Si la paix reste improbable, les contacts entre Israël et la Libye sont anciens
Raphael Luzon dit avoir organisé la première rencontre bilatérale qui a entraîné à terme l'entretien entre les chefs de la diplomatie des deux pays - une réunion niée par Tripoli
Dimanche, Israël a annoncé que le ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, avait rencontré son homologue libyenne, Najla Mangoush, la semaine dernière en Italie. Il s’agissait du premier entretien entre des chefs de la diplomatie dans les deux pays de toute l’Histoire.
De son côté, le Premier ministre libyen Abdul Hamid al-Dbeibeh a rapidement pris ses distances face à ces échanges. Il a suspendu Mangoush de ses fonctions et il a ouvert une enquête tandis que le ministère des Affaires étrangères a lourdement insisté sur le caractère « fortuit » de la rencontre entre les deux diplomates, excluant toute avancée vers une potentielle normalisation des liens avec Israël.
Suite à l’annonce, par Israël, de la réunion entre les deux homologues, les médias libyens variés ont pointé du doigt celui qui, peut-être, avait été l’artisan de cette initiative historique : Raphael Luzon, qui est le président de l’Union des Juifs libyens.
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Si Luzon n’a pas été lié à ce dernier rebondissement diplomatique, il a décrit au cours d’un entretien accordé dimanche au Times of Israel les premiers contacts qu’il avait pu faciliter entre les responsables israéliens et les officiels libyens, il y a environ six ans, ouvrant la route à la rencontre de la semaine dernière.
Au mois de juin 2017, Luzon avait arrangé une réunion sur l’île grecque de Rhodes qui avait rassemblé des délégations des deux pays. Israël avait été représenté par Gila Gamliel, ministre de l’Égalité sociale, dont la mère est originaire de Libye et par l’ancien ministre des Communications, Ayoub Kara ; par l’ancien vice-président de la Knesset Yehiel Bar et par le général à la retraite Yom Tov Samia, lui aussi d’origine libyenne.
La délégation libyenne, à Rhodes, avait été chapeautée par l’ancien ministre des Médias, de la Culture et des Antiquités, Omar al-Gawairi. Le pays, à l’époque, était placé sous l’autorité de deux gouvernements distincts – comme c’est le cas aujourd’hui mais sous une configuration différente. Al-Gawairi était alors ministre dans le gouvernement de l’Est du pays, un gouvernement dirigé par Abdurrahim el-Keib tandis que Khalifa al-Ghweil, leader du gouvernement rival, installé dans l’Ouest du pays, avait, semble-t-il, transmis ses meilleurs vœux à Rhodes par le biais d’un fax.
La conférence, qui avait eu lieu pendant trois jours au Rodos Palace Hotel, s’était concentrée sur le 50e anniversaire de l’expulsion des Juifs de Libye après la guerre des Six jours qui, en 1967, avait opposé Israël au monde arabe. Le délégué libyen avait évoqué le droit au retour des Juifs originaires du pays et leur droit à une indemnisation pour ce qu’ils avaient perdu en quittant le territoire.
« La communauté juive s’était implantée en Libye il y 2 200 ans, des siècles avant que les Arabes de la péninsule arabe n’envahissent l’Afrique du nord et en deviennent les conquérants », explique Luzon. « Les Juifs étaient à la Libye ce que les Berbères étaient au Maroc – des habitants indigènes ».
Son histoire personnelle s’entremêle à l’Histoire de la communauté juive libyenne. Né à Benghazi, sa famille s’est trouvée dans l’obligation de quitter ce pays du Maghreb en 1967, après un massacre brutal. Son oncle avait été tué aux côtés de son épouse et de leurs six enfants dès les premiers jours des émeutes qui avaient éclaté en réponse à la guerre des Six jours.
« Malgré ce qu’a traversé ma famille, je n’ai jamais eu de rancune à l’encontre de la Libye. En fait, même si je n’ai pas pu renouveler mon passeport, je n’ai jamais rompu les liens avec mon pays natal », note-t-il.
La famille de Luzon s’était installée à Rome, où avait obtenu son diplôme en sciences politiques et où il avait travaillé pendant 16 ans dans le journalisme et dans la diplomatie – il était aussi correspondant pour la presse israélienne. Il vit actuellement à Londres où il est le président de l’Union des Juifs de Libye.
Luzon précise que la rencontre de Rhodes avait été suivie, les années suivantes, par d’autres réunions entre les responsables israéliens et libyens à Rome, en Tunisie et en Grèce – des réunions dont il était à l’origine.
« Mais c’est devenu quelque chose de trop sensible à un moment donné et j’ai dû transmettre le flambeau aux diplomates », indique-t-il.
« L’entretien qui a eu lieu la semaine dernière entre les deux ministres des Affaires étrangères, ça a été le point d’orgue de six années de travail. Cela aurait pu arriver beaucoup plus tôt mais l’instabilité qui règne actuellement en Libye ne l’a pas permis », dit-il.
« Le fait que la communauté juive de Libye n’ait pas été impliquée dans les derniers contacts entre les deux parties est également regrettable dans la mesure où leurs droits étaient l’un des sujets de discussion », ajoute-t-il. « Après avoir abandonné la Libye, en 1967, les Juifs ont laissé derrière eux l’équivalent de 20 milliards de dollars de biens. Pendant des décennies, ils ont cherché à obtenir réparation ».
Luzon attribue la volte-face soudaine de la Libye face aux échanges entre les deux chefs de la diplomatie à la vive indignation qui s’est emparée du pays après l’annonce de la rencontre, une annonce enthousiaste qui a été faite par Israël.
« Dans les heures qui ont suivi l’annonce, certains extrémistes sont descendus dans les rues et ils ont brûlé des drapeaux israéliens », explique-t-il. « Le Premier ministre est pris en otage par les islamistes radicaux. Avant de faire son annonce publique, Israël aurait dû probablement consulter quelqu’un qui comprend ce qu’est la Libye, qui comprend ce qu’est la dynamique interne de ce pays ».
Selon Luzon, l’idée d’un rapprochement entre les deux pays est initialement apparue au moment de la conclusion des accords d’Abraham. Mais contrairement aux pays du Golfe – comme les Émirats arabes unis et Bahreïn – qui ont un ennemi commun avec Israël, l’Iran, La Libye ne doit faire face à aucune menace extérieure significative. Son problème le plus grave est celui de son instabilité intérieure.
Et ses intérêts à tisser des liens préliminaires avec l’État juif ressemblent davantage à ceux qui ont amené le Maroc à signer les Accords d’Abraham.
« Les officiels libyens sont émerveillés par la capacité d’Israël à faire fleurir le désert », explique Luzon. Le pays est majoritairement recouvert de sable ; le territoire est immense et sous-peuplé. Feu Mouammar Kadhafi rêvait aussi, déjà, à rendre le désert accueillant et prospère ».
« L’une des ambitions des dirigeants d’aujourd’hui est de pouvoir accéder aux avancées scientifiques et aux technologies d’irrigation et d’agriculture d’Israël, qui sont célèbres dans le monde entier – tout comme ça a été le cas du Maroc », indique-t-il.
Luzon affirme également que certaines technologies israéliennes sont d’ores et déjà officieusement déployées en Libye, grâce, en partie, à sa propre intervention – même s’il refuse de donner des détails.
Autre facteur déterminant en faveur du développement de relations avec Israël : S’attirer les faveurs des États-Unis. La Libye est encore dirigée par deux gouvernements distincts : l’Ouest du pays est placé sous l’autorité d’al-Dbeibeh, reconnu par la communauté internationale, et le gouvernement rival, à l’Est, est chapeauté par le colonel Khalifa Haftar, appuyé pour sa part par la Turquie, la Russie et l’Égypte. En 2021, le fils de Haftar se serait rendu en Israël pour s’y entretenir discrètement avec les officiels du pays, leur offrant d’établir des relations diplomatiques entre l’État juif et la Libye contre le soutien ouvert d’Israël au gouvernement de son père.
La communauté internationale – et les États-Unis en particulier – ressentent une frustration croissante face au manque de progrès sur la question de la réunification nationale de la Libye.
Le dernier voyage de Luzon dans son pays d’origine avait eu lieu en 2012, peu après la chute de Kadhafi. Pendant cette visite, il avait été kidnappé par une milice islamique et placé en détention pendant huit jours, avant d’être libéré. Malgré sa longue absence du territoire, depuis, il est resté une personnalité populaire dans le pays. Il affirme que des politiciens locaux lui ont même demandé de se présenter aux prochaines élections parlementaires.
« Qu’une telle proposition ait été faite à un Juif libyen est un tournant historique », s’exclame-t-il.
« J’ai des dizaines de milliers d’abonnés libyens sur Facebook, des gens qui m’admirent à cause de mon intégrité », explique-t-il. « J’ai refusé, il y a des années, une offre à hauteur de millions de dollars faite par le colonel Kadhafi qui demandait une une déclaration de soutien à son régime émanant des Juifs libyens. Les Libyens m’admirent à cause de ma neutralité dans la séparation actuelle entre les deux gouvernements. Je m’exprime en faveur d’une Libye unie et je prête allégeance au pays, alors que la majorité des Libyens pensent que les Juifs ne peuvent afficher de la loyauté qu’à l’égard d’Israël ».
Mais, ajoute Luzon, « si la Libye reste telle qu’elle est aujourd’hui, je ne me présenterai pas. Si je devais être élu, il faudrait que je commence à aller sur le terrain en portant un gilet pare-balle dès le lendemain. Pour un politicien, c’est un pays dangereux ».
« Si je pouvais réellement choisir un poste à responsabilité, j’aimerais être nommé ambassadeur de la Libye en Israël, un jour », s’exclame-t-il.
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