« The Talented Mr. Rosenberg », une histoire d’escroc difficile à croire
L'histoire d'Albert Rosenberg, charlatan aux multiples identités, que même ses proches connaissent mal, est peut-être le film le plus étrange du réalisateur Barry Avrich
- Courtney Shea a été l’une des premières journalistes à se plonger dans les mensonges et tromperies d’Albert Rosenberg, par un article publié dans le magazine Toronto Life. En plus d’apparaître devant la caméra, Courtney a coproduit et co-écrit « The Talented Mr. Rosenberg ». (Avec la permission de Melbar Entertainment Group)
- La journaliste et auteure Diana B. Henriques, auteure de « The Wizard of Lies », l'histoire de l’escroc le plus célèbre du monde, Bernie Madoff, révèle dans le film qu'Albert Rosenberg était encore pire. (Avec la permission de Melbar Entertainment Group)
- Loin d'être le père idéal, incarcéré et séparé de ses enfants, cette photo du jeune Albert Rosenberg montre une époque plus heureuse, avant ses premières activités criminelles. (Avec la permission de Melbar Entertainment Group)
- Albert Rosenberg fixe l'appareil photo derrière ses lunettes de soleil de créateur, à Yorkville, son quartier préféré de Toronto. (Avec la permission de Melbar Entertainment Group)
- Albert Rosenberg dans les rues de Yorkville à Toronto, théâtre de plusieurs de ses arnaques. À un moment, il a été banni du quartier. (Crédit : Melbar Entertainment Group)
Des justes aux crapules, les portraits dressés par le réalisateur et documentariste juif canadien Barry Avrich couvrent une large gamme de profils.
Mais jamais il n’a traité un sujet comme Albert Rosenberg.
Surnommé l’escroc de Yorkville, du nom du quartier de Toronto où il aurait ourdi ses scandaleuses arnaques, Rosenberg est la star du dernier film d’Avrich, « The Talented Mr. Rosenberg », présenté en première américaine au Festival du film juif de Miami le mois dernier et acheté par la Warner Bros, qui le sortira en streaming à une date qui devrait bientôt être annoncée.
« C’est presque l’âge d’or du film d’escroc », s’amuse Avrich, pour le Times of Israel.
« Le sujet semble plaire dans le monde entier. »
Les premières minutes du film évoquent d’autres escrocs contemporains, comme feu Bernie Madoff, l’escroc Tinder ou la fausse héritière Anna Sorokin.
Avec son penchant pour les Porsche et les Rothkos, Rosenberg est différent.
« Les gens sont curieux », explique Avrich, à propos de la popularité des sujets criminels à Hollywood ou en streaming.
« Ils veulent en savoir plus sur FTX, Anna Sorokin ou [Inna Yashchyshyn] qui prétendait être une Rothschild… Ils sont curieux de savoir comment ils s’en sont sortis. »
Avrich a, lui, suivi le droit chemin.
Élevé par une famille religieuse de Montréal, il était proche de son grand-père, un boucher réputé qui faisait crédit aux plus nécessiteux.
Chaque week-end, Avrich accompagnait son grand-père pour les collectes.
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L’ex-assistant du boucher est devenu un documentariste à succès, dont la dernière création, « The Talented Mr. Rosenberg », pourrait bien lui apporter la consécration.
Dans ce long-métrage de plus d’une heure, Rosenberg apparait sous les traits d’un escroc en série qui a revêtu de multiples identités au fil du temps, du baron suisse au milliardaire, pour arnaquer ex-épouses, galeries d’art, partenaires d’affaires…
Son casier judiciaire, qui remonte à la fin des années 1980, comprend plusieurs peines de prison.
En 2013, alors qu’il vit dans un luxueux penthouse de Yorkville, il est arrêté pour une fraude d’environ un million de dollars.
Deux ans plus tard, la journaliste canadienne Courtney Shea dresse le portrait de Rosenberg pour le magazine Toronto Life. C’est elle qui lui donne ce surnom et qui attire l’attention d’Avrich.
Shea sera à la fois coproductrice et co-scénariste du film qui lui est consacré.
Avrich s’entretient avec Rosenberg, pour l’occasion vêtu d’un pull rose et d’un jean bleu, au premier rang d’un auditorium rempli de canapés en cuir.
Face à la caméra, Rosenberg aborde de nombreux sujets, dont celui de ses origines égyptiennes, des deux livres qu’il prétend avoir écrits et même du voyage en Israël où il a rencontré son ex-épouse, Karin Rosenberg, héritière suisse de la fortune Ovomaltine.
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Rosenberg est « grand, très imposant… extrêmement bien habillé », précise Avrich.
« Il est sûr de lui… il émane de lui richesse, élégance et dignité. Il marche la tête haute. Il est loin de raser les murs. »
Il ne se fâche pas lorsqu’on l’interroge sur son passé, mais il est impossible de savoir si ce qu’il dit est véridique ou non.
« La vérité, c’est que j’ai commis ces crimes. Je ne peux pas regarder en arrière et dire ‘Ce n’est pas moi’, parce que c’était bien moi », dit Rosenberg à un moment du film, ajoutant : « Mais pas comme les gens le pensent ou le disent. »
Rosenberg dit être né au Caire de parents aux personnalités bien différentes, entre un père, Salman Rosenberg, « un Allemand dur », et une mère, Marcelle (Kaye) Rosenberg, qu’il décrit comme une intellectuelle et universitaire honnête et travailleuse.
La famille aurait quitté l’Égypte après la révolution de 1952 qui a renversé le roi Farouk et porté Gamal Abdel Nasser au pouvoir.
Selon Shea, Rosenberg n’a pas d’acte de naissance et a, par le passé, parlé de son enfance en Suisse ou au Canada.
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Dans le film, Rosenberg explique comment il s’est retrouvé à Toronto : ses parents ont divorcé, sa mère s’est remariée et il a vécu avec eux à Toronto, où sa mère a créé une entreprise plutôt chic, La Belle Boutique.
Rosenberg dit avoir eu un côté aventureux très tôt : il se serait ainsi rendu en Israël dès son diplôme en poche, sans toutefois donner de précisions sur l’établissement où il est supposé avoir étudié. Il aurait par ailleurs étudié à l’Université de Toronto, à Harvard et à l’Université de Zurich, ce qu’Avrich n’a pu vérifier.
« Quand j’ai obtenu mon diplôme », dit Rosenberg dans le film, « j’ai décidé d’aller en Israël parce que je voulais voir comment ils vivaient et je voulais apprendre l’hébreu. »
Ces raisons sont contestées par l’une de ses filles, qui témoigne à visage caché : « C’est en fait Marcelle qui a envoyé Albert en Israël pour le tirer d’un problème juridique. »
Il y a une autre explication : Avrich découvre un avis de fiançailles correspondant à un précédent mariage de Rosenberg, en 1964 à la synagogue Beth Tzedec de Toronto. (Le film n’évoque pas ouvertement l’identité religieuse de Rosenberg, ni celle de sa famille.)
Le mariage prend fin au bout de quelques mois seulement, et le cinéaste déclare à la caméra qu’« il était temps pour Albert de quitter la ville ».
Plus Rosenberg parle, plus cela implique de vérifier des faits sur place.
« [La coproductrice Caitlin Cheddie] me passait constamment des notes », explique Avrich.
« Rien ne coïncide, pour ce qui est de sa date ou de son lieu de naissance ou encore des écoles privées dans lesquelles ses enfants sont supposés avoir étudié. Pour lui, tout était vrai. Il supportait mal la contradiction. »
En quête de clarté, les cinéastes parlent avec d’autres personnes, au premier titre desquelles deux de ses ex-épouses, une de ses trois filles, la police et, en sa qualité d’experte, la journaliste et auteure Diana B. Henriques, qui s’est fait une spécialité de l’étude de la confiance dans les relations humaines et de ses manipulations.
Henriques sait ce que c’est que d’interagir avec un escroc.
Elle a interviewé feu Bernie Madoff, dont elle a tiré un ouvrage intitulé The Wizard of Lies, adapté par HBO.
Selon Avrich, Rosenberg est, aux yeux de Henriques, pire que Bernie Madoff : « Mais pas sur le plan de l’argent », explique-t-il. Bernie a excroqué des milliards, c’est de loin la plus grande fraude de toute l’histoire. »
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Il ajoute : « À bien des égards, [Rosenberg] abusait des sentiments de ses victimes… Les crimes de Bernie étaient des crimes financiers », alors que Rosenberg « a détruit ses victimes, non seulement financièrement, mais aussi émotionnellement ».
Le film évoque cette douleur.
La partie consacrée à l’arrestation de Rosenberg, le 14 août 2013 par la police de Toronto, est difficile.
Au moment des faits, Karin et lui avaient divorcé et il s’était remarié.
Sa nouvelle épouse l’accuse d’agression après avoir évoqué leurs finances, dans un café.
Aujourd’hui divorcée, elle confie à la caméra avoir vendu sa maison très peu de temps après l’avoir rencontré, convaincue de leur avenir ensemble. Elle ajoute qu’il tentait de contrôler sa vie
« L’exercice était délicat », explique Avrich, « pour s’assurer que le film ne soit ni indulgent ni compatissant envers lui. »
Avrich a relevé de nombreux défis au cours de sa longue carrière.
Il a fait des films sur des personnes exceptionnelles, à l’instar de Ben Ferencz, le plus âgé des procureurs de Nuremberg encore en vie, et des individus bien moins fréquentables.
Dans cette dernière catégorie, citons le film de CBC/Netflix « Made You Look », sur la plus grande fraude artistique de toute l’histoire américaine, contre la Knoedler Gallery de New York.
Avrich a également réalisé deux films sur Harvey Weinstein : « Unorthodox: The Harvey Weinstein Project », sorti en 2011 et un biopic post-MeToo, « The Reckoning: Hollywood’s Worst Kept Secret ».
« Je pense que cela a été le premier documentaire post #MeToo Harvey Weinstein », avance Avrich.
« C’était probablement prématuré. Personne ne voulait vraiment de ce film. Hollywood n’aime pas vraiment les films qui disent à quoi ressemble [l’industrie cinématographique]. »
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Avrich a par ailleurs renoncé à tourner un film sur feu Jeffrey Epstein.
Interrogé sur les motifs de ce renoncement, – la mort d’Epstein en prison ? -, il répond : « L’idée m’avait quitté longtemps, longtemps, longtemps avant sa mort. Quand j’ai voulu faire ce film, personne ne savait qui il était. J’ai vraiment insisté sur le fait que cet homme était toujours un prédateur. Mais personne ne savait qui il était. Plus je me plongeais dans ce… plus j’étais dégoûté. J’ai décidé d’abandonner le projet bien avant qu’il ne se suicide, bien avant qu’il ne soit inculpé. »
« The Talented Mr. Rosenberg » a également failli ne pas voir le jour.
Avrich concède qu’avoir pu tourner avec Rosenberg a été une chance. Pourtant, il a été déçu par les déclarations contradictoires de l’escroc.
Le film dit ainsi que leurs relations se sont tendues et que Rosenberg a refusé de continuer.
Avrich a donc contacté d’autres personnes pour vérifier les déclarations de Rosenberg, et notamment sa dernière ex-épouse.
Non seulement cela l’a aidé à combler les trous, mais cela a peut-être indirectement contribué à l’achèvement du film. Avrich s’est en effet entretenu avec Rosenberg du résultat de ses recherches.
« Je crois qu’il était curieux, ce qui l’a convaincu de venir me parler et terminer l’interview », explique Avrich.
Une des déclarations de Rosenberg devant la caméra, en particulier, a stupéfait le réalisateur.
« Il dit dans le film, et j’adore ça, qu’il a fait en sorte d’oublier son passé criminel », dit Avrich.
« C’est difficile à croire. Peut-être qu’il l’a fait, peut-être qu’il ne l’a pas fait. C’est toute l’histoire de sa vie. »
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