Pour les bars et les restaurants de Tel Aviv, la réouverture n’est pas gagnée
Un chef cuisinier, des propriétaires de bars et le gérant d'une boutique de mode racontent au "Times of Israël" comment ils vivent les fermetures et le lent retour à la "normale"
Dans une époque pas si lointaine, les restaurants haut de gamme du chef Avi Conforti étaient remplis de clients, notamment d’entrepreneurs et de businessmen qui concluaient des contrats autour d’un poulet chinois croustillant, ou de couples qui trinquaient pour célébrer un anniversaire de mariage. Si ce n’est pas si vieux, c’était néanmoins dans un autre monde : c’était avant la pandémie de coronavirus.
Aujourd’hui, les fourneaux sont éteints, les odeurs ont disparu et « un ange de la mort » est passé dans ses restaurants, a déclaré Conforti, chef autodidacte, dans une interview au Times of Israël. « Nous sommes passés de 100 % à zéro, en un jour. »
Sur fond de ravages causés par la pandémie, avec des entreprises fermées pendant près de deux mois et des citoyens se confinant chez eux pour stopper la propagation du virus, les entreprises israéliennes, grandes et petites, déplorent un manque de vision et de leadership économiques et une proposition de programme d’aide « avare » qui ne les aidera pas à survivre à la crise.
L’aide de 80 milliards de shekels (20 milliards d’euros) annoncée en mars est beaucoup moins importante que celle fournie par d’autres pays et n’a pas réussi à venir en aide aux personnes dans le besoin, selon les entreprises, les promesses d’aide rapide n’ayant pas été tenues.
Les propriétaires de petites entreprises et les travailleurs indépendants sont descendus dans la rue, réclamant une aide accrue du gouvernement. Certaines grandes chaînes de magasins ont refusé d’ouvrir leurs portes lorsque le gouvernement a finalement assoupli certaines restrictions le mois dernier, exigeant une compensation pour leurs pertes dans un contexte de baisse des dépenses de consommation et de prolongement des mesures de distanciation sociale.
Pendant ce temps, les restaurants, bars et magasins israéliens se préparent à ce qu’ils perçoivent comme la véritable bataille qui les attend.
Même lorsque les restrictions seront finalement levées pour les restaurants et les bars – dont on craint qu’ils ne soient le foyer d’une nouvelle vague de contamination virale – ceux-ci devront probablement se conformer à des règles strictes de séparation des tables et de réduction du nombre de personnes pouvant être accueillies dans leurs locaux.
En temps normal, les Israéliens dépensent environ 20 milliards de shekels (5 milliards d’euros) par an dans les restaurants et les cafés. Nombre de ces restaurants, en particulier à Tel Aviv, sont de petites entreprises familiales.
Zepra, le restaurant de cuisine fusion asiatique du chef Conforti à Tel Aviv, ouvert il y a 14 ans et très apprécié des locaux et des visiteurs, propose des repas multiculturels magnifiquement décorés.
Avant que le virus ne frappe, le restaurant servait quelque 600 couverts par jour et préparait 100 à 150 livraisons à domicile. Il était ouvert sept jours sur sept et employait près de 120 personnes, parmi lesquelles des chefs asiatiques spécialisés venus de l’étranger.
Encore plus haut de gamme, Topolopompo, le restaurant de grillades asiatiques de Conforti, ouvert il y a sept ans, accueillait quelque 400 personnes par jour et effectuait 100 livraisons quotidiennes. Le restaurant employait quelque 95 personnes, avec des cuisiniers préparant du bœuf et des sashimis, des boulettes de maïs avec des champignons rôtis et une sauce chinoise aux petits pois fouettée, et des coquelets avec un ragoût de crevettes et des cacahuètes grillées avec du tamarin et du piment.
La chaîne de restaurants Zozobra de Conforti propose des plats asiatiques à des prix plus accessibles, avec trois établissements à Tel Aviv, Herzliya et Kfar Saba.
Depuis que la fermeture des restaurants a été ordonnée en mars – afin d’éviter la propagation du virus – Conforti, qui fusionne ses origines juives, bulgares et italiennes dans ses plats asiatiques, a mis ses employés en congé, mais a dû continuer à payer les salaires et les loyers des cuisiniers spécialisés qu’il avait fait venir de l’étranger.
Seul Zozobra a continué à assurer des services de livraison, tandis que les deux autres restaurants ont dû fermer complètement, a-t-il expliqué, car il n’était pas financièrement possible de les maintenir ouverts uniquement pour les livraisons.
Conforti a demandé un prêt bancaire avec des garanties gouvernementales pour l’aider à surmonter la crise, mais il a essuyé un refus, a-t-il dit. « Ils nous ont répondu que nous représentions une entreprise risquée en cette période. » Au moment de l’interview, il n’avait pas encore reçu le remboursement promis des taxes municipales.
« Il y a un grand fossé entre ce que le gouvernement promet et ce qui se passe sur le terrain », a-t-il déclaré. « Nous avons un manque d’information et de la désinformation – et rien ne s’est passé. Il n’y a personne à qui parler. » Quelque 80 à 90 % du chiffre d’affaires des restaurants servent généralement à couvrir les dépenses, a-t-il noté.
La confusion règne quant au moment où les restaurants seront autorisés à ouvrir, certains ministères et municipalités indiquant que cela surviendra plus tard en mai, tandis que d’autres évoquent le mois de juin. De plus, si les directives d’ouverture sont trop strictes, comme la limitation du nombre de restaurants à un nombre très restreint de clients, M. Conforti a déclaré qu’il pourrait ne pas être en mesure de rouvrir.
Mais en attendant, il se lance dans de nouveaux projets. L’espace de Zepra sera divisé en deux. Une partie abritera le restaurant original et pourra accueillir jusqu’à 100 personnes et faire des livraisons. La seconde moitié deviendra une entreprise de vente à emporter d’un nouveau concept, appelée ZepraLex, qui proposera un menu asiatique différent, ne faisant que des livraisons et des plats à emporter. Le suffixe Lex, a-t-il expliqué, est un jeu de mots rappelant Cipralex, la marque israélienne de comprimés antidépresseurs et anti-anxiété. « C’est ce que nous prenons pour nous sentir mieux », a-t-il déclaré avec ironie.
Topolopompo devrait être rouvert tel quel, a-t-il dit, dans des conditions raisonnables. « Nous pouvons mettre des tables à l’extérieur tant pour Zepra que pour Topolopompo », a-t-il ajouté.
Conforti dénonce le manque d’aide que les restaurants et les chefs cuisiniers reçoivent du gouvernement en ajoutant que les gens aiment la nourriture israélienne, qui attire beaucoup de touristes. La cuisine israélienne est en train de conquérir le monde entier, a-t-il dit. « Nous avons des restaurants exceptionnels et cela attire les touristes. D’un autre côté, le gouvernement ne nous soutient en aucune façon. »
Les restaurants ne sont pas les seuls à souffrir. Bien que les boutiques de vêtements commencent à rouvrir, elles ne réemploient qu’un petit pourcentage de leur personnel d’origine, et sont convaincues que le quotidien ne sera pas le même qu’avant la pandémie.
Comme il Faut, le magasin de mode israélien haut de gamme pour femmes, par exemple, a fermé trois de ses huit magasins en raison de la crise.
Les magasins qui ont été fermés se trouvaient dans le centre commercial haut de gamme de Ramat Aviv, dans la rue branchée Shabazi, dans le quartier des artistes de Neve Tzedek au sud de Tel Aviv, et à Raanana, a déclaré Sybil Goldfainer, propriétaire de la chaîne qui employait 30 personnes, dont des designers internes et des gérants de magasins, avant l’apparition du coronavirus. Elle a déclaré qu’elle n’a réemployé que 12 de ses collaborateurs d’origine pour ses magasins du port de Tel Aviv, de la place Rabin à Tel Aviv, de Rehovot et de Ramat HaSharon.
« Nos magasins ont été fermés pendant près de deux mois et toutes les marchandises arrivaient dans les magasins, mais il n’y avait pas d’acheteurs. Les fournisseurs devaient être payés, même si les marchandises n’étaient pas vendues », a déploré Mme Goldfainer.
« Nous avons dû prendre des décisions difficiles – nous avons dû faire des coupes sombres pour pouvoir survivre », a-t-elle déclaré. « Il n’est pas clair à quel rythme les clients reviendront dans nos magasins. Il est clair qu’il n’y a pas du tout de touristes. Nous devons donc procéder à des réductions maximales pour survivre à cette période, si nous le pouvons. Je n’en suis pas sûre. »
Les ventes en ligne de la chaîne ont augmenté pendant la fermeture, a-t-elle dit, mais elles n’ont pas suffi à couvrir les coûts des magasins fermés.
Le facteur d’incertitude est énorme, dit-elle, ce qui rend la gestion d’une entreprise très difficile. « Nous ne savons pas si les gens reviendront pour acheter. »
Bien que Goldfainer puisse bénéficier d’une subvention du gouvernement, elle ne sait pas encore combien elle recevra et quand.
« Si le gouvernement avait été moins avare et plus généreux, comme d’autres pays, cela nous aurait aidés », a-t-elle déclaré. « Le message au public devrait être qu’il est important d’acheter des articles fabriqués localement… pour soutenir les entreprises locales. Si nous pouvons créer une telle prise de conscience, alors cela pourrait beaucoup aider. »
Les endroits branchés de la vie nocturne de Tel Aviv souffrent également, peut-être plus que d’autres, car les bars – contrairement aux restaurants – n’ont même pas la possibilité de faire des livraisons.
Bicicletta, un bar à tapas et restaurant avec une terrasse-jardin à l’ambiance méditerranéenne, situé dans la rue Nahalat Binyamin, à proximité du marché HaCarmel de Tel Aviv, accueille les habitués et les touristes qui viennent prendre des shots de vodka et de tequila en semaine et le week-end, tout en grignotant ses fameuses frites d’aubergines faites maison, sa bruschetta de poisson salé, sa lachmajun (pizza au bœuf haché) et ses sandwichs à la dinde fumée.
Mais maintenant, les chaises sont empilées et l’endroit est calme, à l’exception des bruits de la rue, à l’extérieur.
« C’est très triste et difficile de voir les choses ainsi », a déclaré Shani Marks Wazana, 33 ans, l’une des trois propriétaires du restaurant qui a ouvert il y a sept ans.
Le 6 mars, le bar organisait encore une fête de Pourim, à laquelle les habitués assistaient en costume. Mais le 15 mars, le bar a fermé ses portes, les directives ordonnant la distanciation sociale et la fermeture des restaurants et des bars et autres lieux de rencontre étant entrées en vigueur.
Les choses ont commencé à se compliquer dès le mois de février, a déclaré Marks Wazana, alors que l’afflux de touristes ralentissait. Puis, au cours des deux premières semaines de mars, jusqu’à la fermeture du bar, les ventes ont chuté de plus de 50 %. Maintenant, les 70 employés de Bicicletta sont tous en congé sans solde, et Marks Wazana n’a aucune idée de la date à laquelle elle sera autorisée à rouvrir.
« Ils disent le 17 mai, puis peut-être le 31 mai ou le 14 juin – personne ne donne de réponse », a-t-elle dit. « On a l’impression qu’ils mettent les restaurants et les bars au dernier rang des problèmes de tout le monde, sans même penser au fait que nous employons et soutenons 70 familles. »
Marks Wazana est catégorique : le bar va rouvrir. Elle et ses deux associés sont en train de demander un prêt bancaire et espèrent obtenir une subvention du gouvernement.
Elle estime cependant que lorsque le bar rouvrira, ce sera avec un nombre réduit de salariés. « Nous sommes presque absolument sûrs que moins de gens viendront, donc nous ne pourrons pas employer le même nombre de personnes », a-t-elle déclaré. « Nous sommes un lieu touristique et il n’y a pas de touristes », ce qui signifie automatiquement que moins de gens viendront fréquenter le bar.
Elle a ajouté : « Je ne pense pas que les personnes qui n’ont pas travaillé depuis deux ou trois mois se dépêchent de sortir tous les soirs. Nous allons agir au jour le jour. Nous ne savons vraiment pas pour l’instant comment préparer l’avenir. Il est très difficile de le savoir. »
De même, le bar Shpagat de Tel Aviv, également situé dans la rue Nahalat Binyamin, peut-être le plus ancien bar gay de la ville, est complètement fermé.
Avant l’apparition du coronavirus, le bar, ouvert il y a neuf ans, s’adressait principalement aux membres de la communauté gay, mais pas seulement. Il est connu des locaux et des touristes pour son atmosphère animée, sa savoureuse cuisine de bar composée de salades, de pizzas et de toasts. Aujourd’hui, l’endroit est désert, les chaises sont empilées et cadenassées, et les propriétaires viennent de temps en temps pour vérifier que tout va bien.
« Nous espérons ouvrir fin mai – peut-être même la semaine prochaine, mais nous attendons les instructions officielles », a déclaré Yael Gal, qui a monté le bar avec des partenaires.
La crise a considérablement porté atteinte aux activités du bar, a-t-elle déclaré. « En un jour, nous sommes passés de 100 % à zéro. » L’entreprise a licencié ses 20 employés et a essayé de réduire ses coûts autant que possible, en annulant les abonnements et en demandant une remise de loyer, ce qu’ils ont obtenu.
Gal attend maintenant le prêt bancaire qui leur a été promis. « Nous sommes une entreprise stable qui fonctionne depuis de nombreuses années », et c’est probablement la raison pour laquelle le bar a été accepté pour le prêt, contrairement à beaucoup d’autres dans le métier qui ont été refusés, dit-elle.
Mais, explique-t-elle, il y a une grande incertitude quant à la date de réouverture de l’entreprise. « Nous ne savons pas vraiment ce qui se passera, mais nous comprenons qu’il y aura une certaine baisse des ventes car les touristes ne reviendront pas aussi vite et les locaux sont confrontés au chômage. »
Malgré cela, les habitués du bar font partie de la tranche d’âge qui a le moins à craindre d’être contaminé, et contrairement aux restaurants, les tarifs du bar ne sont pas forcément élevés. « Alors, espérons le meilleur. »