Israël en guerre - Jour 501

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Pour les Israéliens déplacés, la cuisine symbolise l’espoir, la maison, les souvenirs

À l'Institut culinaire Asif, jusqu'en avril, « The Open Kitchen : Memories From a Home Left Behind » raconte l'histoire des évacués et l'importance des plats qui leur sont chers

Sharona Dahan prépare des plats à emporter chez Asif, à Tel Aviv, un an après avoir été évacuée de Sderot, en octobre 2024. (Crédit : Deborah Danan)
Sharona Dahan prépare des plats à emporter chez Asif, à Tel Aviv, un an après avoir été évacuée de Sderot, en octobre 2024. (Crédit : Deborah Danan)

JTA — Sans formation officielle mais avec tout l’aplomb d’une chef chevronnée, Sharona Dahan sert assiette après assiette d’un plat de poisson à la Marocaine – une recette familiale – dans la cuisine ouverte et animée du Café Asif, dans le centre de Tel Aviv.

Pour cette mère de six enfants originaire de Sderot, la préparation de repas de Shabbat pour de grandes tablées n’a rien d’un secret, mais jusqu’à présent, elle n’avait jamais cuisiné selon les exigences d’un restaurant.

Pour autant, ce défi – tout comme l’alerte roquette qui a retenti dans la ville côtière plus tôt ce jour-là – ne l’affecte guère.

Dahan a été invitée à cuisiner pour les clients du café, qui fait partie de l’Institut culinaire Asif d’Israël, suite à sa participation au projet Open Kitchen, initiative de mise en relation des Israéliens évacués avec des cuisines d’accueil.

Les 10 premiers mois qui ont suivi l’attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas, au cours de laquelle des terroristes ont assassiné plus de 1 200 personnes et fait 251 otages, Dahan a, comme des dizaines de milliers d’autres évacués des zones frontalières d’Israël, vécu à l’hôtel, à Tel Aviv. Même dans cet hôtel plutôt haut de gamme, doté d’une offre culinaire de bon niveau, elle admet en avoir eu assez, au bout d’un moment.

« Tout ce que je voulais, c’était faire une omelette toute simple, comme je l’aime », confie-t-elle.

Dans le cadre du projet, des hôtes ont ouvert leur cuisine et permis à des Israéliens évacués de se préparer des plats importants pour eux, que ce soit sur le plan personnel ou culturel. Selon le directeur des programmes d’Asif, Matan Choufan, qui a lui aussi ouvert sa cuisine à Dahan pour qu’elle y cuisine, ce projet a permis aux évacués de retrouver un sentiment de normalité, de dignité et d’identité grâce au réconfort apporté par des aliments et plats bien connus.

Matan Choufan, directeur des programmes à l’Institut culinaire Asif d’Israël, dans les locaux d’Asif à Tel Aviv, en octobre 2024. (Crédit : Deborah Danan/ JTA)

« Je suis étonné de voir à quel point la cuisine est un ingrédient clé du sentiment de sécurité que chacun peut ressentir », confie-t-il.

Une fois la préparation du repas terminée, Choufan tente d’empêcher Dahan de faire la vaisselle. « Elle m’a repoussée en me disant : « Pendant des mois, je n’ai pas pu faire la vaisselle, laisse-moi la faire. »

L’histoire de Dahan, comme tant d’autres, a les honneurs d’une exposition à Asif organisée par Choufan et intitulée « The Open Kitchen : Memories From a Home Left Behind [ Cuisine ouverte : Mémoires de foyers abandonnés ».

L’exposition, visible jusqu’en avril 2025, tente d’expliquer la dimension émotionnelle de la maison pour les Israéliens directement touchés par le 7 octobre à travers des histoires intimes, des photographies et des artefacts culinaires. L’une d’elles, intitulée « Objets », présente des ustensiles de cuisine et d’autres objets qui, à première vue, paraissent banals. Récupérés dans des maisons évacuées, ils jouent le rôle de liens tangibles avec les histoires et traditions de chacun, comme l’explique la commissaire d’exposition, Yifat-Sarah Pearl.

Chercheuse spécialisée dans les croisements entre la nourriture, l’art et l’identité culturelle, Pearl explique que la faculté de la nourriture à préserver la mémoire en fait un « outil idéal pour faire face aux traumatismes ». Les objets exposés sont des sortes d’« objets transitionnels », dit-elle, un peu à la manière de ces couvertures ou de ces animaux en peluche, pour les enfants : ils apportent du réconfort sur la plan psychologique pendant les périodes de stress ou de transition.

« Nous avons cherché des objets liés à la nourriture et à la cuisine générateurs de souvenirs de son chez soi, pour aider à vivre la séparation avec la maison, justement », poursuit Pearl.

« The Open Kitchen : Memories From a Home Left Behind », la nouvelle exposition de l’Institut culinaire Asif visible depuis septembre 2024, en hommage aux victimes du 7 octobre. (Avec l’aimable autorisation d’Asif)

L’exposition comprend une paire de gants de cuisine d’une famille évacuée de Rosh Hanikra. Après avoir déménagé entre divers appartements et hôtels, ils se sont finalement installés dans la maison d’un ami à Jérusalem, emportant les gants avec eux. Selon la tradition familiale, un membre de la famille les enfilait avant d’appeler les autres au dîner du vendredi soir.

Certains des objets ont des histoires plus sombres derrière eux : une boîte à biscuits de la maison incendiée de l’artiste multidisciplinaire Chaim Peri, qui a été pris en otage puis assassiné à Gaza ; les moules à chocolat du chocolatier Dvir Karp, assassiné dans le même kibboutz le 7 octobre ; un pot de cornichons du kibboutz de Reim, préparé la veille de l’attaque et laissé au réfrigérateur pendant de nombreux mois.

« Ces objets du quotidien se sont mués en symboles du temps d’avant », analyse Pearl.

Elle parle par exemple de cette boite remplie de jachnun qui a littéralement « sauvé » une famille à Beeri. Yochi Alon a apporté le jachnun, du pain yéménite cuit pendant la nuit, dans la pièce sécurisée, ce qui a permis de nourrir et de distraire ses quatre petits-enfants. Une fois secourus, une trentaine d’heures plus tard, les membres de cette famille ont été évacués vers un hôtel de la mer Morte. Alon a pris la boite de jachnun avec elle et a appris à sa petite-fille comment le préparer, remplissant ainsi la promesse qu’elle lui avait faite dans la pièce sécurisée.

Au-delà des ustensiles de cuisine et des bons petits plats, à l’étage, Asif rend hommage aux matières premières qui entrent dans la composition de ces plats avec un espace agricole urbain, sur le toit, que surplombent les gratte-ciel de Tel Aviv.

Cet espace abrite un autre projet lié au 7 octobre, « The Soil Will Grow Again [NDLT : Des choses pousseront à nouveau dans ce sol] » – clin d’œil au refrain « Nous danserons à nouveau », en hommage aux victimes du festival Nova. On y cultive par exemple des pommes de terre : c’est Yarden Tzemach, du kibboutz Beeri, l’un des premiers habitants à revenir au kibboutz après l’attaque pour faire revivre ses terres agricoles dévastées, qui s’en charge. De la citronnelle a été plantée en hommage aux ouvriers agricoles thaïlandais de la ferme Meshek Havivian, dans le sud du pays, qui ont choisi de rester en Israël après l’attaque du Hamas, alors que des dizaines de milliers de leurs pairs retournaient en Thaïlande à la demande de leurs autorités.

Michal Havivian, qui dirige la ferme avec son mari Boaz, explique qu’exploiter la ferme sans les travailleurs thaïlandais revient à « diriger un hôpital sans médecins ».

Miniature de Shaul Cohen, « Longing Through the Glass », créée pour « The Open Kitchen : Memories From a Home Left Behind ». (Kfir Ziv)

À côté de la citronnelle se trouve une autre plate-bande, plantée de plantes comestibles, en hommage à la militante pacifiste canado-israélienne Vivian Silver, assassinée le 7 octobre. Silver était l’une des fondatrices du projet Wadi Attir, destiné à faire se rencontrer les traditions bédouines et la technologie agricole durable : elle cultivait une plantation comestible unique en son genre dans le Neguev.

De retour au café, alors que l’heure de pointe du déjeuner touche à sa fin, Dahan se prépare à rentrer chez elle à Sderot. Elle qui se réjouissait à l’idée de rentrer enfin à la maison, en août dernier, se prend à regretter le dynamisme de Tel Aviv. Elle explique que Sderot – marquée par une vingtaine d’année de tirs de roquettes du Hamas – est souvent vide.

Lorsque l’alerte aux roquettes a retenti à Tel Aviv, ce jour-là, Dahan a appelé le restaurant pour s’assurer que cela ne remettait pas en cause sa venue. La confirmation de sa venue lui a fait plaisir.

« Je suis tombée amoureuse de la vie d’ici », confie-t-elle. « Tel Aviv est vraiment une bulle, mais dans le bon sens du terme. Ici, les gens vivent. Regardez tous ces gens dehors : qui pourrait imaginer qu’il y a eu une alerte un peu plus tôt ? »

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