Pour Simon Sebag Montefiore, l’Histoire du monde est d’abord une affaire de famille
Le célèbre historien juif, descendant de Sir Moïse Montefiore, retrace l'Histoire du monde et explique comment Netanyahu a certainement commis une erreur historique et fatidique
LONDRES – Le mot famille, écrit Simon Sebag Montefiore dans son dernier ouvrage, évoque « le réconfort et l’affection ».
Mais une grande partie de The World : A Family History (« Le Monde : Une histoire de famille ») est tout sauf cela.
En 1 300 pages, le célèbre historien juif, descendant de Sir Moses Montefiore, raconte l’épique Histoire du monde à travers les familles qui l’ont façonné et dominé. De César à Trump, en passant par les Medicis, les Ottomans, les Habsbourg, les Rothschild, les Kennedy, les Pahlavis et les Assad, son livre dégorge de sang, de trahison, de sexe et de sauvagerie.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Les histoires que je relate sont totalement brutales. La vie de famille peut être douillette et affectueuse, mais elle peut aussi être meurtrière, incestueuse et dégénérée », a expliqué Montefiore au Times of Israel. « Lorsque le pouvoir est personnel, les récompenses sont personnelles – mais les coûts le sont aussi. »
Les « institutions de pouvoir » – et leurs macabres histoires donnent au livre un sens du drame et du spectacle qui fait souvent défaut au genre quelque peu aride de l’Histoire du monde – sont très différentes du noyau familial traditionnel.
Le pharaon égyptien Ptolémée VIII a démembré son fils et envoyé les morceaux à la mère de son enfant ; Cléopâtre a célébré sa première nuit avec Antoine, écrit Montefiore, « dans un style ptolémaïque – avec des banquets bachiques et des meurtres entre frères et sœurs » ; elle a demandé à Antoine de tuer sa sœur jumelle Arsinoé. Et la reine française, Catherine de Medicis, a orchestré un massacre lors du mariage de sa propre fille.
Ce carnage familial n’est cependant pas que de l’histoire ancienne. Montefiore décrit comment, dans les années 1990, par exemple, le fils de Saddam Hussein, Uday – « un psychopathe caligulesque avec un défaut d’élocution » – s’est engagé dans une querelle sanglante avec les maris de ses sœurs, les frères Kamel, qui, après avoir fait défection en Jordanie, ont été attirés en Irak et assassinés. Plus récemment, Kim Jong Un a fait assassiner son demi-frère à l’aide d’un poison neurotoxique dans un aéroport de Malaisie.
Montefiore, l’auteur des biographies acclamées par la critique de Catherine la Grande, Joseph Staline et les Romanov, dit que son œuvre sur la capitale d’Israël, Jerusalem : A Biography, a servi d’inspiration pour son dernier ouvrage. Dans ce livre, écrit-il, il tente de relater l’Histoire de la ville « à travers la vie des hommes et des femmes – soldats et prophètes, poètes et rois, paysans et musiciens – et des familles qui ont fait Jérusalem ».
« Dans de nombreux récits de l’Histoire du monde, il est principalement question de routes commerciales, de marchandises et de progrès techniques, et le facteur humain est souvent mis de côté », dit-il. « Ce que j’essaie de faire ici, c’est de combiner l’étendue de l’Histoire du monde avec l’intimité, le courage, et le suc de la biographie. »
Raconter l’Histoire du monde au travers des grandes familles permet également à Montefiore de faire entrer en scène un plus grand nombre de personnages. « Les femmes jouent un rôle important dans les familles ; l’histoire familiale est une façon de traiter les femmes de manière égale et équitable », dit-il. « Cela semble être un dispositif traditionnel – de parler de dynasties – mais lorsque vous vous penchez sur cette littérature au regard de la diversité et du genre, cela s’avère être un dispositif très XXIe siècle. »
Dans son livre, Montefiore présente aux lecteurs une pléthore de femmes de pouvoir moins connues, dont beaucoup se révèlent tout aussi impitoyables et meurtrières que leurs homologues masculins.
« Il y a tous les personnages féminins connus – Cléopâtre, Catherine la Grande, Margaret Thatcher – mais vous trouverez aussi tout un tas d’autres personnages féminins qui devraient nous être tout aussi familiers mais qui ne le sont pas », dit-il.
Le dispositif familial permet également de tisser l’horreur de l’esclavage – « une institution anti-familiale », selon les mots de Montefiore – dans la trame de l’Histoire.
L’un de ces personnages – certainement peu connu – est Anastasia, une odalisque grecque asservie du XVIIe siècle qui faisait partie du harem du sultan ottoman Ahmed Ier, qu’il nomma Kösem. Après leur mariage, elle acquit un pouvoir considérable. Elle finira par ordonner la strangulation de son fils, et sera elle-même étranglée plus tard sur ordre de son petit-fils.
En réalité, dans l’Histoire du monde dans son ensemble, les femmes ne sont ni meilleures ni pires que les hommes
Le leadership féminin est-il meilleur que celui des hommes ? Montefiore n’en est pas convaincu. « Je pense qu’une grande partie de notre vision du leadership féminin est influencée par les opinions d’aujourd’hui », dit-il. « Cela reflète en grande partie le fait que vous avez d’incroyables Premières ministres scandinaves comme Sanna Marin en Finlande, qui sont très impressionnantes, mais en réalité, dans l’Histoire du monde dans son ensemble, les femmes ne sont ni meilleures ni pires que les hommes. »
Montefiore dit qu’il a essayé d’éviter de se laisser entraîner dans les guerres culturelles dans lesquelles, en particulier aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’Histoire fait désormais partie du champ de bataille.
« J’ai fait un effort délibéré pour ne pas m’en accommoder. Je pense que c’est l’Histoire du monde la plus diversifiée jamais écrite, je pense que c’est la plus adaptée aux femmes », dit-il. Mais, poursuit l’historien, « j’ai délibérément rejeté toute idéologie qui pourrait imposer une vision polémique de l’Histoire, ce qui s’avère être toujours faux ».
J’essaie de raconter l’histoire du plus grand nombre possible d’innocents tués, réduits en esclavage ou réprimés : soit tout le monde compte soit personne ne compte
Ainsi, il déplore le fait que « la vieille rengaine enfantine des « bons » contre les « méchants » soit de nouveau à la mode, bien qu’avec des « bons » et des « méchants » différents ». Au lieu de cela, Montefiore adopte un principe simple. « Les réalisations et les crimes sont relatés, quels qu’en soient les auteurs », écrit-il. « J’essaie de raconter les histoires du plus grand nombre possible d’innocents tués, réduits en esclavage ou réprimés : soit tout le monde compte soit personne ne compte. »
En effet, contrairement à de nombreux récits du monde, qui sont fortement axés sur l’Europe, Montefiore peint sur une toile beaucoup plus large. L’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie sont de la partie.
Montefiore rejette également l’idée que le régime dynastique est soit une notion anachronique, soit l’apanage des dictatures. Il énumère d’innombrables exemples de « démo-dynasties » – non seulement les Kennedy, les Bush et les Nehru-Gandhi, mais aussi des exemples plus récents comme les Marcos aux Philippines, les Kenyatta au Kenya et les Bhutto et Sharif au Pakistan. Ces dynasties « élues », qui, selon Montefiore, offrent aux électeurs un sentiment de « confiance, de continuité et de prestige d’une famille politique bien connue », peuvent – bien que parfois avec un peu plus d’efforts que ce qui est habituellement requis dans les démocraties libérales – être chassées du pouvoir.
Ce n’est pas le cas, bien sûr, des « autocraties familiales » qui sont si répandues au Moyen-Orient. Montefiore décrit brillamment l’ascension sanglante et la survie spectaculaire de la famille Assad en Syrie, notamment de Bashar el-Assad qui, à l’âge de 28 ans, est présenté dans le livre comme « grand, longiligne, sans menton, avec un cheveu sur la langue et un penchant pour la musique de Phil Collins – un candidat improbable pour devenir dictateur ».
Mais, selon Montefiore, comme en témoignent les champs de bataille du pays ravagé par la guerre, malgré leurs « manières occidentales », le président et sa femme, Asma, se sont avérés avoir « hérité du caractère impitoyable de son père et de la famille. » Les Assad, poursuit-il, sont devenus une « monarchie moderne typique ».
Une institution monarchique relativement plus indulgente – la famille royale britannique – est une institution dont Montefiore est lui-même proche. Ami du roi Charles III, il décrit le nouveau monarque comme « une personne très inhabituelle comparativement à n’importe quelle autre dynastie constitutionnelle », citant sa campagne « visionnaire » sur le dérèglement climatique vingt ans avant que tout autre dirigeant mondial n’aborde la question. Montefiore estime que le nouveau monarque est « un modèle de loyauté, de service et de responsabilité, qui a beaucoup de similitudes avec sa mère ». « Nous avons beaucoup de chance de l’avoir. »
Les monarchies constitutionnelles fonctionnent parce que le monarque personnifie la constitution, offrant une institution apolitique représentant l’État
En extrapolant, il suggère que la popularité durable des Windsor au Royaume-Uni provient du fait que, comme un certain nombre d’autres monarchies constitutionnelles européennes, la famille royale « est extrêmement flexible et reflète toujours la société qu’elle représente ».
« C’est l’ingéniosité du système », ajoute-t-il. « Les monarchies constitutionnelles de Grande-Bretagne, de Hollande et d’autres pays d’Europe du Nord fonctionnent parce que le monarque personnifie la Constitution, offrant une institution apolitique représentant l’État. »
Mais de tels systèmes ne sont-ils pas dépassés et irrationnels ? Montefiore n’en est pas convaincu. Il cite l’exemple de la démocratie israélienne « dont les règles ont permis à de petits partis de dominer le pays ». Ce système, comme tant d’autres démocraties avec leurs propres idiosyncrasies, n’est « guère rationnel non plus ».
Grâce à l’édition actualisée de Jerusalem : The Biography, Montefiore fait remonter l’Histoire d’Israël à l’époque des Accords d’Abraham et de Benjamin Netanyahu. Il estime que les accords de normalisation révèlent « l’aube d’une ère nouvelle, dans laquelle Israël devient un pays plus moyen-oriental à bien des égards ».
« Je pense que la démocratie perdurera – une démocratie très désordonnée, insatisfaisante, avec de nombreux défauts – mais Israël restera un pays unique au Moyen-Orient en cela que c’est une véritable démocratie », dit-il.
Montefiore connaît personnellement Netanyahu. Le nouveau Premier ministre – « un fervent lecteur de livres d’Histoire » – a lu ses livres, a-t-il confié.
Selon lui, la volonté de Netanyahu de former une coalition avec l’extrême-droite est une « terrible décision ».
« Sa décision de permettre à ces fascistes d’entrer au gouvernement est un désastre et entachera définitivement sa réputation sur le plan historique », estime Montefiore.
Mais s’il estime que l’extrême-droite constitue « une menace réelle » pour la démocratie en Israël, il ne pense pas qu’elle causera des dommages permanents et il met en garde contre le fait de pointer le pays du doigt.
La décision de Netanyahu de permettre à ces fascistes d’entrer au gouvernement est un désastre et entachera définitivement sa réputation sur le plan historique.
« Israël est une démocratie et les citoyens ont voté pour ces personnes. À bien des égards, cette situation est un assez bon exemple de ce qui se passe dans le monde – au Brésil, en Amérique, en Italie », dit-il. « Israël est juste un pays lambda qui a les mêmes folies que les autres pays – mais nous ne sommes pas obligés de l’aimer. »
Les mots durs de Montefiore sur Netanyahu contrastent avec son évaluation chaleureuse du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. The World : A Family History se termine par l’invasion de son voisin par la Russie. Beaucoup, écrit-il, avaient pensé l’ancien acteur « trop mou pour gérer son antithèse dictatoriale ». Mais Zelensky – l’un des rares dirigeants juifs au monde, note Montefiore – s’est révélé « l’un des grands chefs de guerre de tous les temps ». « C’est une chose rare : un héros sur la scène mondiale. »
Il établit une comparaison avec le leader britannique de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill. « Tout comme Churchill s’est servi de la langue anglaise sur le champs de bataille pour aider la démocratie, Zelensky a fait la même chose, mais avec Internet », a déclaré Montefiore. Montefiore pense que le président ukrainien a « brillamment créé un nouveau modèle de leadership ». « C’est une figure unique en son genre. Il est remarquable à bien des égards. »
En tant que l’un des plus éminents historiens britanniques de la Russie, Montefiore considère que le sort ultime de Vladimir Poutine est incertain. Le président russe, dit-il, survivra et restera au pouvoir jusqu’à sa mort si la guerre évolue vers une « voie sans issue ». Toutefois, il pense que, si l’Ukraine vainc la Russie de manière décisive, Poutine « sera destitué par une sorte de coup d’État et, à en juger par l’Histoire russe – si vous regardez les destins de Pierre III, Paul Ier et [Lavrentiy] Beria en 1953 – cela pourrait être un vrai fiasco ».
Les dernières pages du livre de Montefiore – dominées par la pandémie, Poutine, les menaces de guerre nucléaire et le dérèglement climatique – sont sombres à bien des égards. Mais il conteste la notion populaire selon laquelle nous vivons une époque sans précédent. Selon lui, ce sont les 70 années de paix européenne, qui ont pris fin avec l’agression de Poutine contre l’Ukraine, qui sont exceptionnelles.
L’invasion, remarque-t-il, représente « un retour à la normale ». De même, il estime que les « leçons de 1945 » – les maux de l’antisémitisme, les génocides et les crimes de guerre – ainsi que les libertés de la démocratie occidentale – doivent être « à nouveau justifiés ».
Néanmoins, Montefiore reste optimiste. Malgré tous leurs défauts, les sociétés démocratiques restent « les endroits les plus heureux et les plus libres » où vivre. « La dureté de l’Humanité a été constamment sauvée par notre capacité à créer et à aimer : la famille est à équidistance des deux », écrit-il. « Notre capacité illimitée à détruire n’a d’égal que notre ingénieuse capacité à reconstruire. »
Montefiore laisse le mot de la fin à une citation d’Anne Frank. « Pense à toutes les merveilles qui t’entourent et sois heureux. »
Cet article contient des liens d’affiliation. Si vous utilisez ces liens pour acheter quelque chose, le Times of Israel peut percevoir une commission sans frais supplémentaires pour vous.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel