Premières inculpations israéliennes dans la fraude aux options binaires
Le propriétaire d'Utrade Premium Services Ltd. Aviv Talmor et l'analyste Roy Cuzin sont accusés d'avoir escroqué des centaines d'Israéliens à hauteur de millions de shekels
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël
Les procureurs israéliens viennent de statuer sur leurs toutes premières inculpations contre des membres du système frauduleux des options binaires, même si ces mises en accusation ne visent actuellement que des délits commis à l’encontre des investisseurs israéliens : Ils gardent encore pour le moment le silence sur les activités des accusés vis-à-vis de leurs clients hors des frontières de l’Etat juif.
Le 26 décembre, les procureurs de l’Etat du district de Tel Aviv ont ainsi inculpé trois fraudeurs présumés aux options binaires : Aviv Talmor, Roy Cuzin, et Valerio (Vali) Megai.
Talmor était le directeur et le propriétaire d’une entreprise israélienne appelée Utrade Premium Services Ltd. qui aurait offert à des investisseurs israéliens la possibilité de se lancer dans un trading algorithmique portant sur des contrats sur la différence. Il est accusé d’escroquerie, de fraude, de blanchiment d’argent, de conseil sur investissement sans autorisation préalable accordée et d’obstruction à la justice.
Cuzin a été un éminent analyste au sein d’Utrade de 2012 à 2015 et il a construit la stratégie de trading et d’investissements de la compagnie, selon l’acte d’inculpation. Cuzin était également chargé de recruter des investisseurs dans la population et de les conserver au sein de l’entreprise lorsqu’ils se plaignaient ou qu’ils cherchaient à récupérer leur argent, précise l’acte. Cuzin est accusé d’escroquerie et de fraude.
Megai a été directeur d’Utrade dès l’année 2014 et il devra pour sa part répondre d’obstruction à la justice.
Selon l’acte d’inculpation, Utrade a attiré entre 2012 et 2015 les investissements d’environ 600 ressortissants israéliens pour un montant total de 100 millions de shekels. L’entreprise affirmait qu’elle possédait un programme de trading particulier, basé sur les algorithmes, qui pouvait engendrer des bénéfices pour les investisseurs. Les responsables de la firme promettaient à leurs clients qu’ils pourraient retirer leurs fonds dans les sept à dix jours suivant leur demande de le faire.
Néanmoins – et au lieu d’effectuer des transactions avec les fonds versés par les investisseurs, conformément aux promesses des commerciaux – la société de Talmor aura utilisé plus de la moitié de cet argent pour élargir et pour couvrir les dépenses opérationnelles de son autre entreprise de Forex et d’options binaires, alors en plein développement grâce à des activités s’étendant largement à l’étranger, précisent les magistrats. Au moins 21 millions de shekels ont été ainsi transférés sur le compte bancaire d’une société israélienne appelée « Binary Call Center Ltd. »
Le « Binary Call Center », selon le registre israélien des entreprises, a été fondé en 2013 par des cadres appartenant à l’entreprise d’options binaires SpotOption, et qui avait été ultérieurement placée sous le contrôle de Talmor.
Des documents judiciaires établis dans le cadre d’un dossier de faillite relatif à Utrade révèlent que Binary Call Center aura aidé à exploiter les sites internet d’options binaires et de Forex CapitalOption, SkyFX, Forex TG Pty Ltd (FXTG), Algobank, PlusFN, OneBinary, OptioNow, Zluti Marketing, et affiliatekey.com.
L’acte d’inculpation émis en date du 26 décembre contre Talmor et ses employés ne se préoccupe que des pertes encaissées par les investisseurs israéliens à travers Utrade. Il ne prend pas en compte la manière dont les sites cités ci-dessus, qui auraient été créés avec les fonds des investisseurs israéliens, ont été capables d’obtenir des fonds de la part des investisseurs étrangers, ni le montant total qui a été ainsi obtenu.
Selon l’administrateur judiciaire temporaire d’Utrade, toutes les marques opéraient au sein d’une seule entreprise et les employés d’Utrade Premium travaillaient également pour les autres. Une grande partie de l’argent qui aurait été dérobé par Utrade Premium aurait été placée dans le Binary Call Center pour financer ses activités, a-t-il estimé.
Selon l’acte d’inculpation du 26 décembre, Utrade Premium a attiré des centaines d’Israéliens en faisant des promesses mensongères de profits élevés. En 2015, les investisseurs qui ont tenté de retirer leurs mises ont rencontré des problèmes pour le faire, établit le document. La firme a alors tenté de conclure des accords avec certains investisseurs déterminant un retrait financier progressif de leurs fonds, courant sur quelques mois, par petites sommes. A la fin de l’année 2015, si Utrade devait encore 42 millions de shekels aux investisseurs, le compte bancaire consacré à les conserver était presque vide.
Selon l’acte d’inculpation, Talmor a été interrogé par la police israélienne à plusieurs occasions au mois de février 2014, après que les investisseurs d’Utrade ont porté plainte auprès de la police. Au mois de mars 2015, l’Autorité israélienne des titres a ordonné à Utrade de cesser de recruter des investisseurs, un ordre ignoré par la compagnie.
Le 1er septembre 2015, Talmor a quitté le pays. Depuis l’étranger, il a tenté de se dissocier de l’une des firmes qu’il contrôlait, PlusFN. Il a alors donné pour instruction à un employé de fermer les comptes bancaires de la société et les comptes de traitement de paiement, ainsi que de falsifier un contrat laissant croire que PlusFN avait été vendue à un tiers l’année précédente, précise l’acte d’inculpation. Durant le temps qu’il a passé à l’étranger, Talmor a été sommé d’apparaître devant l’Autorité israélienne des titres pour un interrogatoire – un rendez-vous auquel il ne s’est pas rendu. Il est finalement revenu au sein de l’Etat juif au mois de février 2016.
L’acte d’inculpation affirme également qu’au mois de décembre 2015, lorsque l’Autorité israélienne des titres a fouillé les bureaux d’Utrade, à Ramat Gan et à Tel Aviv, l’enquêteur de l’ATI – réalisant que copier les courriels des employés prendrait beaucoup de temps – a demandé au directeur d’Utrade, Vali Megai, de faire savoir à l’Autorité quand ce processus de copies des correspondances serait terminé. Megai aurait profité de la situation pour entrer en contact avec Talmor et pour effacer des courriels déterminants et compromettants, ce qui explique pourquoi Megai a été inculpé pour obstruction à la justice.
Un transfert fictif ?
Peu après l’opération, les entreprises Utrade Premium Services et Binary Call Center ont été placées en redressement judiciaire. Elad Afari, administrateur judiciaire des deux sociétés – dont la mission est de collecter les fonds nécessaires pour rembourser les créanciers – a commencé à déplorer dans de nombreux documents transmis aux magistrats que Talmor transférait illégalement des actifs à une entreprise britannique du nom de Plustocks Ltd., mais aussi à une firme chypriote, K-DNA Financial Services Ltd., et à une société israélienne appelée Tracking Partners Ltd. – et qui auraient toutes appartenu à l’homme d’affaires israélien Daniel Azougy ou à son partenaire commercial Asher Afriat.
Ces actifs, avait dit l’administrateur, consistaient en des entreprises de Forex et d’options binaires internationales. La plus grande partie d’entre elles menaient leurs activités depuis Israël mais elles avaient été enregistrées dans le monde entier et elles engrangeaient encore des revenus susceptibles d’être utilisés pour rembourser les créanciers, avait-il écrit.
Parmi ces actifs « internationaux » identifiés, une entreprise chypriote appelée Trademarker (qui exploitait par ailleurs les marques SkyFX et CapitalOption), une société australienne nommée Forex TG Pty Ltd. (FXTG), une firme des Caraïbes basée à Anguilla, Yamix Marketing Ltd. (contrôlant les activités de PlusFN et d’AlgoBank), Algo Plus Ltd., encore à Anguilla, la firme Utrade Marketing Services Ltd., aux Seychelles, Nacolini Ltd. à Chypre, et Capsula Marketing Ltd. et Algo Trade FX, toutes deux aux Seychelles.
L’administrateur mettait également en doute l’authenticité de ce transfert d’actifs dans la mesure où Plustocks ne versait aucun fonds profitant à ces entreprises tout en recevant des paiements de centaines de milliers de dollars de leur part.
Azougy a répondu à ces accusations dans un document judiciaire datant du mois de février 2016, en disant que les diverses entreprises avaient été acquises avant que Utrade et Binary Call Center ne soient placées en redressement judiciaire et qu’il n’était pas propriétaire de Plustocks ou de Tracking Partners, s’étant contenté de négocier un accord entre Talmor et les propriétaires de ces firmes.
En fait, Tracking Partners appartenait à un homme qui s’appelle Moshe Azougy tandis que Plustocks était la propriété d’une entreprise des îles Vierges britanniques, Otterswick Limited – qui semble être liée à feu le partenaire commercial d’Azougy, Yoram Yossifoff. Le site internet Plustocks.com avait été enregistré par Glendore Systems Limited, une société britannique dont Yossifoff était le propriétaire.
Au mois de juillet 2016, l’Autorité des titres du Manitoba avait émis une mise en garde contre Plustocks.com après que trois résidents de la province canadienne ont perdu leurs économies, toutes investies dans le site internet.
Poètes, oligarques et politiciens
Aviv Talmor est un ancien poète, réalisateur de films et enseignant que le train de vie, excessivement modeste, a frustré, selon le profil paru en 2016 dans le quotidien israélien économique Globes, et qui s’est lancé dans l’entrepreneuriat dans les secteurs du Forex et des options binaires.
En 2012, il avait sorti un film « Je suis Bialik », un faux documentaire qui avait remporté un prix en marge du festival du film de Haïfa. Il racontait l’histoire d’un poète frustré et enseignant malheureux qui s’appelait Aviv Talmor, renié par son père et sorti du testament de ce dernier. Le film racontait la quête d’Aviv Talmor d’un père de substitution à travers son obsession du poète israélien Haim Nahman Bialik. Selon l’article du Globes, Talmor sera finalement parvenu à retrouver une figure paternelle sous la forme d’un mentor qui lui avait enseigné l’art de gagner de l’argent dans le monde de la finance.
« J’ai appris qu’il avait trouvé un mentor économique, une sorte de coach de vie », avait dit à Globes un acteur ayant interprété l’un des premiers rôles dans le film de Talmor. « C’est arrivé après que le film a été tourné mais avant qu’il ne sorte. Il a commencé à envoyer des invitations à tout le monde pour qu’on rencontre le coach. Je ne lui en ai pas véritablement parlé mais j’ai entendu dire qu’il gagnait de l’argent ».
L’acteur se rappelait aussi que, quelques années plus tard, Talmor et son épouse devenaient parents. « Il semblait vraiment réussir ce qu’il faisait, il semblait heureux, il paraissait être passé du côté des gagnants. J’étais content pour lui ».
L’acteur ne connaissait pas l’identité de ce nouveau mentor. Les documents des magistrats révèlent que Talmor a passé du temps à travailler à un poste de commercial au sein de l’entreprise Forex Place, aujourd’hui disparue, dont un grand nombre d’ex-employés ont ensuite lancé leurs propres firmes d’options binaires.
Daniel Azougy, l’homme qui a aidé Talmor à transférer ses actifs, est un avocat israélien qui a été rayé du barreau pendant 14 ans par la cour suprême israélienne en 2002 après avoir été reconnu coupable de fraude et d’entrée par effraction. En 2010, il aurait brièvement occupé le poste de directeur financier du club de football de Portsmouth, au Royaume-Uni, après que le fils de l’oligarque russe récemment emprisonné Arcadi Gaydamak a vendu l’équipe à un groupe d’investisseurs israéliens et étrangers, pour tenter de rembourser les créanciers de son père.
Le partenaire d’affaires d’Azougy, Yoram Yossifoff, est décédé subitement d’une attaque au mois d’octobre 2016 à l’âge de 63 ans. Après sa mort, il s’est avéré qu’il devait des millions de dollars à différentes personnalités israéliennes du crime, selon les médias israéliens. Avant son décès, Yossifoff paraissait être l’un des avocats israéliens les plus riches du pays, avec des intérêts d’affaires au sein de l’Etat juif et également au Royaume-Uni.
Au Royaume-Uni, plusieurs firmes appartenant à Yossifoff avaient été éclaboussées par des scandales. Il possédait plusieurs hospices aux côtés du négociant militaire international Aharon Frenkel, qui devaient être mêlées à l’effondrement, en 2011, de la Southern Cross, firme privée de maisons de retraite.
Yossiffof était également le propriétaire – par le biais d’Otterswick Ltd. – de Tangerine Investment Management Ltd., une entreprise qui a fait l’objet d’une série d’enquêtes dans la publication Offshore Alert.
Jusqu’en 2013, Yossifoff détenait également le Park Lane Club, un casino de Londres qui était prisé par les riches émigrés russes dans la capitale britannique. Il a vendu l’établissement à Vassilijs Melniks, homme d’affaires letton qui, au mois d’août, aurait vu ses avoirs gelé par le gouvernement ukrainien qui le soupçonnait d’escroquerie et du blanchiment de 54 millions d’euros au nom du président ukrainien pro-russe déchu, Viktor Yanukovych.
Selon les témoignages apportés par Daniel Azougy à l’administrateur israélien des biens immobiliers de Yosifoff, ce dernier n’aurait pas vendu ses parts du casino volontairement mais parce qu’il était sujet à des « pressions » – une grenade avait notamment été jetée en sa direction – même si Azougy avait été dans l’incapacité de dire si des Russes ou des Israéliens se trouvaient à l’origine de cet incident précis.
Au milieu des années 1990, Yossifoff avait pris l’habitude d’acheter des chemises de prix au ministre des Finances d’alors, Benjamin Netanyahu, avait rapporté Globes en 2017, sur la base du récit d’un ancien employé de Yossifoff, témoin direct, qui avait indiqué avoir été envoyé à de multiples occasions acheter ces chemises luxueuses avant de les remettre au chauffeur de Netanyahu. Ce dernier avait démenti ce récit auprès de Globes.
Une industrie interdite
Une option binaire est un contrat d’option dont le gain dépend du prix d’un autre actif – comme des actions Apple, ou encore le marché de l’or et du blé. Si le propriétaire de l’action anticipe correctement la direction prise par le prix au moment d’une échéance prévue, il gagne un montant prédéterminé et, si ce n’est pas le cas, il perd alors la somme « investie » dans le marché particulier.
Dans le cas de l’industrie israélienne des options binaires, toutefois, les entreprises offrant ces contrats étaient largement frauduleuses. Elles trompaient des victimes dans le monde entier en leur faisant croire qu’elles avaient gagné de l’argent en investissant, les encourageant à investir encore davantage avant de couper tout contact avec le client et de disparaître avec les fonds.
L’industrie israélienne aux options binaires, mise hors la loi par la Knesset au mois d’octobre 2017, aurait employé, selon des estimations, des milliers d’Israéliens et volé approximativement 10 milliards de dollars par an à des « investisseurs » floués dans le monde entier. Depuis que le secteur tout entier a été interdit par une loi adoptée à la Knesset au mois d’octobre 2017, un grand nombre d’anciens exploitants d’options binaires se sont tournés vers d’autres produits financiers – comme les ICOs (initial coin offering).
Alors que les forces chargées de l’application de la loi aux Etats-Unis consacrent des ressources et une attention considérables aux criminels israéliens des options binaires, en procédant à un certain nombre d’arrestations suivies d’inculpations, la démarche du tribunal de Tel Aviv, le 26 décembre, est la première inculpation de l’Etat d’Israël dans la fraude aux options binaires.