Poésie et révolution : A la recherche de Bob Dylan en Ukraine
La ville d'Odessa et sa communauté juive ont rendu hommage au chanteur légendaire de folk, 'l'un des leurs' - mais avec des résultats mitigés
ODESSA, Ukraine — « Bob Dylan ! Une fierté de plus pour Odessa », annonce l’imposant panneau installé devant la mairie de la ville d’Odessa, sur la mer Noire. Il présente, en peinture, une image célèbre de l’artiste arborant l’un de ses chapeaux emblématiques.
« La ville d’Odessa et le Limmud FSU félicitent les citoyens d’Odessa pour le prix Nobel décerné à Bob Dylan dans le domaine de la littérature », dit l’un des panneaux – l’un des douze qui ont été stratégiquement installés dans toute la ville – revendiquant fièrement cette légende américaine du rock comme l’un des leurs.
La campagne a été initiée par le Limmud FSU, une organisation qui cherche à renforcer l’identité des Juifs dans l’ancienne Union soviétique, et qui a organisé une conférence, le mois dernier, a laquelle ont assisté plus de 1 000 résidents locaux.
C’est une méthode qui a été utilisée avec succès dans le passé : Mettre en exergue des personnalités célèbres d’origine juive venues des villes, des municipalités ou des shtetls où l’association organise des conférences. C’est une manière efficace, a découvert cette dernière, de renforcer la fierté de l’identité des communautés juives locales, dont un grand nombre ont été anéanties durant l’Holocauste puis soumises à des décennies d’oppression communiste.
« Nous célébrons une famille importante qui est partie pour l’Amérique, celle du chanteur juif américain le plus célèbre qui a remporté, l’année dernière, le prix Nobel », a indiqué le fondateur du Limmud FSU, Chaim Chesler, aux délégués réunis lors de la fête organisée un samedi dans la soirée.
Dylan est né Robert Allen Zimmerman à Duluth, dans le Minnesota, en 1941. Suite à une série de pogroms, ses grands-parents avaient immigré en 1907 depuis Odessa, qui faisait alors partie de l’Empire russe et se trouve maintenant au sein de l’Ukraine actuelle.
« Nous célébrerons le cadeau merveilleux qu’Odessa a donné au monde. Cela montre que les racines juives ancrées à Odessa sont éternelles », a dit Chesler. « Quand vous creusez en Ukraine, vous trouvez les meilleurs talents du monde entier », a-t-il dit, mentionnant également les artistes juifs Leonard Cohen et Barbara Streisand, qui seraient, selon certaines informations, également originaires de la région.
Logiquement, la communauté juive d’Odessa a toutes les raisons de tirer une immense fierté de Dylan, qui a été peut-être le musicien le plus influent de sa génération et qui a reçu le prix Nobel de littérature en 2016. C’est la première fois que cette distinction prestigieuse est remise à une personnalité considérée avant tout comme un musicien.
Et pourtant, malgré le symbole et le battage, force est de reconnaître que les locaux ne se sont pas tellement impliqués.
Il n’est pas très populaire ici
La première matinée, il y a eu une conférence sur Dylan d’Amitai Achiman, conservateur au musée de la Diaspora de Tel Aviv (actuellement en rénovation jusqu’à sa réouverture sous le nom de musée du Peuple juif). Achiman avait été l’initiateur de l’exposition, au musée, consacrée à Bob Dylan et appelée : « Eternellement jeune : la révolution et l’héritage de Dylan » qui avait marqué le 75e anniversaire du musicien.
Mais seulement environ 15 des 1 000 participants se sont montrés.
« Je ne savais absolument pas qu’il avait des racines en Ukraine mais je le dirai à mes amis Juifs. On ne savait pas qu’il était Juif ni qu’il était d’Odessa », a expliqué Olga Brodska, 20 ans, l’une des rares personnes présentes.
« Les Ukrainiens devraient être fiers de lui. Peut-être que ce n’est pas trop tard : En Ukraine, tout avance lentement », a-t-elle ajouté, reconnaissant : « Il n’est pas très populaire ici, peut-être dans des petits groupes seulement ou chez les gens qui ont dépassé la trentaine ».
Mais apparemment, les plus de 30 ans ne sont pas fans non plus.
Les organisateurs ont aussi fait venir le chanteur israélien Eric Berman, qui a traduit en hébreu plusieurs chansons de Dylan.
Lors d’un concert de Berman – au cours duquel il a joué ses propres compositions et des titres de Dylan – il a dû faire avec un flux régulier de participants qui allaient et venaient hors de la salle.
Pour être honnête, il est vrai que les conditions n’étaient pas idéales pour Berman ni pour le public – alors qu’il jouait une musique que les participants n’avaient jamais entendue dans une langue qu’ils ne comprenaient pas, dans une salle destinée à la base aux conférences et éclairée par une lumière éblouissante causée par des néons criards.
Et c’est finalement lorsqu’il a joué sa propre musique – légèrement plus rythmée – que l’assistance s’est finalement laissée séduire.
Le mauvais nom, les mauvais parents
Si les Ukrainiens n’ont pas paru outrageusement intéressés par Dylan, il semble également que ce dernier n’ait jamais clamé non plus être un héros de la folk issu de la communauté juive ukrainienne.
« L’une des raisons pour lesquelles il a changé de nom, c’est qu’il voulait devenir un chanteur américain, je ne suis pas si sûr que ça qu’il voulait garder sa connexion avec ses racines d’Europe de l’est », a dit Achiman.
Dans une interview accordée à CBS News en 2004, Dylan l’avait dit sans artifice : « Vous naissez, vous savez, le mauvais nom, les mauvais parents. Je veux dire que ça arrive. Vous vous donnez le nom que vous voulez porter. C’est ça, la terre de la liberté », avait-il dit.
Même s’il a essayé de s’en libérer, Dylan a maintenu des liens forts avec Israël tout au long de sa vie. Il est venu dans le pays à plusieurs reprises à la fin des années 1960 et durant les années 1970 et avait même effectué des démarches pour rejoindre un kibboutz. Il a donné trois concerts en Israël : en 1987, 1993 et 2011.
Dylan, qui a pris, de notoriété publique, deux semaines pour reconnaître son prix Nobel, a gardé le silence également sur ses racines à Odessa, ses représentants n’ayant pas répondu à une demande de commentaires.
Et pourtant, alors que la conférence explorait l’histoire des Juifs d’Odessa et l’héritage de Dylan, des parallèles immanquables ont commencé à émerger. Deux thèmes se sont entremêlés : La poésie et la révolution.
Le berceau
L’Odessa que Zigman et Anna Zimmerman avaient laissée derrière eux pour le nouveau monde était un chaudron ardent de vie juive.
A la fin du 19e siècle, la communauté juive était la deuxième la plus importante de l’empire russe : Elle comptait environ 140 000 Juifs qui constituaient à peu près 40 % de la population de la ville.
Elle était largement laïque, très politique et dévouée aux arts et à la culture. Lire les noms des Juifs actifs à Odessa, ces années-là, c’était comme flâner à travers les rues de Tel Aviv à l’époque moderne : Lilienblum, Ahad Ha-Am, Ussishkin, Dizengoff, Borochov, Jabotinsky, Tchernichovsky, Bialik et bien plus encore.
« Les dirigeants qui ont fait exister Israël ont commencé à Odessa », a dit Avraham Duvdevani, président de l’Organisation sioniste mondiale (ZOA), qui a évoqué l’impact des Juifs d’Odessa en Israël.
Tandis qu’un grand nombre des Juifs de la ville ont été actifs en faveur de la cause sioniste, tout autant étaient membres de groupes comme le Bund et dévoués de la même façon au communisme. En 1905, Odessa a été le théâtre d’un soulèvement ouvrier soutenu par l’équipage du cuirassé Potemkine et le journal Iskra de Lénine. Le soulèvement et les « marches de Potemkine » ont été immortalisés dans le fameux film réalisé par Sergei Eisenstein, et ces dernières sont encore un site touristique majeur de la municipalité.
1905 a également été l’année d’un pogrom meurtrier au cours duquel plus de 300 Juifs ont été tués, persuadant la famille Zimmerman comme de nombreuses autres à partir.
Mais parmi les révolutionnaires qui vivaient et travaillaient à Odessa à ce moment-là, des poètes, en particulier Hayim Nahman Bialik (qui allait devenir le poète national d’Israël) et Shaul Tchernichovsky. Tout deux ont créé de la poésie à partir d’une langue morte, donnant ainsi vie à l’hébreu moderne.
« Odessa est le berceau de la littérature juive », a dit Achiman. « Il y a eu une fermentation étonnante ici, un bouillonnement. C’était la première fois dans l’histoire que des gens créaient une littérature dans une langue qu’ils n’utilisaient pas au quotidien ».
Et, venant en écho de cette histoire, les refrains de Dylan – le poète, le révolutionnaire.
Dylan a-t-il été imprégné de la culture d’Odessa chez ses parents ? Certainement d’une partie, oui.
Dans un entretien avec Robert Shelton en 1968, le père de Dylan, Abram, avait raconté le périple de la famille.
« Mes parents sont arrivés en 1907. Ils venaient d’Odessa, en Russie. Ils étaient venus à Duluth parce que d’autres, qui venaient d’Odessa également, s’y étaient installés. On s’établit toujours là où on connaît quelqu’un », avait dit Abram, reconnaissant que le quartier dans lequel Dylan avait grandi était majoritairement scandinave. Il y avait, avait-il ajouté, « quelques familles juives ça et là mais il n’y avait pas de ghetto ».
Ils parlaient néanmoins yiddish.
« On parlait le yiddish à la maison, comme tous les autres. Ma famille toute entière parlait le yiddish. Je ne connaissais pas un autre foyer juif qui ne parlait pas le yiddish », avait-il précisé.
Blowing in the wind
Dylan peut – ou non – avoir été imprégné des traditions juives en grandissant, comme cela peut se voir dans une existence aux changements intérieurs constants. Il a erré du judaïsme au christianisme dit born-again, en passant par l’athéisme et par toutes ces convictions où ses recherches l’ont porté.
Mais il a sûrement eu en lui la révolution.
Il a suscité l’indignation en jouant de la guitare électrique au festival de Newport en 1965, s’est attaqué à l’injustice sociale, à la guerre et au racisme. Il a utilisé son harmonica, sa guitare et sa voix enrouée pour créer la bande sonore qui devait illustrer les années 1960 et au-delà. Dylan a dit au monde que « les temps sont en train de changer ».
Et il a certainement eu en lui la poésie aussi.
En lui remettant son prix Nobel, l’Académie de Suède a évoqué l’homme qui « a créé de nouvelles expressions poétiques au coeur de la grande tradition américaine du chant ». Elle a ajouté que les chansons de Dylan étaient de « la poésie pour les oreilles ».
“Dylan a le statut d’une icône. Son influence sur la musique contemporaine est profonde », a-t-elle écrit au sujet du chanteur dont le caractère secret est de notoriété publique.
Odessa peut ne pas avoir adopté Dylan comme les organisateurs l’auraient espéré. Et, comme l’a dit Achiman, il est certainement osé de lier directement Dylan aux poètes hébreux. « Sa tradition de poésie repose sur la tradition américaine, et pas vraiment sur Tchernichovsky ou Bialik.”
Toutefois, comme Dylan qui reste dans l’ombre durant ses concerts, n’apparaissant que brièvement à la lumière, en regardant Odessa, il y a des traces de Dylan – tout comme en écoutant Dylan, il y a des lueurs d’Odessa.
« Il peut y avoir quelque chose dans l’esprit d’Odessa qui est venu s’inscrire en lui », a dit Achiman. « Il y a quelque chose en lui qui les représente, eux ».
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