« Painkiller », un drame horrifiant sur le rôle des Sackler dans la crise des opioïdes
Matthew Broderick sera sur Netflix le 10 août dans une nouvelle série de 6 épisodes qui se concentre sur les ravages de l'Oxy au sein d'une communauté de l'ouest de la Virginie
« Tout le comportement humain se résume à deux choses. Fuir la douleur. Courir vers le plaisir. La douleur, le plaisir. La douleur, le plaisir. Si nous nous plaçons entre la douleur et le plaisir, nous n’aurons plus jamais à nous soucier de l’argent. »
C’est ce que le Dr. Richard Sackler (incarné par Matthew Broderick) dit à ses oncles dans la nouvelle série de six épisodes de Netflix, « Painkiller » – ou analgésique – qui se concentre sur la crise des opioïdes prescrits par ordonnance aux États-Unis, qui a jusqu’à présent entraîné la mort par overdose – ou sur-consommation – d’au moins un million de personnes. La série sera diffusée à partir de ce jeudi.
Dans le premier épisode, Richard Sackler fait cette déclaration obsédante et prémonitoire après que le patriarche de la famille, le Dr. Arthur Sackler – psychiatre de renom, spécialiste de la commercialisation de médicaments et collectionneur d’art – est décédé en 1987 et que la famille doit décider quelles entreprises de son portefeuille lui permettront de rester rentable. Richard persuade ses oncles de miser sur la petite société pharmaceutique Purdue-Frederick, qu’ils rebaptisent Purdue Pharma.
En 1996, Purdue met sur le marché l’OxyContin – aussi connu sous le nom « Oxy » – une version à libération lente de l’oxycodone. L’oxycodone est un opioïde synthétique utilisé depuis des dizaines d’années principalement pour traiter le cancer et les patients en phase terminale. L’OxyContin est principalement de l’héroïne sous forme de pilules et entraîne une forte dépendance, contrairement à ce que Purdue prétendait.
« Painkiller » montre que les Sackler ne disposaient pas de preuves avérées de l’innocuité du médicament et qu’ils l’ont fait approuver en se mettant un représentant de la Food and Drug Administration (FDA) dans leur poche.
L’OxyContin allait faire des Sackler l’une des familles les plus riches d’Amérique grâce à la commercialisation agressive par Purdue de ce médicament contre les douleurs courantes et chroniques. Des documents judiciaires montrent que les Sackler ont réalisé 10 milliards de dollars de bénéfices grâce à l’OxyContin.
Depuis la fin des années 1990, les États-Unis – principalement le cœur de l’Amérique centrale – ont été ravagés par la dépendance aux opioïdes, déclenchée par l’introduction de l’OxyContin. (D’autres pays ont également été touchés, notamment Israël, qui compte le plus grand nombre de prescriptions d’opioïdes par habitant au monde).
Une histoire trop commune
Co-écrit par Micah Fitzerman-Blue et Noah Harpster, et réalisé par Peter Berg, « Painkiller » s’est inspiré de Pain Killer : An Empire of Deceit and the Origin of America’s Opioid Epidemic (« Analgésique : Un empire de la tromperie et l’origine de l’épidémie américaine d’opioïdes « ), de Barry Meier, et de Empire of Pain : The Secret History of the Sackler Dynasty (« L’empire de la Douleur : L’histoire secrète de la dynastie Sackler »), de Patrick Radden Keefe.
La série Netflix n’est pas la première itération narrative de la crise des opioïdes. Il y a eu des documentaires, d’autres séries dramatiques, des livres et d’innombrables articles d’investigation. Alors que 100 000 Américains meurent encore chaque année d’une overdose d’opioïdes, « Painkiller » ne sera certainement pas la dernière version de l’histoire.
« Painkiller » change constamment de ton, passant brusquement des graves aux aigus. La bande-son est souvent gonflée et des images de dessins animés apparaissent parfois pour casser le style visuel. Parfois surréaliste, l’effet global tente vraisemblablement d’imiter les hauts et les bas ressentis lors de consommations d’OxyContin et de l’accoutumance à cette drogue.
L’intrigue de la série tisse plusieurs fils narratifs convaincants afin de couvrir autant de bases que possible pour expliquer comment les prescriptions d’opioïdes ont fini par tuer tant de personnes et détruire tant de familles et de communautés.
Certains rôles, comme ceux des membres de la famille Sackler et de leurs employés, ainsi que celui du procureur John L. Brownlee du district ouest de Virginie, sont inspirés de personnages réels. D’autres sont soit composites, soit fictifs, mais néanmoins essentiels.
L’enquêtrice du bureau du procureur Edie Flowers (incarnée par Uzo Aduba) sert de narratrice, ancrant les aspects variés et complexes de l’histoire. Elle vient à contrecœur à Washington, après que des procureurs civils lui ont demandé de les aider à monter un dossier contre Purdue. Après avoir travaillé sans relâche avec Brownlee pour préparer un dossier contre l’entreprise pharmaceutique en 2007, elle voit ses espoirs anéantis lorsqu’à la dernière minute, le ministère de la Justice fait pression sur Brownlee pour qu’il règle l’affaire, en acceptant que Purdue reconnaisse le chef d’accusation « d’étiquetage erroné ».
Cependant, une fois que la dure à cuire de Flowers constate que les procureurs ont dans leur dossier une déposition enregistrée du PDG de Purdue, Richard Sackler, datant de 2015 (elle a été publiée par l’ONG ProPublica en 2019), elle est prête à coopérer.
Elle commence par le début, racontant comment, par un pur hasard, elle a pris connaissance de l’existence de l’OxyContin et de la façon dont les habitants de l’ouest de la Virginie en devenaient dépendants. Ayant elle-même été témoin de la dévastation de sa propre famille par l’épidémie de crack des années 1980 et du début des années 1990, elle commence à enquêter sur le nombre astronomique d’ordonnances d’OxyContin prescrites par les médecins et délivrés par les pharmacies de la région.
« Comment un médicament prescrit légalement peut-il tuer autant de gens ? », s’interroge Flowers, déconcertée.
La vente à la sauvette
Britt Hufford (incarnée par Dina Shihabi) et Shannon Schaeffer (incarnée par West Duchovny), représentantes de Purdue, vêtues de robes courtes et moulantes perchées sur des hauts talons, incitent les médecins non seulement à prescrire de l’OxyContin, mais aussi à augmenter les doses lorsque le médicament semble s’estomper « trop vite » chez certains patients. Ces « petits soldats de l’OxyContin » – dont aucun n’a de formation médicale – convainquent les médecins que le médicament est sans danger et qu’il sera bénéfique pour leurs résultats.
« L’OxyContin est celui avec lequel il faut commencer et celui avec lequel il faut rester. Plus vous en prescrivez, plus vous aidez », dit Schaeffer, une jeune femme qui cherche à sortir de la pauvreté et qui laisse le bling-bling que lui procurent ses nouveaux revenus l’aveugler sur l’éthique douteuse de son comportement.
Le dernier volet du récit est celui de Glen Kryer (incarné par Taylor Kitsch) et de sa famille. Après que Kryer, mécanicien automobile, a eu un grave accident dans son garage, son médecin lui a prescrit de l’OxyContin pour soulager ses douleurs pendant sa convalescence. Lorsque la dose initiale de Kryer s’était estompée en moins de 12 heures comme prévu, son médecin a augmenté son dosage. Kryer a continué à développer une accoutumance au médicament. S’il n’en prenait pas davantage et plus fréquemment, il commençait à ressentir des symptômes de manque.
En peu de temps, Kryer devient dépendant et se procure de l’OxyContin où et comme il le peut. Il commence également à le sniffer, comme le font les jeunes adolescents de la communauté, ce qui a des conséquences mortelles.
Tout au long de la série, le fantôme d’Arthur Sackler hante son neveu Richard. Arthur incite Richard à être à la fois impitoyable et prudent et l’avertit surtout de ne pas ruiner le nom de Sackler, qui figure sur de nombreuses institutions prestigieuses dans les domaines de la médecine, de la science et de l’art.
https://youtu.be/24-YonhNS0Y
Le 30 mai 2023, une Cour d’appel de New York a rendu une décision accordant à la famille Sackler l’immunité contre les poursuites actuelles et futures concernant leur rôle dans l’affaire des opioïdes de Purdue Pharma. En contrepartie, la famille Sackler a accepté de verser jusqu’à 6 milliards de dollars pour lutter contre l’épidémie d’opioïdes.
Dans le cadre d’un accord conclu en mars 2022 avec huit États et le district de Columbia, la famille Sackler a accepté d’autoriser les organisations et les institutions des États-Unis à retirer le nom de la famille des bâtiments, des programmes et des bourses, à condition que la famille en soit informée et que les déclarations publiques annonçant le retrait du nom ne « dénigrent » pas la famille.
Avant même que l’accord ne soit conclu, certaines universités et institutions américaines ont décidé de mettre un terme au blanchiment de la réputation philanthropique des Sackler.
De nombreuses institutions internationales ont également décidé de prendre leurs distances avec les Sackler. L’Université d’Oxford a retiré le nom de la famille de sa bibliothèque, de ses galeries et de ses programmes. Des musées tels que le Louvre à Paris et les musées Tate, la National Portrait Gallery et le British Museum à Londres se sont également dissociés de la famille Sackler.
En juin, l’Université de Tel Aviv a décidé de supprimer le nom Sackler de sa faculté de médecine. Elle a publié une déclaration indiquant que la décision était mutuelle, mais il n’était pas difficile de lire entre les lignes.
« Au cours des 50 dernières années, la faculté de médecine de l’Université de Tel Aviv a fièrement porté le nom de la famille Sackler », indique un communiqué de l’université.
« Dans un souci constant d’aider l’université et la faculté à collecter des fonds pour la recherche médicale, la famille Sackler a gentiment accepté de retirer son nom de la faculté de médecine. Cette décision permettra à l’université d’offrir à de nouveaux donateurs la possibilité de nommer la faculté de médecine et l’école de médecine. »
Alors que le nom des Sackler continue de disparaître des institutions, le film « Painkiller », accompli et dérangeant, est le dernier rappel horrifiant des raisons de ce biffage.