs d’entreprise.
« A mon avis, la plupart [des juifs mexicains] voteront pour Xochitl Galvez », a déclaré Fainstein. « Leur décision n’est pas influencée par l’origine juive ou non juive des candidats. »
Il a ajouté que la plupart des « classes moyennes supérieures » votent contre Morena, et pas seulement les Juifs. Il a toutefois précisé que « d’autres groupes de juifs sont actifs dans le parti Morena et lui sont favorables ».
Linhard a également indiqué clairement que le vote juif ne dépendrait pas de l’origine ethnique du candidat.
« La communauté juive mexicaine est très diverse », a-t-elle expliqué. « Certains s’identifieront à Sheinbaum, d’autres non. Mais le vote des Juifs mexicains dépendra probablement … de son programme et de celui de son adversaire ».
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