Israël en guerre - Jour 364

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Naki Bega, l’une des dernières voix des déportés juifs de Grèce

80 ans après le début de la déportation des Juifs de Grèce vers Auschwitz, ils ne sont plus qu'une petite dizaine de survivants, essentiellement à Athènes et Thessalonique

Naki Bega, survivante de la Shoah, à Athènes le 14 mars 2023. (Crédit : Louisa GOULIAMAKI / AFP)
Naki Bega, survivante de la Shoah, à Athènes le 14 mars 2023. (Crédit : Louisa GOULIAMAKI / AFP)

Les nazis « nous ont jetés dans des wagons (à bestiaux) avec une toute petite fenêtre, sans eau, sans nourriture. Environ 13 jours plus tard, nous sommes arrivés à Birkenau ».

Quatre-vingts ans après le début de la déportation des Juifs de Grèce vers Auschwitz, le 15 mars 1943, ils ne sont plus qu’une petite dizaine de survivants de la Shoah essentiellement à Athènes et Thessalonique (nord).

Parmi eux, Naki Bega, 95 ans, tente de rassembler ses souvenirs épars et infiniment douloureux pour faire sortir des tréfonds du silence l’histoire longtemps tue des Juifs de Grèce.

Née Esther Matathias, elle fut déportée à 16 ans au camp d’extermination nazi situé dans la Pologne actuelle après avoir été arrêtée le 24 mars 1944 avec sa mère et ses deux soeurs près de Trikala, une ville dans le centre du pays dont elle est originaire.

Dans cette partie de la Grèce occupée par les nazis depuis 1941, le premier convoi de déportés juifs quitte Thessalonique, « la Jérusalem des Balkans », vers Auschwitz-Birkenau, le 15 mars 1943.

Plus de 86 % de la communauté juive grecque a été assassinée durant la période nazie. Aujourd’hui, elle compte seulement quelque 5 000 membres, selon le Musée juif d’Athènes.

« Ville fantôme »

Et moins de 5 % des quelque 50 000 Juifs de Thessalonique ont survécu à la Shoah, selon l’historien Mark Mazower, qui a consacré un ouvrage à « la ville fantôme ».

Sur la rampe de « sélection » du camp nazi, l’adolescente et ses deux sœurs aînées sont séparées de leur mère. Elles ne la reverront jamais.

« On nous a emmenés à la douche, on nous a rasé les cheveux, on nous a tatoué un numéro ».

Assise au bout du canapé rouge, dans l’appartement tapissé de photos de famille de sa fille, Myriam, 62 ans, à Athènes, la vieille dame aux cheveux courts poivre-et-sel remonte la manche de sa veste en laine.

L’encre s’est atténuée. La peau striée de ride a en partie avalé les chiffres. 77092.

La survivante de la Shoah Naki Bega regarde son numéro de prisonnière d’Auschwitz-Birkenau tatoués sur sa peau, à Athènes, le 14 mars 2023. (Crédit : Louisa GOULIAMAKI / AFP)

À Birkenau, Naki Bega est soumise comme les autres détenues au travail forcé. « Je découpais des morceaux de vieux tissus en lanières. Elles servaient ensuite à nettoyer les armes » des nazis, raconte-t-elle.

Son récit s’anime. « Ils nous ordonnaient de lever les bras en l’air », explique-t-elle en mimant ce geste. « Ils voulaient voir nos os. Celles qui étaient trop maigres étaient emmenées » à la mort dans les chambres à gaz.

Les cheminées du camp crachaient des fumées qu’elle pouvait voir depuis son baraquement. « La nuit, le ciel devenait rouge (…) Avec le temps nous avons compris ce qui se passait. »

La vieille dame tient serré dans sa main gauche le mouchoir qui, bientôt, viendra balayer les larmes versées à l’évocation des vies chères qui ont été ôtées. La douleur, toujours, par delà les décennies.

L’une de ses sœurs meurt de pleurésie. La deuxième est frappée à la tête par un nazi alors qu’affamée, elle fouille dans des épluchures de patates. Plus tard, elle mourra, elle aussi.

Les yeux de Naki Bega fixent quelque chose dans le vide. Des images qu’elle seule peut voir la hantent. Sa fille tente de la faire revenir dans le présent : « Mama, mama », lui lance-t-elle tendrement en répétant une question.

« Marche de la mort »

Peu avant la libération du camp d’extermination par l’Armée rouge en janvier 1945, Naki Bega est déportée à Bergen-Belsen, dans le nord de l’Allemagne. S’ensuivra une « marche de la mort » de 22 jours avant la libération en mai 1945.

Elle parvient à rentrer en Grèce le 15 août. Son père qui a échappé à la déportation meurt quelque temps après. Naki Bega tente de construire une existence dans la ville de Larissa en Thessalie, se marie, a trois enfants.

Pendant des décennies, on a pensé que cette petite femme alerte portait un « tatouage » à son bras gauche. Très peu de gens en Grèce s’intéressaient au destin tragique d’une communauté décimée par la folie des nazis.

La plupart des rescapés grecs avaient de toute façon choisi de rejoindre Israël.

Sa canne posée sur le montant du canapé rappelle que désormais le temps est compté. Au soir de sa vie, Naki Bega a commencé de témoigner dans des écoles alors que la Grèce entamait un travail mémoriel tardif et difficile.

Après la Guerre, l’un des principaux responsables de la déportation des Juifs de Grèce, le SS Anton Burger a réussi à échapper à la justice malgré une condamnation à mort par contumace.

Il a vécu à Essen, en Allemagne jusqu’à sa mort en 1991, sans que jamais sa véritable identité ne soit découverte.

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