Sderot accueille à nouveau ses habitants dans un semblant de normalité
Traumatisés mais déterminés, des milliers de résidents sont revenus dans une ville qui porte les cicatrices des tirs de roquette et des souvenirs douloureux, espérant reconstruire leur vie
Aliza Avitan vient tout juste d’arriver à son domicile de Sderot quand le journaliste que je suis prend l’initiative de frapper au portail de sa résidence – une initiative qui provoque chez elle un malaise teinté d’anxiété.
« Vous êtes Juif ? » demande-t-elle. « Dites quelque chose, parlez », ajoute-t-elle depuis l’intérieur de son appartement alors que je lui demande si elle est prête à m’accorder un entretien.
Soulagée d’apprendre que son interlocuteur n’est pas une menace, elle présente ses excuses pour sa prudence extrême.
« Je suis désolée, il n’y a pas d’électricité et c’est tout qui, d’une certaine façon, me revient d’un seul coup à l’esprit », dit Avitan, 62 ans, mère de cinq enfants qui a vécu à Sderot pendant toute sa vie – à l’exception des cinq mois qui ont suivi l’attaque meurtrière du 7 octobre.
Avitan fait partie des milliers de résidents de Sderot – un grand nombre d’entre eux sont encore traumatisés par les atrocités qui ont été commises dans leur ville par des dizaines de terroristes du Hamas, le 7 octobre – qui sont retournés chez eux, ces derniers jours, alors que le gouvernement fait avancer son plan de repeuplement d’une partie de la région frontalière de Gaza.
Environ 90 % des 27 000 habitants de Sderot avaient quitté la ville dans les jours qui avaient suivi le massacre du 7 octobre. Ce jour-là, 3 000 terroristes du Hamas avaient franchi la frontière et ils avaient assassiné 1 200 personnes, enlevant également 253 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza, entre autres crimes de guerre.
A Sderot, plus de cent terroristes étaient entrés dans la localité, ouvrant le feu sur les passants et sur les habitations. Le commissariat avait été complètement détruit lors d’une bataille féroce entre les forces de sécurité et les hommes armés qui s’étaient retranchés à l’intérieur, une bataille qui avait duré plus de 24 heures. Au moins 70 personnes avaient été tuées et dans les jours qui avaient suivi l’attaque, les roquettes avaient continué à pleuvoir. Un certain nombre de maisons avaient été endommagées.
Dans les mois qui se sont écoulés depuis l’assaut meurtrier, les tirs de roquette ont diminué largement, même s’ils n’ont pas disparu – depuis, plus précisément, que l’armée israélienne a lancé une offensive terrestre majeure, à Gaza, dont l’objectif est d’obtenir la remise en liberté des otages et de renverser le régime du Hamas au pouvoir au sein de l’enclave côtière.
Les stigmates de la guerre en cours sont là – avec des façades meurtries par les fragments de roquette ou les trous béants qui apparaissent dans de multiples immeubles résidentiels, notamment au niveau des pièces blindées. Au centre de la localité, il reste l’empreinte du commissariat dont les décombres sont encore présents. Les passants disent y voir « une blessure ouverte au cœur de la ville ».
Il y a aussi des visions qui reflètent le départ précipité des résidents, il y a cinq mois. Dans toute la ville, des cabanes de Souccot qui sont installées pendant la fête. Elles sont habituellement démontées au lendemain de Simhat Torah – c’était le jour de l’attaque – et de nombreux résidents n’ont pas pris cette peine quand ils ont pris la fuite. Ils ne sont toujours pas revenus chez eux.
Pendant la plus grande partie de la guerre, Sderot a été une ville fantôme, la moitié de ses habitants étant partie vivre dans des hôtels à Eilat et d’autres s’étant réfugiés ailleurs, dans tout le pays.
Mais au cours des deux dernières semaines, ce sont des milliers de personnes qui sont revenues parce qu’elles avaient le mal du pays, parce qu’elles ressentaient un malaise entraîné par le long hébergement à l’hôtel. Il y a aussi le projet de repeuplement du sud du pays qui est actuellement avancé par le gouvernement, qui offre aux familles qui reviennent jusqu’à 17 000 dollars de subvention.
Un embouteillage sur la rue Rambam, causé par un accrochage, suscite les propos approbateurs des passants qui se félicitent de ce premier signe de circulation difficile dans la ville après le 7 octobre
Leur arrivée, en compagnie des centaines de soldats qui sont chargés de monter la garde, a transformé la ville, au grand bonheur de ceux qui vivent à nouveau ici et de ceux qui ne sont jamais partis.
Un embouteillage sur la rue Rambam, causé par un accrochage, suscite les propos approbateurs des passants qui se félicitent de ce premier signe de circulation difficile dans la ville après le 7 octobre.
Au rez-de-chaussée des nombreux immeubles résidentiels – des bâtiments gris et souvent délabrés qui avaient été construits à la hâte pour accueillir les immigrants dans les années 1970 et 1980 – des voisins, de retour chez eux, se saluent, se serrent dans les bras et offrent aimablement de porter un bagage jusqu’à l’étage. De leur côté, des adolescents, torse nu, profitent d’une journée hivernale chaude pour jouer au football et au ping-pong à l’extérieur.
« C’est déjà formidable d’être de retour mais c’est encore plus formidable de voir qu’ils sont tous revenus », s’exclame Tohar Uziel, 32 ans, mère de huit enfants, évoquant ses voisins. Elle emmène Roni, la petite dernière, se promener en poussette dans le Parc du Canada de la ville, de l’autre côté de la mairie. Dans un bâtiment adjacent, des dizaines de soldats sont debout, en demi-cercle, sous un abri en béton armé, autour d’un officier qui donne les ordres.
« C’est un travail de visibilité, il s’agit de redonner aux résidents un sentiment de sécurité », confie un soldat qui s’exprime sous couvert d’anonymat dans la mesure où il n’a pas le droit d’accorder des interviews, au Times of Israel.
Dans toute la localité, la municipalité a mis des bannières qui souhaitent la bienvenue aux revenants. Une affiche leur rappelle qu’ils « reviennent déguster la cuisine faite maison de maman ».
D’autres bannières, parfois installées à côté de celles qui souhaitent la bienvenue, le jurent : « Nous ne reviendrons pas tant que nous ne serons pas en sécurité ». Elles avaient fait leur apparition dans la ville au mois de janvier, lorsque le maire Alon Davidi et d’autres responsables des communautés frontalières avaient décidé d’exercer de fortes pressions en faveur d’un renforcement des aides qui étaient distribuées aux évacués.
Uziel, qui travaille dans les services sociaux et qui était souvent revenue à Sderot pour aider les centaines de résidents restés dans la ville pendant toute la guerre avant de faire son retour officiel, cette semaine, déclare que la présence des autres évacués la rassure davantage que celle – visible – des soldats.
« Je me sens bien et je me sens en sécurité à marcher là, seule. Il y a d’autres mamans dans le parc. C’est un retour à Sderot et à la normalité que j’attendais depuis longtemps », s’exclame-t-elle.
Elle ajoute que la décision récemment prise par les autorités de rouvrir les écoles de Sderot a été « un facteur crucial » dans son retour.
Un facteur qui a aussi pesé dans la balance pour Noam et Nicole Shlomo, qui ont vécu dans un hôtel d’Eilat avec leurs trois enfants à partir du 13 octobre et qui sont revenus jeudi au domicile familial situé dans l’un des quartiers les plus récents de Sderot.
Leur plus jeune fille, Aria, « nous pressait de revenir », explique Noam, 47 ans, musicien et professeur de musique. Lui et Nicole, une travailleuse sociale, ont prévu leur retour juste à temps pour la réouverture du lycée d’Aria, le 3 mars.
Avitan dit que son retour – elle était logée dans un hôtel de Jérusalem – était un devoir.
Elle était « une évacuée plutôt contente mais on ne peut pas les laisser nous écarter d’ici, nous avons mis tout notre cœur et toute notre âme ici et les roquettes nous atteindront de toute façon, quel que soit l’endroit du pays où nous nous trouverons », dit-elle au Times of Israel, alors qu’elle est dans la cour de sa maison mitoyenne.
La maison date des années 1970 et son jardin est dominé par un abri anti-aérien énorme qu’Avitan et feu son époux avaient fait construire il y a une décennie, sacrifiant leurs citronniers et leurs pêchers bien-aimés pour faire de la place, explique-t-elle.
Avitan, son fils et un autre proche ont passé toute la journée du 7 octobre dans l’abri, le bruit des balles tirées par les fusils d’assaut des terroristes se faisant entendre dans tout le quartier.
Avitan, qui est revenue à Sderot en prenant un bus pour les évacués qui avait été affrété par la municipalité, indique que le moment choisi pour ce retour n’est pas anodin dans la mesure où il lui permettra de recevoir la somme maximale prévue dans le cadre des subventions du plan de repeuplement. Une somme qui sera appelée à diminuer graduellement, semaine après semaine.
Selon le nouveau plan de repeuplement, les 60 000 évacués pourront rester dans des hôtels jusqu’au 1er juillet mais ceux qui choisiront cette échéance perdront 87 % du montant total de la subvention.
Yoram Ben Dakon, 52 ans, fait partie de ceux qui ont refusé de quitter Sderot. Ben Dakon, qui est éligible, lui aussi, à la subvention maximale, déplore avant tout la décision gouvernementale qui avait entraîné l’évacuation de la ville.
« Je ne comprends pas cette logique. Aujourd’hui, les résidents reviennent alors qu’il y a encore des roquettes qui s’abattent. Alors pourquoi a-t-on dépensé des milliards pour des factures d’hôtel ? Est-ce que ça n’aurait pas eu plus de sens d’utiliser cet argent pour rendre la ville plus sûre, plus vivable ? », interroge-t-il.
« Nous avons accordé à nos ennemis une victoire massive. Ils savent que s’ils nous frappent suffisamment fort, nous prenons la fuite. Quelle erreur terrible », regrette-t-il.
Et pourtant, même Ben Dakon reconnaît que « entendre les roquettes passer au-dessus de la tête et exploser dans toute la ville a été une expérience très stressante qui n’est probablement pas pour tout le monde ».
A la yeshiva Afikei Daat Hesder de Sderot, jeudi, des hommes de tous les âges – et même des enfants – sont venus pour la prière de l’après-midi dans un bâtiment qui, il y a seulement quelques jours encore, servait de caserne militaire improvisée.
Dans tout Sderot – la localité est située à environ sept kilomètres de la frontière avec Gaza – les résidents sortent les décombres et autres ordures dans la rue : des meubles endommagés par les toits qui ont fuité en résultat des impacts des roquettes, des produits alimentaires devenus inconsommables et de nombreux congélateurs et autres frigidaires considérés comme trop sales après avoir subi de nombreuses pannes d’électricité, des pannes qui ont entraîné la pourriture des aliments qui se trouvaient à l’intérieur.
Noam Shlomo, le musicien, jette deux réfrigérateurs et un congélateur – des milliers de shekels qui partent à la poubelle, dit-il. Son jardin, autrefois entretenu avec soin, « est dans un état terrible », déplore-t-il.
« Mais le dégât le plus réel, c’est que je ne serai plus jamais le même », ajoute Shlomo, qui connaissait 30 personnes qui ont été assassinées, le 7 octobre, notamment des amis et un proche, le sergent-chef réserviste Adir Shlomo qui a été tué alors qu’il combattait les terroristes.
Après avoir passé presque une semaine dans son abri, à partir du 7 octobre, la famille a fait une course folle en direction d’Eilat, circulant à 130 kilomètres par heure pendant tout le voyage, avec une hache et un gros couteau de cuisine posés sur tableau de bord – les seules armes que Shlomo a pu trouver dans la maison. Il avait peur, dit-il, d’une attaque des terroristes sur la route.
« Nous recommencerons à organiser des barbecues amusants, des sessions de jam et nous aurons des moments heureux dans notre maison, dans notre jardin et chez nos voisins », dit Shlomo. « Mais le 7 octobre a blessé mon âme et cette blessure, je la conserverai partout, en particulier à Sderot, et ce tant que je vivrai ».
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