SESAME, ouvre-toi : Au CERN moyen oriental, la coopération régionale à la vitesse de la lumière
Israël et ses voisins, dont l'Iran et le Pakistan, ont uni leurs forces pour construire le premier accélérateur de particules de la région
ALLAN, sud de la Jordanie – L’espoir était de construire un outil qui puisse examiner les secrets du monde matériel. Le rêve était qu’un tel instrument ne permettrait pas seulement d’apporter une science à portée mondiale au Moyen Orient, mais entraînerait également une coopération sans précédent dans cette région déchirée par les conflits.
Au mois de janvier, cet espoir s’est réalisé. Des scientifiques d’Allan, en Jordanie, ont propulsé des électrons dans un noyau de 133 mètres de long jusqu’à s’approcher au plus près de la vitesse de la lumière en utilisant un accélérateur de particules. Ces électrons en état d’accélération émettent une lumière puissante susceptible d’être utilisée pour examiner les éléments les plus minuscules de tout le monde matériel.
Ce moment a été l’apogée de plus d’une décennie et demie de rencontres bi-annuelles entre des scientifiques de pays qui ne se côtoient pas souvent habituellement : Israël, l’Iran, Chypre, la Turquie, le Pakistan, la Jordanie, l’Egypte et l’Autorité palestinienne.
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Au cours des années, les guerres, et en particulier les pénuries de fonds, ont menacé de faire dérailler le projet, qui avait été encouragé et même financé par les gouvernements de ces scientifiques.
« Fort de l’exemple que constitue le centre européen de recherche nucléaire (CERN), l’Union européenne a apporté un soutien constant au projet SESAME qu’elle a financé à hauteur de 15 millions euros. Le centre national de la recherche scientifique (CNRS) a également participé à la création du centre en cédant du matériel scientifique et en formant plusieurs personnels à l’exploitation du synchrotron, » lit-on dans un communiqué du Quai d’Orsay.
Exemple marquant du terrain politique bancal sur lequel s’est construit ce projet régional, le ministre des Sciences israélien Ofir Akunis, prenant une décision de dernière minute, a annulé sa participation à la cérémonie d’inauguration du projet mardi après qu’un attentat au couteau perpétré par un ressortissant jordanien samedi à Jérusalem a suscité une querelle diplomatique entre Amman et Jérusalem.
Mais au cours des années, à l’exception d’une fois – les scientifiques Israéliens s’étaient vus refoulés d’entrée au Maroc – aucun des scientifiques de n’importe quel pays n’a manqué une réunion entre les états membres. Et tandis qu’Israël aura pu s’être tenu à l’écart de la cérémonie d’ouverture, la coopération scientifique continuera.
L’idée n’est pas nouvelle. Dix ans après la Deuxième guerre mondiale, les états européens – à l’intérieur comme à l’extérieur du rideau de fer du communisme – avaient uni leurs forces pour construire le CERN, le plus grand centre d’étude de la physique des particules au monde.
Les gouvernements moyen-orientaux avaient affronté un choix : soit sauter dans le train de la coopération ou rester en arrière. Et c’est ainsi que cette installation à accélérateur, connue sous le nom de SESAME – Synchrotron-light for Experimental Science and Applications in the Middle East – a débuté.
L’ancien directeur du CERN Rolf-Dieter Heuer, physicien allemand spécialisé dans les particules, devrait devenir le président du Conseil de SESAME.
Heuer considère SESAME comme une source d’éclairage « compétitive » et indique qu’il est « sûr » que le projet attirera les meilleurs scientifiques de toute la région. Même si les voyages entre les pays du Moyen-Orient sont souvent plus compliqués que les déplacements en Europe, il s’attend à ce qu’un sentiment de « fierté régionale » inspire les scientifiques du Moyen-Orient qui pourraient alors affluer vers la Jordanie.
Il y a seulement 60 sources de lumière 60 Synchrotron dans le monde entier, mais avant SESAME, il n’y en avait pas une seule au Moyen Orient.
A l’apogée de la Guerre froide, se rappelle Heuer, la cafétéria du CERN était le seul lieu où se mélangeaient les habitants d’Europe de l’ouest et ceux qui vivaient derrière le rideau de fer.
Heuer est convaincu que le café SESAME – qui n’a pas encore été construit pour des raisons budgétaires – pourrait tenir un rôle similaire, avec le « langage des sciences » comme langue commune.
Les scientifiques du CERN ont aidé à créer les machines du SESAME. Et pourtant, l’installation à accélérateur n’aurait jamais été construite si un scientifique italien n’était pas entré dans le bureau de l’un de ses pairs israéliens en 1994, lui disant qu’il était temps de mettre à l’épreuve ses idéaux.
‘Nous devions trouver quelque chose d’autre que les mots’
En 1993, le physicien et spécialiste de la théorie des cordes israélien Eliezer Rabinovitch travaillait au CERN lorsque le leader palestinien Yasser Arafat avait échangé une poignée de mains avec le Premier ministre Yitzhak Rabin sur la pelouse de la Maison Blanche.
Peu de temps après le début de ces négociations de paix, le physicien italien Sergio Fubini était entré dans le bureau de Rabinovitch. Les deux hommes débattaient souvent de la situation d’Israël à ce moment-là.
« Il est temps de mettre à l’épreuve votre idéalisme naïf », avait dit Fubini à Rabinovitch. Le physicien israélien avait accepté le défi.
Les deux hommes avaient créé un comité régional de scientifiques qui comprenait des Jordaniens, des Egyptiens, des Marocains, des Palestiniens et des Israéliens. L’idée était simple : la coopération scientifique aiderait à accélérer les desseins du processus de paix.
Ce Comité avait bientôt organisé une réunion en 1995 dans la ville de Dahab, en Egypte, au bord de la mer morte. Des centaines de scientifiques de la région et occidentaux, des lauréats du Prix Nobel et de futurs lauréats s’étaient rencontrés sous une grande tente bédouine.
Selon Rabinovitch, le ministre égyptien de la Recherche scientifique de l’époque, le professeur Venice Gauda, avait réclamé une minute de silence en hommage à Rabin, assassiné par un extrémiste israélien.
Ce groupe s’était vu offrir une chance unique en 1997 lorsque des scientifiques allemands avaient offert de donner BESSY, un accélérateur qui allait être remplacé.
Rabinovitch était hésitant. Il voulait une science de premier niveau ou rien du tout, et une machine allemande d’occasion n’allait pas faire le travail.
« D’un autre côté », raconte-t-il, « il est devenu apparent, en particulier après que le Pakistan, l’Iran et la Turquie ont montré leur intérêt, qu’on devait trouver quelque chose pour construire, autre que les mots ».
Et plus il y pensait, plus Rabinovitch réalisait qu’une source de lumière comme BESSY était idéale : l’accélérateur pouvait être utilisé pour tous les types de recherche scientifique, dont la biologie, la physique, la chimie et l’archéologie. Avec une source de lumière, il serait possible de ratisser plus large.
Comment l’Iran et le Pakistan, deux pays n’entretenant aucune relation diplomatique avec Israël, avaient rejoint le groupe ?
« Vous devrez demander à Islamabad et à Téhéran », répond Rabinovitch.
SESAME se déroule sous les auspices de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Ce qui permet à tous les accords conclus par les états membres de SESAME à l’être par le biais d’un intermédiaire.
Construire SESAME a été ‘dur’
Le complexe SESAME est une construction blanc nacré dans la région aride du sud Jordanien. L’entrée ressemble à celle d’un temple grec, même s’il n’y a aucune frise qui décore le toit triangulaire.
A l’intérieur de l’immeuble, les murs sont nus. Il semble qu’il n’y ait pas eu beaucoup de budget pour une décoration d’intérieur fantaisiste. C’est simplement un foyer modeste pour une machine avancée.
Même si le projet SESAME a commencé avec le don de BESSY, les responsables du projet ont finalement décidé de construire un nouvel accélérateur de particules pour garantir une qualité optimale à ses utilisateurs.
Mais BESSY s’incarne à SESAME dans une seule machine – un disque pourpre géant qui crée les électrons qui sont introduits dans l’accélérateur.
Cette décision a été prise pour maintenir des coûts peu élevés.
Khaled Toukan, président du Commisariat à l’énergie atomique jordanienne et directeur de SESAME, qualifie ce projet de « voyage chaotique ».
Au-delà des problèmes techniques et politiques, « les défis financiers ont été le seul véritable obstacle », a-t-il déclaré au public réuni samedi lors d’une conférence à la mer morte, en Jordanie, qui était parrainée par la Fondation Sharing Knowledge Foundation (SKF) — organisation à but non lucratif située en Suisse qui fait la promotion du dialogue scientifique pour faire avancer le développement au Moyen-Orient et en Afrique.
En 2002, la Jordanie a été officiellement choisir pour accueillir le projet, a expliqué Toukan, et le royaume hachémite a accepté avec plaisir sa désignation de centre de coopération régionale.
La Jordanie a été choisie pour héberger SESAME parce que c’est le pays le plus stable de la région, qui permet à toutes les nationalités du Moyen Orient de franchir ses frontières.
Sur les 98 millions de dollars et plus qui ont été investis jusqu’à présent dans le projet, la majeure partie a été fournie par les états-membres, en particulier la Jordanie, ainsi que l’Union européenne. Les Etats-Unis – ce qui a suscité les moqueries ouvertes de certains donateurs – n’ont guère offert beaucoup de fonds.
Exemple de ces questions de financement, l’Iran a été dans l’incapacité de payer son statut de membre en raison des sanctions internationales lourdes imposées à la République islamique concernant son programme nucléaire – aucune banque jordanienne n’aurait accepté un transfert de fonds de ce pays isolé au niveau politique.
Un roi achète 2 100 PlayStations
Dans une pièce bruyante où se trouvent les serveurs de SESAME, Mustafa Zoabi, ingénieur en système informatique jordanie, sort avec fierté une PlayStation 3 d’un placard.
Zoabi explique qu’il a créé un super-ordinateur en assemblant les énergies de 2100 PlayStation 3s, qui ont été toutes achetées par le roi jordanien Abdallah II.
« L’argent est le principal élément », a-t-il indiqué à un groupe de scientifiques et de journalistes samedi alors qu’il se trouvait au coeur de la structure lors d’une visite parrainée par SKF.
Chacun de ces systèmes de jeu coûtait 400 dollars à l’époque : les serveurs indépendants de la même capacité de calcul coûtent 5 000 dollars chacun.
Mais malgré les économies de bouts de chandelle, les scientifiques qui ont visité SESAME ont indiqué que la machine paraissait impressionnante.
Ahmed Bassalat, professeur de physiques à l’université An-Najah de Naplouse, en Cisjordanie, qui travaillé au CERN, note que SESAME « fera indubitablement avancer la science palestinienne ».
Bassalat est directeur de thèse d’une étudiante qui pu d’ores et déjà obtenir le droit de faire ses recherches à SESAME.
Martin Gastal, chercheur en physiques appliqué au CERN, a qualifié le site de « structure à énorme potentiel ».
Il a averti totuefois que les scientifiques devraient être certains que lorsqu’ils arriveraient à SESAME, le site serait fonctionnel de façon efficace et sans difficulté. Ne pouvant effectuer que quelques jours de travail sur le lieu, chaque heure exploitée est précieuse, dit-il.
Sans « le financement que mérite le lieu », ajoute-t-il, les opérations quotidiennes pourraient en pâtir.
‘La politique n’affectera pas la science’
Les routes du pays qui mènent à SESAME ont récemment été bien pavées.
Le professeur Amr Abdelghany, chercheur en spectroscopie au département du centre de recherche national d’Egypte, a été l’un des premiers à utiliser le site sESAME pour mettre en oeuvre un projet.
« Après avoir fait des recherches à SESAME, il a été facile pour moi d’être publié dans des jounrnaux de haut-niveau », s’exclame-t-il.
Mais tandis que la source de lumière a été un grand avantage dans ses recherches, il note que son existence est encore relativement inconnue dans la région. Il explique avoir continué à assister à des réunions biannuelles à destination des utilisateurs de la machine qui n’ont rassemblé que les mêmes scientifiques, l’une après l’autre.
Est-ce que Abdelghany pense que l’environnement politique autour de SESAME pourrait obstruer le travail ?
Le scientifique égyptien pense le contraire. Il note que trouver des partenaires scientifiques dans la région –
ce qui est nécessaire pour élargir le travail – est difficile, et que SESAME permet de créer un contaxte favorable à de tels aprtenariats.
L’Egyptien a rejeté les craintes que les gouvernements puissent entraver les partenariats scientifiques autour de SESAME en raison de développements politiques.
« Ce projet a été créé au niveau gouvernemental », affirme-t-il. « Pourquoi les gouvernements auraient-ils un problème à voir les scientifiques travailler ensemble ? »
Zoabi, l’ingénieur informatique jordanien, partage le même point de vue concernant les Israéliens qui travaillent dans le projet.
« Ils sont nos partenaires », dit-il.
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