Quand des femmes misent sur l’équithérapie pour venir en aide aux enfants en Israël
Une association créée par des olim de France et de Suisse permet une prise en charge des enfants, adolescents et adultes confrontés à des difficultés physiques, mentales ou émotionnelles
Une association, créée par deux femmes francophones qui ont voulu donner un véritable sens à leur alyah, s’est donnée pour mission d’améliorer la pratique de l’équithérapie en Israël et de soutenir des projets innovants, notamment avec des enfants autistes ou des adolescents à risques.
Ils étaient une quinzaine d’adolescents de 15 à 18 ans à faire des figures équestres devant les juges au centre équestre Épona à Sdé Warburg. Entre l’émotion liée aux épreuves du bac [bagrout], mais aussi la nonchalance qui caractérise ces jeunes dits « à risque », l’ambiance était détendue.
Ces épreuves venaient couronner une année scolaire d’équitation pour les élèves de la Yéchiva-lycée Havrouta de Kfar Batya. Pour ces jeunes venus de tout Israël, les huit heures hebdomadaires d’équitation sont bien plus qu’un simple cours, même s’il s’agit d’une « mégama » (discipline au choix pour le bac, NDLR) avec ses exigences et ses contraintes.
Le programme d’équitation s’inscrit en effet dans le cadre d’une vision pédagogique thérapeutique et valorisante pour ces jeunes que le lycée Havrouta accueille après parfois de longues tribulations d’un établissement à l’autre.
« Ces jeunes présentent des troubles de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou des troubles de l’apprentissage. Ce qui leur permet de rester dans un cadre scolaire, c’est leur mégama. Ils viennent trois fois par semaine au centre équestre. Alors qu’ils sont arrivés au lycée avec une confiance en eux très faible, ils s’adonnent ici à des activités qui leur plaisent et où ils réussissent », explique Léa Tal, responsable pédagogique du programme sciences et nature à Hévrouta.
« À partir du moment où ils commencent à réussir, leur estime de soi s’améliore et ils passent le bac normalement. Nous suivons avec eux ce parcours et, d’enfants à risque ils deviennent des leaders. Chaque année, après le bac, plusieurs de ces jeunes vont faire une formation externe de moniteurs d’équitation. L’un de nos anciens élèves est lui-même l’un de leurs moniteurs », ajoute-t-elle.
« Le travail avec les chevaux est très important pour ces jeunes. Le cheval ne vous juge pas, il ne vous regarde pas d’un œil critique. Lorsqu’ils comprennent que le cheval les accepte comme ils sont, les élèves deviennent beaucoup plus sereins et nous pouvons travailler avec eux », ajoute Léa.
Ce cours d’équitation est transmis par des moniteurs spécialisés en équithérapie, dans le cadre d’un partenariat avec l’association Israel Mitzvah Horses (IMH).
Au-delà de la théorie et de la pratique à cheval (saut, dressage…), les jeunes doivent aussi nettoyer les box et savoir comment nourrir et préparer les chevaux, ce qui les responsabilise. Ils apprennent aussi à s’entraider sur le terrain, respecter des horaires, comprendre les conséquences de leurs actes ou de l’absence d’actes (lorsqu’un cheval n’est pas prêt ou que son box est sale…), explique Brigitte Bigar, la présidente et fondatrice d’IMH.
La passion du cheval au service des hommes
Le cours d’équitation, auquel participent une trentaine d’élèves de Havrouta, est l’un des projets soutenus par l’association Israel Mitzvah Horses, créée par deux femmes francophones.
Laurence Ikan est née en France. Son père était président de l’école Akiva de Strasbourg. En accord avec l’esprit sioniste de l’établissement, Laurence décide de s’installer en Israël à l’âge de 16 ans.
Elle étudie au Technion et à l’université de Tel Aviv. Elle doit néanmoins arrêter ses études pour s’occuper de son premier fils né handicapé et qui passera les cinq premières années de sa vie à l’hôpital.
Originaire d’une famille d’éleveurs de chevaux en Alsace, elle montait à cheval depuis son plus jeune âge, mais avait cessé à son arrivée en Israël. Pour lutter contre la dépression liée à son rôle d’aidante d’un enfant handicapé, elle reprend l’équitation une fois par semaine.
« Ça m’a complètement remis à cheval. Par la suite, mon fils a fait de l’équithérapie. Parallèlement, j’ai continué un cursus d’équitation sportive en dressage. J’ai fait des compétitions et commencé à diriger des centres équestres. Plus tard, j’ai fait mon monitorat d’équithérapie, car je voyais les effets bénéfiques sur mon fils et sur moi-même. L’équithérapie est maintenant toute ma vie », explique Mme Ikan.
Brigitte Bigar, la présidente de l’association, a fait son alyah de Suisse en Israël il y a neuf ans. Après s’être perfectionnée en hébreu, elle décide immédiatement de donner un sens à sa retraite par le bénévolat. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Laurence Ikan, au centre d’équithérapie de Nir HaEmek, où elle est bénévole une après-midi par semaine.
Sur les conseils de Mme Ikan, elle passe son diplôme d’équithérapie et d’équitation sportive.
Israel Mitzvah Horses : aider autrui à surmonter ses difficultés grâce au cheval
En 2008, Laurence Ikan crée le comité d’équithérapie au sein de la Fédération équestre israélienne, qui gère la spécialité et diffuse un livret de bonnes pratiques de l’équithérapie sur les plans professionnel, éthique et sécuritaire.
« Brigitte et moi nous sommes aperçues qu’il n’était pas toujours suffisant de donner des directives ou de venir professer dans des centres équestres. Il faut travailler directement avec les équipes. Le concept d’Israel Mitzva Horses a été créé d’une part pour aider des groupes d’enfants ou d’adultes handicapés qui n’ont pas les moyens de faire de l’équithérapie, et d’autre part pour soutenir des projets complexes dans ces centres où les personnes sont dans la bonne voie, mais ont besoin d’un coup de pouce. Il s’agit de travailler main dans la main avec les équipes pour faire une équithérapie plus sûre et professionnelle », explique Laurence Ikan, directrice d’IMH.
Elle se rend également dans des centres d’équithérapie qui n’ont pas les moyens d’avoir une personne qui dirige le projet. Mme Ikan leur apporte son aide, un ou deux jours, pour les assister dans leur gestion des programmes, des chevaux, de l’infrastructure, de la façon d’enseigner, etc.
« On a remarqué que l’équithérapie est formidable pour les personnes qui ont subi un traumatisme, car le cheval est un être compatissant, qui ne juge pas. L’équithérapie aide également en cas de dépression ou de TDAH. Chez les autistes, les résultats sont spectaculaires. »
Brigitte Bigar
Dans une école située à Nir HaEmek, elle forme également d’autres moniteurs pour poursuivre ce travail auprès des centres d’équithérapie et exercer eux-mêmes en tant qu’équithérapeutes.
Le cheval, un allié compréhensif pour aider les autistes
Un autre projet soutenu par IMH s’adresse à des enfants autistes d’une école spécialisée d’un kibboutz du nord du pays. Un groupe d’une demi-douzaine d’enfants de 4 à 7 ans se rend une fois par semaine dans le centre équestre de Nir David, près de Beith Shéan.
Les enfants, accompagnés par leurs propres thérapeutes, sont pris en charge par des moniteurs d’équithérapie, dont Mme Bigar.
« L’influence sur les enfants autistes est extraordinaire : la première fois qu’ils sont arrivés, ils étaient très inquiets. En effet, pour les autistes le changement de cadre est un événement très difficile à gérer. Mais le cadre du centre équestre est tellement beau et calme que très vite, ils se sont sentis à l’aise », raconte Mme Bigar.
« Nous leur avons d’abord permis de s’approcher des chevaux et de les toucher, en leur montrant comment s’y prendre, puis nous leur avons appris à brosser un cheval. Soudain, l’autiste s’occupe d’un autre être vivant. Peu à peu, on le met aussi à cheval. Un des professeurs et un équithérapeute s’occupent de chaque enfant, l’un guide le cheval et l’autre reste à côté de lui en permanence, s’assure qu’il est bien assis. Ces patients ne parlent pas, mais comprennent ce qu’on leur dit et on peut leur donner des instructions simples. L’équithérapie leur fait un bien énorme. Elle les calme et certains font des progrès », poursuit la présidente d’IMH.
L’équithérapie a une influence reconnue sur les enfants atteints d’autisme. Les équithérapeutes du centre de Nir David constatent ainsi le changement qui s’opère entre le début et la fin de la séance.
« La nervosité devient du calme, l’agitation disparaît, un sourire apparaît sur leurs visages… On sent dans tout leur être le bien que cela leur fait », s’émerveille Mme Bigar, qui travaille avec les enfants de cette école depuis six mois. Et d’ajouter : « Bien qu’il s’agisse d’autistes sévères, j’ai une communication avec ces enfants grâce au cheval. Cela me remplit moi-même de joie, car nous leur apportons beaucoup. »
Les adultes autistes peuvent aussi profiter de la relation avec le cheval. Mme Ikan rapporte une expérience avec un jeune homme en cours de diagnostic alors qu’il avait déjà 22 ans et servait dans l’armée.
Déprimé par ce qu’il avait découvert si tardivement sur lui-même, le jeune homme traversait une période difficile. C’est un vieux cheval « rébarbatif », qui ne voulait plus être approché, qui a finalement amorcé un véritablement changement chez le jeune homme.
« Il se demandait pourquoi Magic était toujours en retrait. Il s’est approché du cheval. L’animal a posé sa tête contre sa poitrine et s’est endormi contre lui. Je lui ai dit : ‘Magic fait cela parce que tu es une personne extraordinaire, tu passes une période difficile et Magic le sent. Le cheval ne ment pas. Il n’aime pas n’importe qui, regarde comme il te dit qu’il t’aime. Tu es quelqu’un de véritablement spécial. » Cette seconde – car la thérapie c’est souvent l’histoire d’un instant, d’une occasion à saisir – a fait un véritable changement. Le choix du cheval est quelque chose de complexe et qui fait partie de notre travail », explique la monitrice.
Quarante ans d’équithérapie en Israël
L’équithérapie existe officiellement en Israël depuis 1987, avec la création du premier cours de formation à Wingate. Les premiers essais d’équithérapie remontent même à l’année 1984.
Aujourd’hui, Israël compte huit grands centres spécialisés dans l’équithérapie ou ayant une importante branche d’équithérapie : Nir HaEmek à Afoula, où Laurence Ikan a son monitorat, Double K à Sarona, Grofit près d’Eilat, TRCI à Tel Mond, INTRA à Bnei Tzion, le centre équestre du parc de Ramat Gan, la ferme Amir (près de Jérusalem) et l’école d’équitation Mikvei Israël.
En outre, un peu moins de 300 petits centres d’équitation sportive ont ajouté l’équithérapie à leurs services, preuve s’il en faut que l’équithérapie a du succès en Israël.
« L’équithérapie répond à des besoins très différents. Des handicapés légers peuvent par exemple apprendre une séquence d’opérations pour arriver à faire une action. Lorsqu’on met une personne en fauteuil roulant sur un cheval, le mouvement de l’animal va mobiliser les petits muscles de la colonne vertébrale et elle va retrouver une petite mobilité interne, qui va lui permettre de se tenir un peu plus droite et avoir plus confiance de son corps. On peut l’aider à se sentir mieux. On a remarqué que l’équithérapie est formidable pour les personnes qui ont subi un traumatisme, car le cheval est un être compatissant, qui ne juge pas. L’équithérapie aide également en cas de dépression ou de TDAH. Chez les autistes, les résultats sont spectaculaires », explique au Times of Israël Mme Bigar, avec enthousiasme.
Laurence Ikan ajoute de son expertise pour expliquer le fonctionnement de l’équithérapie, dont le succès est finalement dû à plusieurs facteurs liés aux spécificités du cheval et de la relation homme-animal.
« Le cheval induit un mouvement dans le corps du cavalier. Des études montrent qu’il est identique à la série de mouvements de la marche humaine. Chez les personnes très handicapées, on met ainsi en route le système fonctionnel orthopédique des muscles et articulations, comme si la personne marchait », affirme Mme Ikan.
La représentation noble du cheval a également un effet bénéfique sur le cavalier :
« L’équitation, par le biais de l’affectif, motive la personne à s’activer : dans notre imaginaire le cheval représente en effet la noblesse, la hauteur et la force. »
« La nervosité devient du calme, l’agitation disparaît, un sourire apparaît sur leurs visages… On sent dans tout leur être le bien que cela leur fait. Bien qu’il s’agisse d’autistes sévères, j’ai une communication avec ces enfants grâce au cheval. Cela me remplit moi-même de joie, car nous leur apportons beaucoup. »
Brigitte Bigar
« Le fait d’être assis sur un cheval en mouvement crée une stimulation sensorielle qui de pair avec l’activité respiratoire et la motivation peut entraîner des changements cognitifs, comportementaux et physiques », conclut Mme Ikan.
Les applications de l’équithérapie ne manquent pas dans un pays où de nombreux enfants et adultes sont confrontés à des situations difficiles, notamment avec les attentats et l’insécurité en Cisjordanie.
Elle s’inscrit également dans le cadre de la prise en charge globale des enfants présentant des troubles de l’attention ou du spectre de l’autisme, à une époque où le système de santé reconnaît de mieux en mieux l’importance d’un accompagnement psychothérapeutique en plus des traitements médicamenteux (Ritalin, Concerta, etc.)
Les programmes complémentaires des caisses de maladie remboursent d’ailleurs une partie de ces traitements.
Des projets d’avenir ambitieux
L’association Israel Mitzva Horses envisage également de soutenir d’autres projets prometteurs pour venir en aide à plus d’enfants et d’adultes.
IMH prévoit, si ses moyens le permettent, de soutenir un projet à Nitzanei Oz s’adressant à des adultes handicapés mentaux. Le but : leur permettre d’apprendre à vivre autonomes dans un appartement, à deux ou trois colocataires, au sein d’une résidence avec un référent spécialisé.
« On a remarqué qu’en faisant un an d’équithérapie et en apprenant à s’occuper d’un cheval dans un certain ordre, à arriver seuls au centre et à faire des séquences, ils apprennent à devenir plus autonomes dans leur vie quotidienne et à gérer l’imprévu », explique Mme Bigar.
Une autre application de l’équithérapie que souhaite soutenir IMH concerne cette fois les poneys. L’idée : introduire la poneythérapie dans les maternelles, dans le but de diminuer l’incidence des TDAH dans la population générale en Israël.
« Lorsque les enfants sont en contact avec la nature et les animaux, il se passe quelque chose dans leur conscient et leur inconscient, et ils parviennent à mieux maîtriser différentes situations », affirme la présidente d’IMH.
Le poney, toujours, est également un vecteur de soin dans les maisons de retraite, qui accueillent de plus en plus de résidents atteints de la maladie d’Alzheimer, ou dans les hôpitaux, prêts à relever le défi. C’est encore là un des projets de l’IMH, qui montre que la relation homme-animal a un potentiel qui gagne à être exploité.
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