Profanation au mur Occidental
Quelle éducation juive donne ainsi naissance à des jeunes qui sont convaincus que le comportement nauséabond observé jeudi dernier est une glorification de la puissance divine ?
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Plus le lecteur se plonge profondément dans le récit livré par notre journaliste Judah Ari Gross de ce hiloul Hashem – ou profanation du nom de Dieu – qui a eu lieu jeudi au mur Occidental, plus profonds sont le sentiment de désespoir et l’horreur.
Trois familles avaient organisé des cérémonies de bar et de bat mitzvah sur la zone mixte du mur Occidental – spécifiquement établie pour les rassemblements des Juifs dont l’approche de la foi n’exige pas la séparation entre les deux sexes qui est imposée sur l’esplanade principale du mur Occidental – quand les célébrations ont été prises d’assaut par des dizaines de jeunes, majoritairement ultra-orthodoxes.
Les Juifs qui prenaient part à la cérémonie ont été fustigés par les jeunes haredim qui s’étaient rassemblés autour d’eux et ils ont fait l’objet de tout leur mépris, qualifiés de « chrétiens », « d’animaux », de shiksas (un terme péjoratif désignant les femmes non juives), de « Juifs réformés » et même de… « nazis ». Le grand-père de l’un des adolescents qui faisait sa bar-mitzvah était lui-même un survivant de la Shoah. Quel a pu être son sentiment en essuyant cette insulte odieuse ? Ajoutant encore une nouvelle dimension à l’outrage, Gross raconte que la canne de ce vieil homme tranquille lui a été prise de force et jetée sur le côté du balcon.
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Des livres de prière ont été déchirés par ces scélérats, un comportement abominable. L’un d’entre eux a ramassé une page qui avait été arrachée pour s’essuyer le nez.
Originaire d’une famille particulièrement large et diversifiée dont les approches du judaïsme diffèrent grandement, j’avoue, je le reconnais, ne pas avoir été véritablement surpris par la force et par la profondeur de l’hostilité témoignée par ces jeunes ultra-orthodoxes à l’égard du judaïsme non-orthodoxe. J’ai déjà entendu des comparaisons entre Juifs réformés et nazis durant des conversations insignifiantes – une comparaison faite comme le serait une évidence, sans nécessité d’entrer dans le détail. Les approches non-orthodoxes de la foi sont considérées, dans certains cercles haredim, comme une menace existentielle pesant sur le judaïsme « authentique » – et elles sont considérées, en tant que telles, comme beaucoup plus dangereuses que l’indifférence dont les Juifs laïcs font preuve.

Mais même si je ne suis pas surpris, je ne parviens pas à appréhender les abîmes de cette haine intérieure, et je ne comprends pas que cette exécration puisse amener certains Juifs, en de tristes journées comme jeudi, à considérer d’autres Juifs comme les ennemis les plus infâmes. Et je n’arrive pas non plus à comprendre comment cela peut amener à déchirer et à profaner encore davantage des livres de prière qui contiennent le nom sacré de Dieu – des mots imprimés qui sont tellement sacrés aux yeux des Juifs croyants qu’ils nécessitent que les pages qui le contiennent soient préservées et enterrées lorsque les ouvrages ne peuvent plus être utilisés.
Et cela a été frappant de voir que Deborah Lipstadt, la nouvelle envoyée américaine à la lutte contre l’antisémitisme, s’est sentie suffisamment indignée pour intervenir dans la polémique, observant que « si un tel incident de haine – une telle incitation à la haine – était arrivé dans un autre pays, il y aurait eu peu d’hésitation à le désigner comme un acte d’antisémitisme ».
Parce que c’est très précisément ce qu’il a été, bien sûr, et il n’y a aucun scrupule à avoir à le qualifier ainsi. Et en tant que tel, il nécessite – et il est presque certain que cela ne se produira pas – une introspection attendue depuis longtemps dans les communautés d’où ces antisémites juifs sont originaires. Quelle éducation, et quelle éducation juive, produit ainsi des jeunes qui sont réellement convaincus que le comportement nauséabond qui a été observé jeudi dernier est une glorification de la puissance divine ?

Ce qui me donne envie d’évoquer – c’est un contre-poison mineur – les images très remarquées, filmées trois jours plus tard, de la dirigeante du parti Travailliste Merav Michaeli en train de danser la main dans la main avec la mariée lors du mariage de la petite-fille du leader de la formation Yahadout HaTorah, Moshe Gafni.
Beaucoup de choses ont été dites dans les médias israéliens depuis dimanche au sujet de ces images décalées et détonantes : que faisait Michaeli, en pantalon ; Michaeli, une femme de centre-gauche, féministe, laïque auto-proclamée et fière de l’être, au mariage d’un membre de la Knesset ultra-orthodoxe, dans une cérémonie où hommes et femmes étaient séparés ? Au mariage de la petite-fille de Moshe Gafni, ce député qui a dénoncé de manière régulière la coalition dont le parti Travailliste faisait partie intégrante, ce critique assidu de l’alliance au pouvoir de Naftali Bennett, le « pervers », qui s’est récemment effondrée ?

Dans ses premiers commentaires, lundi matin, Michaeli a déclaré avoir « un grand respect pour la communauté haredi… Malheureusement, les partis ultra-orthodoxes se sont enchaînés à l’ex-Premier ministre Benjamin Netanyahu, ces dernières années ».
Et « jamais je n’ai exclu les partis ultra-orthodoxes – ce sont eux qui ont exclu tous les autres, hormis Netanyahu. Je pense qu’ils en paient un prix très lourd – et leur communauté, en particulier, paie le prix très élevé de cette servitude à Netanyahu ».
De la politique politicienne (et, en effet, la diffusion même des images de Michaeli paraît quelque peu politique et assez insensible ; un grand nombre des femmes ultra-orthodoxes apparaissant en train de danser et de rire dans la vidéo ont pu se sentir quelque peu décontenancées par sa publication).
Mardi, néanmoins, Michaeli a indiqué qu’elle avait établi un « partenariat » avec Gafni qui remonte à son arrivée à la Knesset en 2013, alors qu’elle avait été pour la première fois élue députée.
Et Gafni, rabbin et ancien éducateur, a lui-même donné des détails dans un entretien télévisé : « Je vais vous le dire et je vais le dire à tous : elle [Michaeli] était présente au mariage de mon fils. Et quand elle a été élue à la Knesset, elle m’a demandé de la bénir. Merav Michaeli et moi, si on parle de ce à quoi devrait ressembler Israël en tant qu’État juif et démocratique, il y a un gouffre entre nous. Mais nous pouvons aussi nous témoigner réciproquement de l’amitié. Nous pouvons discuter. »

Une déclaration ordinaire. Mais une déclaration merveilleuse également. Deux Juifs qui travaillent ensemble dans le monde passionné, cynique, sous pression du Parlement israélien, deux personnalités qui prennent des décisions déterminantes pour le caractère national d’Israël, deux esprits séparés par un gouffre de désaccords, et qui peuvent néanmoins être amis ! Qui peuvent discuter ! Et qui se respectent, de toute évidence. Qui peuvent partager, ensemble, une célébration religieuse juive.
Et je vous le demande, député Gafni, veuillez transmettre ce message à ces jeunes qui ont profané le nom de Dieu au mur Occidental, jeudi dernier, et veuillez bien le transmettre aussi à ceux dont l’éducation les induit en erreur et les égare. Tenez, emmenez donc Merav Michaeli avec vous. Ouvrez certains esprits. Brisez cette sorte d’intolérance qui éloigne les Juifs les uns des autres. Démentez ces propos que vous aviez tenus il y a six ans au sujet de cette même zone mixte de prière égalitaire, quand vous aviez dit que les Juifs réformés sont « un groupe de clowns qui poignardent la Torah ».
Cela n’arrivera pas, n’est-ce pas ? Mais, député Gafni, il faudrait que ça arrive. Il le faudrait vraiment. Avec tout le respect que je dois à ce que vous pensez être parvenu à réaliser dans votre carrière jusqu’à présent, cela serait sans doute votre plus grande sanctification du nom de Dieu – votre plus grande kiddush Hashem.
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