Mexique : Pourquoi les Juifs de centre-droit n’ont pas soutenu Claudia Sheinbaum
Élue cette semaine, la nouvelle présidente hérite d'un pays divisé par le régime de son prédécesseur, avec les Juifs de l'autre bord du spectre politique
Après la victoire de Claudia Sheinbaum Pardo, la première femme élue à la présidence du Mexique, beaucoup ont souligné une autre première notable : la scientifique devenue politicienne est également la première présidente juive du pays.
Les membres de la communauté juive de Mexico qui se sont entretenus avec le Times of Israel après sa victoire ont toutefois indiqué que la présidente élue s’était éloignée d’eux et que son triomphe n’avait pas suscité un grand enthousiasme parmi ses concitoyens juifs.
« À mon avis, le principal enjeu du scrutin, même pour la communauté juive, ne résidait pas dans sa judéité, mais plutôt ses opinions politiques », a expliqué Daniel Fainstein, doyen des études juives à l’Université Hebraica de Mexico, au Times of Israel.
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Sheinbaum, qui a été chef du gouvernement de la ville de Mexico de 2018 à 2023, est membre du parti Morena du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador.
Elle est considérée comme largement alignée politiquement sur son prédécesseur, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter les détracteurs de Morena. Ceux-ci craignent en effet de la voir poursuivre les tentatives de changement constitutionnel engagées par López Obrador, qui pourraient politiser la Cour suprême du Mexique et l’INE – l’agence qui organise les élections fédérales – en les rendant des organes élus par le vote populaire. Il ne manque que quelques sièges à Morena pour obtenir la super-majorité au Sénat, soit la marge nécessaire pour faire passer de telles réformes, si Sheinbaum décidait de le faire.
Selon Daniel Fainstein de l’Université Hebraica, de nombreux membres de la communauté juive ont toutefois une opinion légèrement plus positive de Sheinbaum que du président sortant, car elle est perçue comme étant plus éduquée que Lopez Obrador et « possédant une meilleure connaissance du monde ».
« L’angoisse est palpable au sein de la communauté, car la dernière administration n’a pas été bénéfique pour le Mexique », a indiqué Raquel Sacal, une autre membre de la communauté juive de Mexico, au Times of Israel, mardi dernier.
« Le niveau d’incertitude est élevé, mais en même temps il y a une lueur d’espoir que cette nouvelle ère au Mexique ne se terminera pas par un échec », a ajouté Sacal.
Une victoire électorale en faveur de la continuité
Avec ces élections – un référendum sur le mandat de López Obrador – axées sur la politique, la communauté juive du Mexique a voté en fonction de ses convictions politiques.
Sacal a déclaré au Times of Israel que la communauté juive n’était « pas du tout » une base de soutien pour Sheinbaum.
« Elle ne s’est jamais présentée publiquement comme juive, et encore moins comme représentante de la communauté juive au Mexique », a expliqué Sacal.
Ilan Arditti, un autre habitant de Mexico, a expliqué que de nombreux électeurs juifs mexicains étaient préoccupés par les politiques de Lopez Obrador et craignaient que le mandat de Sheinbaum ne soit synonyme de leur maintien.
« Ils désapprouvent ce type de régime », a indiqué Arditti.
Fainstein a expliqué que la communauté juive de Mexico s’alignait plus généralement sur le centre-droit que sur la gauche. Il a expliqué que cela était dû aux circonstances socio-économiques et aux valeurs culturelles.
Dans les sondages pré-électoraux, Sheinbaum a obtenu de bons résultats auprès des électeurs de la classe ouvrière, des électeurs ayant un faible niveau d’éducation et des électeurs bénéficiant de prestations sociales.
Le Mexique compte environ 50 000 Juifs, dont la plupart vivent à Mexico, la capitale du pays. La communauté est très unie et environ 95 % des enfants fréquentent les écoles juives, qui vont des orthodoxes de droite aux sionistes laïcs.
Les deux parents de Sheinbaum étaient juifs – la famille ashkénaze de son père a émigré de Lituanie au Mexique dans les années 1920, la famille séfarade de sa mère a fui Sofia, en Bulgarie, durant la Shoah dans les années 1940. Sheinbaum célébrait les fêtes juives avec ses grands-parents, et bien qu’elle ait déclaré être « fière » de ses origines, elle se définit comme laïque et n’est pas impliquée dans la communauté juive de Mexico.
« Claudia a vraiment fait des efforts pour dire ‘Ce n’est pas moi' », a expliqué à l’Associated Press (AP) Tessy Schlosser, directrice du Centre de documentation et de recherche juive de Mexico.
Le retour de l’antisémitisme
Bien qu’elle ait relégué son identité juive au second plan, Sheinbaum a fait l’objet de réflexions antisémites de la part de ses détracteurs politiques lors de sa candidature à la tête de cette nation catholique à près de 80 %. En juillet 2023, l’ancien président Vicente Fox l’a qualifiée de « juive bulgare » et son opposant, le populiste de droite Xochitl Gálvez, de « seul Mexicain » dans la course. Fox s’est par la suite excusé pour ses commentaires.
Sheinbaum a déjà tweeté des photos de son acte de naissance pour dissiper les rumeurs selon lesquelles elle serait née à l’étranger. « Je suis 100 % mexicaine, fière fille de parents mexicains », a-t-elle écrit dans une publication de juin 2023.
Lors du dernier débat de la campagne présidentielle, le 19 mai, Gálvez a brandi une photo de Sheinbaum portant une jupe ornée d’une peinture de Notre-Dame de Guadalupe, une icône catholique locale, accusant Sheinbaum d’exploiter « la foi des Mexicains à des fins d’opportunisme politique »
« C’est de la pure provocation et je refuse d’y participer », avait répondu Sheinbaum.
La provocation de Gálvez rappelle l’attaque de Fox contre Sheinbaum, qui avait tweeté « JUIVE ET ÉTRANGÈRE EN MÊME TEMPS » à son encontre lorsqu’elle avait porté un chapelet avec un crucifix offert lors d’une étape de sa campagne électorale à l’automne dernier.
Fainstein a souligné que les cas d’antisémitisme à l’égard de Sheinbaum, bien que préoccupants, n’ont eu aucune incidence sur les élections. Il a expliqué que les grands médias mexicains n’y avaient pas prêté attention.
« La communauté juive est toujours inquiète lorsqu’il y a des manifestations antisémites, mais elles n’ont pas été très marquées », a indiqué Fainstein.
Il a souligné que Sheinbaum n’avait pas non plus fait l’objet d’attaques importantes concernant son sexe, bien que le Mexique ait une culture politique « traditionnellement machiste ».
La communauté juive aux côtés d’Israël
Selon Fainstein, la communauté juive mexicaine se soucie beaucoup d’Israël, surtout depuis l’assaut du 7 octobre, et a « toujours essayé d’aider les principaux acteurs politiques à comprendre le point de vue israélien ».
Arditti a déclaré que les juifs mexicains pensaient à Israël « tout le temps », car de nombreux membres de la communauté ont des amis et des membres de leur famille qui ont été touchés par la guerre.
Lopez Obrador est resté largement neutre à l’égard d’Israël, même si certains pays d’Amérique latine ont rompu leurs liens pendant la guerre, en particulier au début du conflit. La semaine dernière, le Mexique a toutefois déclaré son intention de s’associer à la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ).
Sheinbaum n’a fait aucun commentaire public sur l’affaire de la CIJ. Elle ne s’exprime que rarement sur la politique israélienne en général, a fait remarquer Arditti.
Dans une lettre publiée en 2009 dans le magazine de gauche La Jornada, Sheinbaum critiquait la guerre qu’Israël menait à l’époque à Gaza.
« En raison de mes origines juives, de mon amour pour le Mexique et parce que je me sens une citoyenne du monde, je partage avec des millions de personnes le désir de justice, d’égalité, de fraternité et de paix, et c’est pourquoi je ne peux que voir avec horreur les images des bombardements israéliens à Gaza », écrivait Sheinbaum en 2009. « Voilà pourquoi je me joins au cri des millions de personnes dans le monde qui demandent un cessez-le-feu et le retrait immédiat des troupes israéliennes du territoire palestinien. »
Depuis le début de la guerre actuelle entre Israël et le Hamas l’année dernière, Sheinbaum a condamné les attaques contre les civils, appelé à un cessez-le-feu et affirmé son soutien à une solution à deux États.
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