Moshe Lador : Les juges du procès Netanyahu ont commis une « erreur sans précédent »
L'ex-procureur a attaqué les juges pour avoir dit aux avocats à huis clos qu'ils doutaient que l'accusation sur les pots-de-vin soit maintenue
L’ancien procureur Moshe Lador a attaqué la conduite des juges dans le procès du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Ces derniers ont informé l’accusation et la défense à huis clos qu’après avoir entendu la plupart des témoins de l’accusation, ils pensaient que l’accusation de corruption contre le Premier ministre serait difficile à étayer.
Les commentaires des juges faits plus tôt ce mois-ci ont immédiatement fuité. Et la semaine dernière, ils ont confirmé les avoir faits. Les procureurs sont toutefois restés convaincus qu’ils avaient un dossier solide sur l’accusation de corruption portée contre le Premier ministre. (L’accusation est la plus grave contre Netanyahu, mais n’est que l’une des multiples accusations auxquelles il est confronté dans les trois affaires de corruption qui composent son procès.)
La révélation a provoqué une controverse publique, les partisans du Premier ministre affirmant que c’était la preuve que les poursuites contre lui étaient fausses et sur le point de s’effondrer, tandis que les critiques ont souligné que les commentaires n’avaient aucune incidence sur les autres accusations graves auxquelles il fait face.
Lador, s’exprimant lors d’un événement de Beer Sheva sur la culture et la politique, a déclaré que les déclarations privées des juges étaient « une erreur sans précédent de la part du tribunal ».
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« Une telle difficulté [à prouver l’accusation de corruption] pourrait être soulevée lors de discussions après que la thèse de l’accusation eut été faite, lorsque [tous] les témoins auront été entendus… Les juges n’ont pas donné cette opportunité à l’accusation, et l’ont fait lorsque la thèse de l’accusation était encore loin d’être terminée », a-t-il soutenu. « Les juges ont au mieux entendu une liste aléatoire de témoins qui leur ont fourni une image partielle. Ils n’ont pas encore vu l’image dans son entièreté. Ils savent que tout le système [judiciaire] soutient l’accusation de corruption. »
Dans l’Affaire 4000, aussi connue sous le nom d’affaire Bezeq-Walla, Netanyahu est accusé d’avoir bénéficié de manière illicite et lucrative des intérêts commerciaux de l’actionnaire majoritaire de Bezeq, Shaul Elovitch, en échange d’une couverture positive sur le site web d’information Walla, propriété d’Elovitch. Il est accusé d’avoir abusé de ses pouvoirs lorsqu’il était à la fois Premier ministre et ministre des Communications de 2014 à 2017.
« À quoi pensaient les juges ? », s’est exclamé Lador. « Ils prétendent qu’il s’agissait d’une discussion à huis clos, comme si elle n’atteindrait pas Netanyahu et ses associés en quelques minutes… C’était une merveilleuse occasion pour eux de dire ‘voilà, l’affaire est en train de s’effondrer’. C’était un vrai succès. Ce n’est pas comme ça qu’on gère une affaire, certainement pas dans une affaire comme celle-là qui est scrutée par tout le pays. »
Lador a ajouté qu’il ne croyait pas qu’il soit possible que Netanyahu soit innocenté de l’accusation de corruption dans cette affaire. « Je ne dis jamais, en aucun cas, que je sais ce que les juges statueront. Je ne suis pas un prophète, mais connaissant les documents en leur possession, il n’y a aucun moyen légal d’exonérer Netanyahu. Ce n’est pas possible. »
Il a déclaré que les commentaires des juges étaient « totalement inutiles » et « totalement préjudiciables » car ils s’imposeraient au public en tant que décision informelle dans l’affaire.
Les juges auraient également déclaré aux avocats lors de leur réunion que ce serait « pour le bien du pays » si le procès se terminait bientôt, dans des commentaires interprétés comme poussant les parties à rechercher un accord dans le cadre d’une négociation de peine.
Lador a déclaré que les juges « ne devraient pas se préoccuper de la question du bien du pays ». « Ils ne devraient pas du tout en tenir compte. Ils ne doivent pas. »
En réalité, les juges ne devraient pas rechercher un accord dans le cadre d’une négociation de peine qui pourrait laisser la question de la culpabilité de Netanyahu non résolue, a-t-il déclaré. « Ils devraient dire le contraire – dire qu’un verdict légal est nécessaire dans cette affaire. La population se préoccupe de cela depuis des années, des réclamations ont été faites contre l’ensemble du système d’application, la police, les enquêteurs, les procureurs, la procureure générale et les tribunaux. Nombreux sont ceux qui affirment que l’affaire était un coup monté, qu’il s’agit d’une tentative de chasser un Premier ministre en exercice, d’une utilisation abusive des pouvoirs du système. Ils détruisent la confiance de la population dans le système, et ce, en grande pompe. »
« C’est pour cette raison qu’il doit y avoir un verdict sur les allégations », a-t-il affirmé.
Lador a également critiqué les juges pour avoir fait durer le procès, affirmant « qu’une telle affaire aurait dû être conclue en sept mois, et non en sept ans. Peut-être qu’ils ne veulent pas de cette tâche, le rôle et le défi de statuer sur une polémique qui déchire la population en deux ».
L’avocat Me Jack Chen, qui représente Shaul Elovitch dans le procès, a qualifié les commentaires de Lador de « honteux » et « d’ignorants ».
« Le dossier de l’accusation dans l’Affaire 4 000 est presque terminé, la plupart des témoins ayant témoigné, parmi lesquels tous les témoins clés et les témoins de l’État. L’accusation l’a dit. Il ne reste que quelques témoins mineurs qui apporteront des variantes sur les mêmes thèmes », a-t-il déclaré.
Me Chen a qualifié les déclarations de Lador de « démagogie de la part d’une autre personne hystérique au cours des années de mensonges et de lavage de cerveau qui s’effondrent sous ses yeux ».
Jeudi, les juges ont publié un document dans lequel ils notent que lors de la réunion de la semaine dernière, « les parties ont été informées de la position du panel [de juges] selon laquelle il y a des difficultés à établir l’infraction de corruption dans le premier chef d’accusation ».
« Sur la base de ces difficultés, il a été suggéré que l’État envisage de retirer l’accusation de corruption », ont déclaré les juges, tout en notant qu’ils ont souligné « que ces commentaires étaient faits avec la prudence nécessaire ».
Les juges ont noté que le représentant de l’État a repoussé leur suggestion, affirmant que « l’État voit les choses différemment » et notant que « la Cour n’a jusqu’à présent reçu qu’une image partielle ».
Suite à la fuite de la réunion des juges avec les avocats, les procureurs ont demandé que toutes les interactions entre les juges et les parties juridiques soient dorénavant enregistrées.
Les procureurs ont déposé leur recours dimanche auprès du tribunal de Jérusalem, demandant également d’accélérer le procès pour corruption de Netanyahu, qui dure depuis longtemps, en ajoutant des jours d’audience le mois prochain.
Netanyahu est également jugé pour fraude et abus de confiance dans l’Affaire 4000, des accusations que les juges n’ont pas commentées. Et il fait également face à deux chefs d’accusation supplémentaires de fraude et d’abus de confiance – dans l’Affaire 1000, où le Premier ministre et sa famille sont accusés d’avoir reçu des cadeaux de luxe de la part de riches bienfaiteurs. Par ailleurs, dans l’Affaire 2000, le Premier ministre est accusé de fraude et d’abus de confiance pour avoir prétendument tenté de conclure un accord avec l’éditeur du journal Yedioth Ahronoth afin que Netanyahu bénéficie d’une couverture médiatique plus positive en échange d’une législation qui aurait limité le distribution d’un quotidien rival, Israel Hayom.
Le procès a débuté en mai 2020 et devrait s’étendre sur plusieurs années encore, à moins qu’une négociation de peine ne soit conclue.
Netanyahu nie tout acte répréhensible dans les affaires portées contre lui et affirme que les accusations ont été fabriquées de toutes pièces dans le cadre d’une chasse aux sorcières menée par la police et le ministère public.