Pourquoi une laïque se bat au tribunal pour que des ultra-orthodoxes fassent de la politique ?
Et pourquoi les militantes pour qui Tamar Ben-Porath affronte le parti Agoudat Israel restent en marge au lieu de prendre la tête du combat ?

Il n’y aura probablement aucune femme ultra-orthodoxe dans la salle d’audience le 8 février, lorsque la Haute Cour de justice examinera une requête affirmant que l’absence de femmes dans un parti ultra-orthodoxe de la Knesset est discriminatoire et inconstitutionnelle.
L’avocate Tamar Ben-Porath fera valoir l’argument que le groupe parlementaire Agoudat Israel du parti Yahadout HaTorah a une clause discriminatoire dans son règlement interdisant aux femmes d’être adhérentes, qui selon elle, est une violation de la Loi fondamentale d’Israël sur la dignité et la liberté humaines et d’autres lois contre la discrimination.
Pendant que l’avocate laïque de Herzliya – qui se définit comme « une femme, et une citoyenne d’Israël » – défendra ses arguments, un groupe de femmes ultra-orthodoxes qui a fait campagne l’an dernier pour être élues dans les partis ultra-orthodoxes l’encouragera. Mais ne participera pas.
« Comme vous le savez, pour la communauté Haredi, il est très difficile de s’adresser à la Haute Cour. La Haute Cour n’est pas leur terrain. Et quand je me suis adressée vers la Haute Cour, je ne l’ai pas fait nécessairement au nom des femmes ultra-orthodoxes. Je ne prétends pas représenter les femmes ultra-orthodoxes. Je représente une femme en Israël en 2016 qui pense qu’il ne doit pas y avoir une telle directive dans un parti », a déclaré Ben-Porath au Times of Israel.
Dans sa défense, le parti Haredi fera valoir que, techniquement, on n’a pas besoin d’être un membre du parti Yahadout HaTorah pour être candidat sur la liste de la Knesset, et par conséquent la clause n’empêche pas la candidature de femmes. En outre, a-t-il répondu à la cour, la communauté ultra-orthodoxe – à l’exception d’une « minorité de minorité » de femmes – est opposée à l’élection de députés femmes, pour des raisons de pudeur.

Il suffit de regarder la tentative ratée du parti ultra-orthodoxe entièrement féminin Ubezchutan lors des dernières élections, a-t-il écrit dans sa réponse à la cour.
Ubezchutan a obtenu à peine plus de 1 800 voix dans le pays, dépassé même le parti Breslev par plusieurs centaines de votes. (Dans la ville ultra-orthodoxe de Bnei Brak, a-t-il souligné, seuls 30 des plus de 80 000 électeurs ont voté pour le parti composé uniquement de femmes. Le parti de la marijuana d’Israël a obtenu des dizaines de voix de plus que lui.)
« La pétitionnaire omet de mentionner les résultats de ces scrutins, qui prouvent au-dessus de tout doute que le public des femmes ultra-orthodoxes veut et désire cette même ‘discrimination’ imaginaire contre laquelle une minorité d’une minorité de femmes, dont certaines ne sont même pas haredi, s’opposent de temps à autre, a fait valoir l’Agoudat Israel devant la cour.
L’Agoudat Israel, qui a été fondée en Pologne il y a environ 100 ans et qui fait liste commune avec le parti Degel HaTorah dans le groupe parlementaire Yahadout HaTorah, a en outre soutenu que des femmes jouent un rôle actif dans plusieurs de ses organismes.
« Ce n’est pas une question de manque de respect, et certainement pas de discrimination ou d’exclusion entre les sexes. Il y a une séparation pour des raisons religieuses et les hommes et les femmes qui se consacrent à la Torah et aux mitsvot [commandements] voient dans la pudeur une valeur suprême dans toutes leurs actions, et donc le parti a fondé et supervise de nombreuses organisations distinctes pour les hommes, les femmes et les enfants, qui sont toutes dans le cadre du parti, » a-t-il dit.

Comment cela a commencé
Ben-Porath a d’abord déposé sa requête quelques jours avant les élections du 17 mars 2015. Selon la déclaration de la cour, elle a assisté à une conférence avec les militantes Haredi qui faisaient campagne pour être inclues dans les partis, et après avoir écrit plusieurs lettres à l’organisme gouvernemental qui supervise les partis, elle a décidé de porter l’affaire devant la Haute Cour.
« Tout comme un parti ne peut pas déclarer que la polygamie est autorisée, ou que les enfants peuvent être frappés, ou accepter tout autre mode de vie du Moyen Age, je dis que [l’Agoudat Israel ne peut pas avoir] un article dans son règlement qui dit qu’une femme ne peut pas être membre du parti », affirme-t-elle.
L’Agoudat Israel n’est pas le seul parti ultra-orthodoxe à exclure les femmes – les partis Shas et Degel Hatorah n’ont pas non plus de représentation féminine – mais le recours de Ben-Porath vise une clause spécifique dans le règlement intérieur du parti qui dit que les femmes ne peuvent pas adhérer.
Sur la question de la clause, l’Agoudat Israel a répondu dans une déclaration écrite qu’elle ne concernait que l’adhésion au parti – mais a dit qu’il n’était pas obligatoire d’être un membre du parti pour être candidat sur la liste.
« Si la requérante avait procédé à une enquête minimale avant de se précipiter pour déposer sa plainte, elle aurait découvert que l’un des députés actuels du groupe parlementaire du parti [Yisrael Eichler] n’est pas du tout membre du parti ! En outre, un nombre important de candidats sur la liste présentée à la 20e Knesset et aux élections précédentes n’étaient pas du tout membres du parti, » a-t-il ajouté.

Mais sous les questions techniques, Ben-Porath dit qu’il y a une « question juridique très profonde », à savoir si un parti a le droit d’imposer des normes avec sa vision religieuse du monde, ou s’il doit se conformer aux lois de l’Etat.
Et dans un échange animé avec le parti, elle a également abordé son rôle dans la requête.
« La triste et malheureuse réalité est que les femmes de la communauté Haredi sont réticentes à se tourner vers les tribunaux pour corriger la discrimination. Le langage dénigrant que le défendeur utilise à l’encontre de ces mêmes femmes qui ont hardiment « relevé la tête » et osé soulever le « cri de l’égalité » est la preuve de la violence que les hommes de la communauté Haredi emploient contre ceux qui osent ouvrir la bouche », a-t-elle écrit.
« Pas seulement le problème des femmes Haredi »
La chef du parti Ubezchutan, Ruth Colian, n’est pas étrangère à la Haute Cour.
En 2013, elle avait en vain demandé à la Cour de couper le financement des partis politiques qui n’ont pas de femmes sur leurs listes. Elle avait également présenté une requête pour invalider la prestation de serment de la députée trublion Hanin Zoabi de la Liste arabe unie, qui selon Colian est invalide en raison de ses remarques anti-israéliennes. Mais alors que Colian, qui a étudié le droit, croise ses doigts pour Ben-Porath, elle ne joue aucun rôle officiel dans cette bataille juridique.
« Ecoutez, bien sûr, je soutiens cette démarche, j’espère juste qu’elle sera reçue. Et même si elle ne l’est pas … elle devra continuer cet effort », a-t-elle dit.
Mais Esti Shushan, la fondatrice du mouvement « Pas de représentation, pas de vote », qui préconise également l’inclusion des femmes dans les partis Yahadout HaTorah et Shas, rejettent l’idée de se tourner vers la Haute Cour pour résoudre ce problème.
« Nous avons longtemps dit et déclaré que la question de la représentation des femmes haredi n’est pas seulement le problème des femmes ultra-orthodoxes. Ce problème affecte toutes les femmes, dans toutes les communautés en Israël », dit-elle.
Shushan exclut le dépôt d’une requête devant la Haute Cour pour défendre sa cause, un mouvement qui serait considéré comme profondément controversé dans sa communauté, qui – en dépit de sa présence dans la vie politique – est en grande partie non-sioniste et marquerait du dédain pour l’ingérence du tribunal dans ses affaires internes.
« A ce stade, non. Le fait que nous ne sommes pas là renforce seulement l’affirmation selon laquelle c’est pas notre [seul] problème », dit-elle. En raison des menaces qu’elles ont reçues depuis qu’elles ont lancé la campagne, « parce que nous agissons au sein de la communauté, plutôt qu’à l’extérieur, nous ne pouvons pas faire partie de la requête, mais certainement … nous saluons cette démarche, » dit-elle.

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