Ponts, tentes et tuyaux de ciment : comment les villages bédouins se sont protégés des frappes iraniennes
La guerre Israël-Iran et ses barrages de missiles soulignent les disparités dont souffre une communauté qui ne peut ni recevoir d'abris du gouvernement, ni construire les siens

Quand les sirènes ont retenti à travers Israël, au cours des récentes attaques de missiles en provenance d’Iran, Ibrahim Abu Halil était prêt. Ce père de cinq enfants, âgé de 40 ans, a pris ses enfants et couru dans la nuit – non pas vers un abri : il n’y a pas d’abri dans son village d’Umm Matanan, dans la région orientale du Néguev -, mais vers le viaduc routier le plus proche.
« Parfois, nous y restions pendant cinq ou six heures », a-t-il déclaré. « Une fois, nous sommes restés deux jours. J’ai même rencontré des gens qui sont restés sous les ponts pendant 10 jours. »
« Cela ne vous protègera pas, mais c’est mieux que rien », a indiqué Abu Halil, employé par le ministère de la Défense depuis plus de 15 ans pour transporter des soldats vers et depuis des bases situées sur différentes frontières. « La nuit, il y a aussi des animaux. C’est très effrayant. »
Abu Khalil et sa famille font partie des plus de 100 000 citoyens bédouins habitant les quelque 35 villages du désert du Néguev que l’État ne reconnaît pas officiellement. Ils ne disposent par conséquent d’aucune protection contre les roquettes ou les missiles.
Les habitants vivent principalement dans des tentes et des structures en tôle. Dans les villages non reconnus, il est interdit de construire des maisons ou des bâtiments, notamment des pièces renforcées ou des abris anti-bombes. De plus, ces localités manquent d’infrastructures d’urgence, ont peu de services publics et souvent pas d’électricité ou de routes pavées.
Ces conditions de vie se sont révélées particulièrement pénibles pour les membres des communautés non reconnues au cours de la récente guerre de 12 jours contre l’Iran déclenchée par l’attaque surprise d’Israël le 13 juin visant les principaux chefs militaires de la République islamique, les scientifiques nucléaires, les sites d’enrichissement d’uranium et le programme de missiles balistiques.
En représailles et jusqu’à la conclusion, mardi, d’un cessez-le-feu, l’Iran a lancé quelque 550 missiles balistiques et environ 1 000 drones sur Israël, tuant 28 personnes et en blessant des milliers d’autres, selon des responsables de la santé et des hôpitaux.
« La situation est encore pire maintenant, mais nous vivons comme ça depuis le 7 octobre », a expliqué Amira Abu Hadoba, mère de quatre enfants et intervenante auprès des personnes souffrant de traumatismes dans le village bédouin d’Abu Talool. « Chaque jour, nous nous asseyions, et nous attendions qu’une roquette frappe notre maison. »
Quelque 1 200 personnes ont été massacrées et 251 autres enlevées et prises en otage dans la bande de Gaza lors de l’attaque menée par le Hamas en 2023, à l’origine de la guerre en cours entre Israël et le Hamas. Vingt-deux citoyens bédouins du Néguev ont été tués et six autres pris en otage. Quatre ont finalement été libérés ou secourus, et deux ont été assassinés en captivité.
Selon Abu Hadoba, pendant la récente guerre de 12 jours, certaines familles se réfugiaient sous des ponts et d’autres dans des grottes. Certaines se cachaient sous des tracteurs, dans des trous sous terre ou dans d’énormes cylindres de drainage en ciment.
« Nous n’avons pas d’abri. Nous n’avons rien », a rapporté Attia Alasam, chef du Conseil régional des villages bédouins non reconnus, également originaire d’Abu Talool. « Nous restons à la maison, nous nous asseyons, nous regardons les interceptions dans le ciel et nous prions. »
Abu Talool, même s’il est reconnu par l’État, présente des conditions identiques à celles des villages non reconnus.

« Mon village est reconnu depuis 20 ans, mais l’État n’a rien fait. Ils ne nous donnent pas de permis de construire, et si nous essayons de construire quand même, ils démolissent nos maisons », a ajouté Alasam.
Trop peu, trop tard
Environ 44 miguniyot – des abris portables souvent constitués de structures en ciment, sans portes ni aération – ont été mis en place dans les villages non reconnus. La plupart ont été donnés par des ONG et ont été jugés par le Commandement du Front intérieur israélien comme de qualité inférieure à celle requise par les normes de sécurité. Même les localités bédouines officiellement reconnues comme Abu Talool restent très mal équipées.
Le Commandement du Front intérieur, chargé de distribuer des abris anti-bombes à la population, s’est refusé à tout commentaire.
L’Autorité pour le Développement et l’établissement des Bédouins dans le Néguev ainsi que le ministère du Néguev, de la Galilée et de la Résilience nationale, chargés de pourvoir aux besoins des citoyens de ces communautés, n’ont pas répondu non plus à nos demandes de commentaires.
« Il en va de même pour les écoles. Elles sont rarement protégées, et elles sont l’unique service que l’État fournit », a affirmé Alasam.
Les villages bédouins non reconnus (ainsi que certains reconnus), lorsqu’ils disposent d’un migounit ou deux pour toute la population, les placent généralement à l’école locale.
Face à la menace des missiles balistiques iraniens et auparavant des roquettes du Hamas, Abu Hadoba emmenait ses quatre enfants se réfugier dans une école voisine dotée d’un abri anti-bombes portatif. Mais il y avait rarement assez de place, a-t-elle souligné.
« Les abris que nous avons peuvent accueillir environ 10 personnes. Habituellement, ce sont les femmes et les enfants qui entrent. Les hommes restent dehors », a-t-elle expliqué.

Deux jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et l’Iran, elle a rapporté au Times of Israel que sa fille de 9 ans refusait toujours de dormir seule ou de se séparer de sa mère.
« Elle a peur de dormir », a ajouté Abu Hadoba. « Je comprends. J’essaie de rester forte devant mes enfants, mais j’ai peur moi aussi. »
Abu Hadoba est membre du réseau Nashmiyat, qui rassemble des femmes dirigeantes dans des villages bédouins principalement non reconnus. Depuis le 7 octobre, elle anime des groupes d’aide aux personnes souffrant de traumatismes pour le compte du Conseil des villages non reconnus, se rendant dans différentes localités pour apporter un soutien et des conseils face à la menace persistante d’attaques de missiles.
« De nombreuses familles ont besoin d’être prises en charge en raison d’un SSPT », a-t-elle poursuivi. « Mais les gens ne saisissent pas toujours l’importance des soins de santé mentale. C’est un sujet qui provoque beaucoup de honte, surtout parmi les hommes, qui veulent paraître forts. »
Elle a raconté une récente session Zoom avec des habitants de l’un des villages où elle travaille, durant laquelle plusieurs membres d’une même famille – enfants inclus – avaient été admis à l’hôpital Soroka pour bénéficier d’une traitement des traumatismes résultant de la guerre avec l’Iran.
« Ils ne mangent pas. Ils sont incapables de fonctionner normalement », a-t-elle déclaré. « Ce traumatisme ne disparaît pas. »

Abu Khalil constate également les conséquences de la guerre sur ses jeunes enfants. « Chaque semaine, j’emmène les enfants à l’hôpital, parce qu’ils ne vont pas bien », a-t-il expliqué. « Toute cette période de guerre a été un cauchemar. Tout le monde pleure. »
Il avait construit une maison avant le 7 octobre, et l’État l’a démolie. Depuis, il vit dans une tente avec sa femme et leurs enfants – âgés de 2 à 9 ans -.
Attendre que la justice se prononce enfin
Conformément à sa politique, l’État refuse d’investir dans les infrastructures des villages non reconnus ou d’autoriser les résidents à construire à titre privé, cherchant plutôt à les relocaliser dans des zones approuvées par lui. Par conséquent, les ministères ont refusé de financer des abris, des routes, des garderies ou écoles maternelles dans ces communautés.
Plusieurs requêtes soumises à la Haute Cour de justice israélienne et demandant l’autorisation de construire des abris publics renforcés, notamment l’année l’année dernière par le Conseil des villages non reconnus, ont échoué.
« Aujourd’hui, la communauté bédouine voudrait obtenir des permis pour construire des pièces renforcées et sécurisées dans les villages non reconnus du Néguev”, a déclaré Huda Abu Obaid, directrice exécutive du Negev Coexistence Forum. « Depuis plusieurs années, nous alertons sur la situation sécuritaire dans ces villages. Mais l’État n’a jamais pris ses responsabilités. »
La cour a statué que la protection est « une question privée, et la fournir ne constitue pas une obligation pour l’État ». Mais dans ce cas, selon Abu Obaid, qui est également avocate, « l’État doit permettre aux résidents bédouins de construire légalement des pièces sécurisées, ce qu’ils ne fait pas pour le moment ».

« La Knesset a évoqué la question il y a quelques jours », a indiqué Alasam. « Mais le gouvernement affirme qu’il ne nous donnera des abris que si nous acceptons de déménager – si nous quittons notre terre, notre histoire, notre culture. »
Environ 20 Bédouins ont été tués par des tirs de roquettes le 7 octobre, Parmi eux, 17 – dont 6 enfants – provenaient de villages non reconnus, selon un rapport de l’Institut israélien de la démocratie. Les trois autres civils résidaient dans la ville bédouine de Rahat – qui compte environ 80 000 habitants et ne possède pas un seul abri public.
Depuis, les tirs de roquettes ont fait de nombreux blessés et détruit des dizaines de maisons dans les villages, d’après Alasam.
Amina Hassouna, une fillette de 7 ans vivant dans un village bédouin non reconnu, a été la seule victime grave de l’attaque de missiles iranienne d’avril 2024 contre Israël. Elle a été grièvement blessée par la chute à travers le toit en tôle de sa maison d’éclats d’obus provenant d’un missile intercepté. La maison ne possédait pas d’abri antiaérien. Amina n’a pu quitter l’unité de soins de rééducation d’un an plus tard, en avril 2025.
En plus de souffrir du manque d’abris, de nombreux villages non reconnus ne sont pas couverts par le système de défense antimissile du Dôme de fer. Les zones dans lesquelles ils se trouvent sont en effet répertoriées comme « inhabitées » par l’État.
« Quand des roquettes ont été tirées depuis Gaza, l’État les a laissées tomber ici », a ajouté Alasam. « Ils appellent ça un terrain ouvert. Ils ont essayé d’intercepter des missiles iraniens, mais les éclats d’obus sont tombés sur nous. »

« Nous parlons de ça depuis 10 ans. Notre défense n’intéresse pas le gouvernement », a-t-il ajouté.
Abu Habba, qui a pris la parole à la Knesset, a annoncé que ses appels n’avaient abouti à rien.
« Nous sommes des citoyens d’Israël, mais nous n’avons pas l’impression d’être considérés comme faisant partie de ce pays », a-t-elle souligné. « Nous ne demandons pas grand-chose : avoir une maison, pouvoir travailler, être en sécurité, vivre dignement. »
« J’ai l’impression d’être un étranger – alors que ça n’est pas le cas », a fait savoir Abu Halil. « Avant que l’État ne soit ici, ma famille était ici. Nous avons des racines ici. Nous avons une histoire. Mais l’État ne s’occupe pas de nous. »
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