Obama a laissé Israël dans le froid et a ravivé les liens avec Cuba
Les Etats-Unis n’ont pas averti Jérusalem avant leur rapprochement et n’ont pas soulevé la question de la position critique de la Havane sur l’Etat juif
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Pendant plus de deux décennies aux Nations unies, l’embargo du commerce américain sur Cuba a dépassé même Israël dans la compétition d’impopularité au sein de l’institution mondiale.
En 2014, comme l’année précédente, 188 pays ont voté en faveur de la résolution sur la « Nécessité de mettre un terme à l’embargo économique, commercial et financier imposé par les Etats-Unis d’Amérique contre Cuba ». Les îles Marshall, la Micronésie et Palau se sont abstenus. Seuls les Etats-Unis et Israël se sont opposés.
Mais moins de deux mois après le dernier vote sur l’embargo, qui a eu lieu lors de l’Assemblée Générale de l’année dernière en octobre, le président américain Barack Obama a révélé par surprise que des décennies d’hostilité entre son pays et la nation communiste insulaire arrivaient à leur terme, préparant la voie pour la libération de l’entrepreneur juifs américain, Alan Gross.
Le 14 août, le Secrétaire d’Etat Américain John Kerry a réouvert l’ambassade américaine à la Havane en rétablissant des relations diplomatiques complètes entre les pays. L’administration « préconise et soutient la levée de l’embargo », a déclaré Kerry lors d’une conférence de presse avec son homologue cubain. « Nous croyons que c’est très important ».
Israël a été totalement surpris par la volte-face américaine.
Pendant des années, Jérusalem a suivi sans discuter la position de Washington sur Cuba, la considérant un soutien de routine et nécessaire étant donné l’appui infaillible de l’Amérique pour Israël dans diverses organisations internationales.
L’Amérique a fait un revirement soudain et radical vers Cuba. Mais Israël ne peut pas suivre le mouvement, pas pour le moment en tout cas, parce que la Havane n’est pas intéressée par des liens avec Israël. La Havane a rompu les liens unilatéralement avec Jérusalem il y a environ 40 ans et a depuis fortement critiqué les politiques israéliennes.
Mais la critique vicieuse d’Israël par Cuba n’était pas parmi les questions débattues dans les négociations secrètes de plusieurs mois entre les Etats-Unis et Cuba qui ont mené à la détente historique. Israël n’a pas été non plus mentionné par Kerry durant sa visite à la Havane il y a deux semaines.
Personne dans l’administration n’a informé Israël avant le changement radical dans la politique, laissant aux diplomates israéliens le sentiment d’avoir été abandonnés.
Etant donné la sensibilité de la question, des diplomates israéliens ont refusé de commenter officiellement, mais dans des conversations privées, ils n’ont pas caché leur frustration sur la position délicate dans laquelle Washington les a laissés.
« Nous suivons très attentivement le développement des relations entre les Etats-Unis et Cuba a déclaré un diplomate au Times of Israel à condition de garder son anonymat. « Nous n’avons pas de conflit avec Cuba, le froid entre nos pays n’est pas naturel ».
Jérusalem considère la Havane comme un acteur clef dans la construction de l’opinion publique de la gauche de l’Amérique latine et voudrait donc rétablir les liens diplomatiques.
Dans les années 1950 et 1960, des relations cordiales existaient alors que Cuba résistait à la pression arabe de rompre les liens après la Guerre de Six Jours de 1967. Il a rompu les relations en 1973, non pas à cause de la Guerre de Yom Kippour mais parce que Fidel Castro a cherché la présidence du Mouvement des Non-Alignés. Actuellement, le Canada représente les intérêts d’Israël à la Havane, y compris l’aide à la communauté juive du pays.
Si Jérusalem arrête de soutenir maintenant l’embargo, il devrait y avoir peu de raison d’empêcher la détente, déclarent des officiels. Israël et Cuba ne seront pas d’accord sur tout, mais c’est aussi vrai pour d’autres pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques complètes.
Pourtant, un tel scénario n’est pas réaliste pour un futur proche. Parce que le gouvernement actuel de Raul Castro n’est pas intéressé le moins du monde à réparer les liens avec Israël, à cause des liens forts de Cuba avec le monde arabe, l’Iran et d’autres pays d’Amérique latine critiques des politiques israéliennes vis-à-vis des Palestiniens.
L’idée fait néanmoins son chemin à Jérusalem que la nouvelle page des relations entre Cuba et les Etats-Unis et la fin à venir de l’embargo vont probablement avoir un effet de changement radical dans les relations avec Cuba, préparant un potentiel rapprochement avec Israël.
En 2010, Fidel Castro, qui a été remplacé à la présidence par son frère cadet Raul quatre ans plus tôt, a déclaré au journaliste américain Jeffrey Goldberg qu’Israël a « sans aucun doute » le droit d’exister comme un Etat juif.
Interrogé pour savoir si la Havane prenait en considération la possibilité de renouer des liens diplomatiques, le plus vieux des Castro a répondu que de telles démarches prennent du temps, mais n’a pas totalement rejeté l’idée. L’ancien dirigeant reste pourtant un critique exacerbé des politiques israéliennes accusant Israël l’année dernière d’avoir mené un « Holocauste palestinien dans Gaza ».
Malgré l’irritation de Jérusalem sur la manière dont l’administration américaine a conduit sa nouvelle politique cubaine, Israël va très probablement suivre la position de l’Amérique en octobre, lorsque l’Assemblée Générale votera, vraisemblablement pour la dernière fois, sur le besoin de mettre un terme à l’embargo sur Cuba.
« Je pense que nous avons besoin de changer notre vote, a déclaré un officiel israélien, parce qu’il y a eu un changement de stratégie ici ».