Où sont les bons et honnêtes emplois d’Israël ?
En dehors de la high-tech, il est difficile pour les jeunes de trouver un travail avec un salaire acceptable. Certains vendent leurs âmes pour travailler dans des industries d’arnaques. Comment le pays peut-il créer de meilleures opportunités d’emploi ?
Ryan a rencontré sa petite amie israélienne pendant un long séjour dans le pays après avoir fait partie de Taglit. Le jeune homme de 27 ans est tombé amoureux et a décidé de faire d’Israël son pays. Quand il s’est rapproché de Nefesh B’Nefesh pour trouver de l’aide dans sa recherche d’emploi en août dernier, Ryan affirme que l’association à but non lucratif lui a proposé principalement des emplois dans les options binaires, le forex, et d’autres centres d’appels.
Ryan a finalement atterri dans un emploi pour un site de commerce en ligne high-tech qui vend des produits sur le marché américain. Mais ce n’était pas le travail honnête et satisfaisant dont il rêvait. En utilisant de très bons outils d’optimisation des moteurs de recherche (SEO), la compagnie a réussi à se placer au sommet de la plupart des recherches Google de sa catégorie.
Le produit était cependant de mauvaise qualité, et le travail de Ryan était de répondre aux centaines de plaintes quotidiennes des clients et d’assurer que les clients aient un échange, mais rarement un remboursement. Il a été dit à Ryan de mentir aux clients et de dire qu’il était à New York, et même d’aller jusqu’à se plaindre du froid alors que la journée était douce à Tel Aviv. Ses temps de pause pour aller aux toilettes étaient minutés, et ses responsables étaient méchants et abusifs, a-t-il raconté.
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« Ce n’était pas aussi sale que des options binaires ou du forex, mais c’était assez sale », a-t-il dit.
Quand Nicole, styliste d’une vingtaine d’années, est arrivée en Israël depuis la France, elle a rapidement trouvé un emploi dans l’industrie de la mode.
Le problème était que son salaire couvrait à peine son loyer à Tel Aviv, sans parler de la nourriture et des transports. Elle a donc pris un emploi pour un site de paris en ligne. Elle a commencé au service client, mais la compagnie non régulée lui a finalement demandé de commencer à appeler des clients potentiels et de les persuader de jouer leurs économies.
« Si quelqu’un vous dit qu’il a des économies pour envoyer ses enfants à l’université, vous étiez supposé de le persuader de les déposer dans le casino, de lui dire qu’il pouvait gagner encore plus d’argent. Malheureusement, il y a des personnes qui tombent dans ce piège. »
Nicole a refusé et a démissionné, et l’entreprise a finalement fermé après une enquête du FBI.
L’expérience la hante toujours. « Je sentais que ce n’était pas bon pour mon âme. »
Le prix du désespoir ?
Mais dans un pays où un Israélien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, selon le rapport 2016 du centre Taub, où les inégalités de revenus disponibles sont les plus hautes du monde développé, où le coût de la vie ajusté aux salaires est plus haut que dans tous les autres pays de l’OCDE à l’exception du Japon, et où les prix de l’immobilier ont bondi ces huit dernières années, il y a beaucoup de personnes économiquement désespérées.
Combinez ce marché de chercheurs d’emploi désespérés et la croissance accélérée, ces 5 à 10 dernières années, d’une industrie high-tech ombrageuse comprenant le forex et les options binaires, le pari en ligne, le porno, les industries frauduleuses avec de bons classements grâce aux SEO et le marketing associé, les technologies de publicité et les compagnies de paiements qui travaillent pour cette industrie louche, et vous obtenez une tempête parfaite de bonnes personnes qui se retrouvent, peut-être sans le vouloir, à devoir faire des choses diaboliques.
Quand le Times of Israël a demandé à un chercheur de l’industrie d’estimer la taille du secteur high-tech frauduleux d’Israël, il a répondu que peut-être 10 % des compagnies high-tech se retrouvaient dans cette catégorie, par comme des telles entreprises font beaucoup de bénéfices, elles pourraient représenter 30 % des revenus de l’industrie high-tech.
Alors que peut-il être fait ? Dans une étude mondiale, l’organisation Gallup a trouvé que plus que la sécurité, la paix, la liberté ou l’amour, les répondants du monde entier accordent de l’importance à un bon emploi, ce qui signifie un emploi stable avec un salaire et une trentaine d’heures de travail par semaine.
Comment Israël peut-il fournir plus de bons emplois à ses citoyens, des emplois qui sont honnêtes et apportent une contribution positive ? Si et quand les entreprises d’options binaires et autres arnaques d’Israël seront fermées, qui absorbera ses milliers d’anciens employés, au moins ceux dont les crimes ne les conduiront pas en prison ?
Le Times of Israël a demandé à trois économistes quels étaient les changements profonds de l’économie israélienne nécessaires pour que le pays puisse proposer de bons emplois à tous ses citoyens dans les décennies à venir.
La high-tech n’est pas la seule réponse
Ce n’est pas un scoop que le secteur de la high-tech propose les meilleurs salaires du secteur privé d’Israël, des salaires compétitifs au niveau international, certains programmeurs rapportant à la maison un revenu de 35 000 shekels (8 300 euros) par mois.
Le problème, selon Eitan Regev et Gilad Brand, économistes au centre Taub pour les études sur les politiques sociales en Israël, est que les emplois de la high-tech ne représentent que 10 à 15 % des postes du secteur privé, pendant que la plupart des emplois que ne sont pas dans ce secteur souffrent d’une productivité basse et de salaires bien inférieurs à ceux de leurs homologues de l’OCDE.
Brand dit que contrairement au Japon, où la vague montante de la croissance économique a emporté tous les chercheurs d’emploi, en Israël 85 % des salariés ont été laissés derrière.
« L’avantage relatif d’Israël dans ce domaine est qu’il est si petit que son succès n’écrase pas les salaires des autres secteurs, dit Brand. Nous devons diversifier les sources de nos exports, qui sont le seul moteur de la hausse perpétuelle des salaires et de la productivité. »
Pour Brand, la politique du gouvernement israélien, depuis les années 1990, de subventionner et d’inciter le secteur de la high-tech a paradoxalement nuit au reste de l’économie.
« Les compagnies high-tech exportent beaucoup et le shekel est devenu plus fort. Mais cela rend moins profitable les entreprises qui n’ont pas de high-tech à exporter, explique Brand. Les petits commerces et les commerces affaiblis ne peuvent pas être compétitifs à l’échelle mondiale, et c’est pour ça que le marché du travail est tel qu’il est. »
Selon Brand, la réponse est d’intégrer la high-tech dans les secteurs traditionnels comme le textile ou l’industrie lourde, rendant possible pour Israël de concurrencer l’Extrême Orient. Il cite l’entreprise de sous-vêtements israélienne Delta Galil comme un exemple de réussite dans ce domaine. Réalisant que l’avantage comparatif d’Israël résidant dans la technologie, Delta Galil a commencé à fabriquer des vêtements drainant la transpiration, profilant le corps et sans couture, et est devenu un fournisseur important de marques comme Calvin Klein, Nike et Victoria’s Secret.
« Intégrer la technologie est le seul moyen de survivre ; la même chose pourrait arriver dans l’industrie agroalimentaire, dit-il. Avec plus de bons emplois, il y aura plus de compétition pour les travailleurs et les salaires monteront dans tous les secteurs de l’économie. »
Stef Wertheimer, fondateur de la société d’outillage israélienne ISCAR, est un grand partisan du besoin de construire plus d’usines pour assurer une bonne vie aux futures générations d’Israéliens, note Brand.
Des intermédiaires à la recherche d’une rente
Certaines industries sont un plus grand frein à la productivité que d’autres, disent Regev et Brand, pointant les grossistes en général et l’industrie agro-alimentaire en particulier comme les pires délinquants.
« L’industrie des grossistes est très problématique, dit Brand. Elle entraîne des prix élevés et une productivité faible. Beaucoup adoptent un comportement de recherche de rentes (exploiter un statut de monopole pour extraire de l’argent sans fournir de bénéfices comparables).
« Ils vont aller voir un fermier et dire : ‘vous ne voulez pas vendre vos tomates pour un shekel ? OK, attendons une journée et regardons-les pourrir dans le champ’. »
Pour Brand, la productivité des grossistes israéliens n’a pas augmenté depuis 15 ans, alors que dans les pays de l’OCDE, elle s’est accrue de 10 dollars par heure.
Pendant ce temps, en 2005, les prix de l’alimentation étaient inférieurs de 16 % à la moyenne de l’OCDE, et ils sont à présent 19 % plus élevés que cette moyenne. Brand cite la vente de Tnuva à Apax, la tragédie Remedia, et la baisse consécutive des importations, ainsi que l’achat par la chaîne de supermarchés Shufersal de son concurrent ClubMarket en 2006 comme des causes immédiates.
Et pour les solutions ? Augmenter les importations alimentaires ainsi que des initiatives de ventes directes du fermier producteur aux consommateurs via internet sont un débit, dit Brand.
‘Les pauvres, c’est nous’
Demandez à Dan Ben-David, président de l’institution Shoresh pour la recherche socio-économique, comment créer plus de bons emplois dans l’économie israélienne, et il vous dira que tout repose sur les investissements du gouvernement dans les infrastructures publiques : santé, transport et, plus important, éducation.
« Nous avons certaines des meilleures universités du monde en Israël, en termes de qualité de recherche et d’étudiants. Mais elles ne sont pas représentatives de l’ensemble de notre pays », dit Ben-David.
Pour lui, la productivité horaire en Israël est la plus faible du monde développé, et cela est dû au fait qu’ « une grande partie de la population reçoit une éducation du tiers-monde. »
« Je peux être le meilleur ingénieur du monde, mais si je travaille avec un groupe de gens qui ne parle pas anglais, par exemple, ou ne connaissent pas les maths, je finirais par faire le travail à leur place. Cela diminue leur productivité, mais la mienne aussi. »
Pour Ben-David, Israël est en fait deux nations en une, la nation start-up de pointe et les groupes désavantagés, particulièrement les ultra-orthodoxes, les Arabes israéliens et les personnes plus pauvres en périphérie, à qui il manque les compétences pour contribuer à une économie moderne. Cet écart, dit-il, pousse Israël à tomber de plus en plus bas dans le classement de productivité des pays développés du monde.
« Le niveau scolaire général dans les écoles ici est faible. Mais si les parents sont éduqués, particulièrement les mères, leurs enfants s’en sortiront bien, selon les études. Mais qu’arrivent-ils aux autres enfants en Israël ? »
Ben-David dit qu’il ne s’agit pas d’aider les pauvres.
« Les pauvres, c’est nous ! Si nous ne leur permettons pas d’atteindre un niveau où ils pourront être auto-suffisants, alors le fardeau entier du pays reposera sur les épaules des quelques-uns qui ont une bonne éducation. Mais nous avons besoin de tous les autres. Essayez de mener une guerre avec seulement quelques-uns de vos voisins. »
Où est allé l’argent ?
Ben-David décrit un tableau effrayant de la façon dont les gouvernements israéliens successifs ont éloigné leur priorité de l’éducation et de l’investissement dans le capital humain à partir des années 1970.
« Jusqu’au milieu des années 1970, nous avons construit des universités, mais pas une seule université de recherche n’a été construite depuis, même si la population a plus que doublé. Il y a moins de chercheurs aujourd’hui en Israël qu’il y a 40 ans, et 20 % de moins de professeurs d’université aujourd’hui qu’il y a 40 ans. »
Ben-David dit que dans les premières années de l’Etat, Israël a investi de l’argent dans la construction de villes, de routes, d’universités et d’hôpitaux, mais même si le pays est bien plus riche aujourd’hui, l’argent a été investi ailleurs.
« Par exemple, le nombre de lit d’hôpital par habitants a régulièrement augmenté jusqu’à la fin des années 1970. Mais aujourd’hui nous avons un des plus bas taux de lits d’hôpital parmi les pays développés. Vous pouvez avoir un médecin comme dans un pays industrialisé ici, mais vous serez hospitalisé dans des conditions du tiers-monde, dans le couloir ou la salle de déjeuner. C’est comme ça que les gens attrapent des infections. »
Quand on lui demande vers quels secteurs l’argent est-il dévié, Ben-David répond que c’est difficile à dire, puisque le budget d’Israël n’est pas transparent.
‘Vous pouvez avoir un médecin comme dans un pays industrialisé ici, mais vous serez hospitalisé dans des conditions du tiers monde, dans le couloir ou la salle de déjeuner’
« Vous avez un budget très détaillé – il y a des milliers de catégories budgétées – mais vous ne pouvez pas les classer parce que ce qui est écrit dans la catégorie du budget est indéchiffrable dans beaucoup de cas. »
Néanmoins, Ben-David pense que certains groupes d’intérêts, comme les ultra-orthodoxes et les capitalistes de copinage, obtiennent une large partie de l’argent qui devrait aller à toute la population.
La solution, dit-il, est de créer un gouvernement centriste. Si le Likud, Koulanou, Yesh Atid et l’Union sioniste formaient une coalition, elle contiendrait les deux tiers des députés et pourrait commencer à s’attaquer aux sujets centraux qui sont cruciaux pour le futur d’Israël, comme la réforme du système scolaire.
« Dans 20 ans, ces partis représenteront à peine la moitié de la population. Ce qui est très difficile aujourd’hui sera impossible dans quelques décennies. Mais nous ne faisons pas pression sur les partis pour qui nous votons pour qu’ils coopèrent les uns avec les autres. »
Un récit édifiant
Ben-David dit que lui, comme beaucoup de ses collègues de l’université de Tel Aviv, a obtenu son doctorat dans l’une des meilleures universités mondiales (Université de Chicago) et aurait pu faire carrière n’importe où dans le monde.
« Nous n’avions pas à revenir, mais nous sommes revenus parce que c’est ici que nous voulons vivre. C’est notre maison. »
‘Si vous avez les mauvaises politiques, un pays peut s’effondrer. Les pays meurent’
Néanmoins, si cette génération ne fait pas les choses correctement, leurs enfants pourraient ne plus vouloir vivre ici.
« Regardez le Liban. Il y a quelques décennies, Beyrouth était appelé le Paris du Moyen Orient. Il y avait un certain équilibre entre les personnes les plus éduquées et les moins éduquées. Les chrétiens étaient majoritairement éduqués et les musulmans ne l’étaient pas. Les chrétiens ont perdu, et le Liban qui était une semi-démocratie, est perdu. Regardez l’Union soviétique. Si vous avez les mauvaises politiques, un pays peut s’effondrer. Les pays meurent. »
Pour Israël, ajoute-t-il, « ce pays a beaucoup pour lui, mais nous devons faire les choses bien. Si nous ne prenons pas soin de tous les enfants de ce pays, nos enfants choisiront de ne pas rester ici. »
Ryan, le nouvel immigrant, espère aussi que le pays ira bien. Il a quitté son emploi au centre d’appels et travaille maintenant dans la construction.
« J’aime vivre ici et je ne prévois pas de partir, a-t-il dit. Je savais que cela serait dur de gagner ma vie en Israël. Je ne pensais pas seulement que ce serait tellement dur. »
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