« TORN » : Comment les affiches des otages sont devenues des cibles à New York
Nim Shapira s'est penché sur la charge émotionnelle et les aspects juridiques de l'arrachage et de la destruction, souvent violents, des affiches ”KIDNAPPED" par les anti-Israël
Alors que la guerre entre Israël et le Hamas avait éclaté le 7 octobre 2023 après l’invasion du groupe terroriste palestinien, un autre conflit avait commencé à faire rage dans les rues de New York et d’autres villes du monde.
C’était une guerre dont l’arme principale était les affiches « KIDNAPPED » soulignant le sort des 251 personnes prises en otage en Israël, et emmenées de force à Gaza par le Hamas et d’autres groupes terroristes, alors que plus de 1 200 personnes étaient brutalement assassinées dans le sud d’Israël. À peine les individus et les groupes pro-Israël et juifs avaient-ils accroché les affiches dans les espaces publics que des manifestants anti-Israël les avaient dégradées ou arrachées.
Cette bataille, qui s’était déroulée plusieurs mois après le 7 octobre, est relatée et analysée dans un nouveau documentaire intitulé « TORN : The Israel-Palestine Poster War on NYC Streets », réalisé par Nim Shapira. Il a été diffusé sur une chaîne de télévision israélienne et dans le cadre de festivals du film et de projections spéciales. D’autres projections américaines et internationales sont prévues pour 2025.
Au début du mois d’octobre 2023, Shapira, né en Israël, directeur artistique et cinéaste basé à Brooklyn, se trouvait à Tel Aviv. Après l’assaut sans précédent du Hamas contre le sud d’Israël, il était resté un mois et demi de plus pour faire du bénévolat, mettant à profit ses compétences en matière de communication et ses relations professionnelles pour faire connaître au monde entier les atrocités commises par le Hamas.
« J’ai vu sur mes réseaux sociaux que des collègues, des amis et des collègues artistes aux États-Unis et dans d’autres pays justifiaient le 7 octobre. Ces personnes disaient que ce que je publiais était faux. Certains affirmaient même que les otages n’étaient pas réels, qu’il s’agissait d’acteurs », raconte Shapira au Times of Israel.
Avant de rentrer chez lui, à Brooklyn, Shapira, 42 ans, avait vu sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des New-Yorkais arrachant les affiches KIDNAPPED sur lesquelles figuraient les photos, les noms, les âges et les nationalités des otages.
« C’était dans mon ancien quartier de Williamsburg. Je me suis demandé ce qui se passait ici. Ce sont les rues dans lesquelles je marche. C’est tout à côté de chez moi. Cela m’a bouleversé », a déclaré Shapira.
Peu après son retour, 105 otages israéliens et étrangers avaient été libérés entre le 24 et le 30 novembre. Par la suite, la guerre des affiches s’était calmée et l’attention du public s’était portée sur d’autres sujets. Cependant, Shapira dit avoir été déterminé à étudier en profondeur les raisons pour lesquelles ces New-Yorkais « qui n’avaient rien à voir avec tout ça », fait-il remarquer, avaient eu des réactions aussi furieuses et violentes face à des affiches qui avaient pour but de donner un visage et une voix aux otages. Il ajoute avoir également voulu savoir comment ce comportement virulent avait affecté les Juifs américains et les Israéliens basés aux États-Unis.
« TORN » est un mélange d’images d’actualité sur les atrocités du 7 octobre, sur la guerre et sur la libération des otages lors de la trêve du mois de novembre, et de vidéos partagées sur les réseaux sociaux, avec aussi des interviews et des reconstitutions.
Au début du documentaire, les spectateurs font la connaissance de Nitzan Mintz et de Dede Bandaid, deux artistes israéliennes en stage à New York au moment du pogrom. Dévastées par les massacres et par les enlèvements perpétrés par le Hamas, elles avaient ressenti l’obligation de faire quelque chose. Avec l’aide d’un collègue, elles avaient conçu les affiches KIDNAPPED, les faisant imprimer à 2 000 exemplaires avant de les distribuer et de les coller sur les lampadaires. La plupart du temps, les passants ne manifestaient que peu d’intérêt ou de sympathie à leur cause.
Néanmoins, les affiches étaient rapidement devenues virales parmi ceux qui s’en souciaient. Elles ont depuis été copiées et traduites dans différentes langues et dans plusieurs villes du monde. Israël, bien sûr, a eu ses propres versions.
Un coup de projecteur à longue portée
Les interviews de Liam Zeitchik et de sa sœur Alana Zeitchik, cousins des six otages des familles Cunio et Aloni, donnent un aperçu de ce que représentait le fait d’essayer, même de loin, d’attirer l’attention sur le sort d’êtres aimés – et de voir les gens prétendre que les affiches s’apparentaient à une propagande israélienne visant à présenter comme victimes les Israéliens, forcément « génocidaires », et à encourager le soutien militaire des États-Unis à Israël.
Danielle Aloni et sa fille Emilia, ainsi que Sharon Aloni Cunio et ses jumelles Yuli et Emma avaient été libérées en novembre 2023. L’époux de Sharon Aloni Cunio, David Cunio, est toujours détenu.
« Je ne me sens pas du tout en colère lorsque quelqu’un partage et exprime sa solidarité avec le peuple palestinien, avec la population de Gaza. J’aimerais simplement qu’il y ait plus d’espace pour nous aussi », explique Alana Zeitchik dans le documentaire.
« Ils nous rejettent. Ils nous ont rejetés pour une cause qui les passionne davantage, qu’ils jugent plus digne d’intérêt, au lieu d’être en mesure d’accueillir le chagrin des deux peuples », ajoute-t-elle.
Julia Simon, étudiante, est une amie d’Omer Neutra, né aux États-Unis, commandant de char de l’armée israélienne et « soldat seul » tué le 7 octobre, dont le corps sans vie avait été kidnappé pour être emmené à Gaza. Au moment du tournage de « TORN », on pensait qu’Omer était encore vivant. Un soldat seul est un conscrit qui n’a pas de famille à proximité.
« Je pense que les affiches ont fait un excellent travail en montrant qui sont les gens, le monde dans lequel nous vivons, et qui est vraiment là [ou pas] pour nous. Je pense que ces affiches ont en quelque sorte jeté une pierre et que le bruissement de l’eau nous a réveillés », indique Simon.
Ce documentaire soulève de nombreuses questions importantes sur le climat politique qui règne aujourd’hui aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux, ainsi que sur la liberté d’expression.
Le rabbin Yehuda Sarna, directeur exécutif du Bronfman Center for Jewish Student Life de l’université de New York, souligne que dans un monde où tant de gens ne perçoivent les choses qu’en noir ou en blanc, « le fait de voir ces visages [sur les affiches des otages] est le défi ultime à cette vision binaire ».
L’histoire de la bijoutière israélo-américaine Chen Levy met en exergue de nombreuses questions, notamment le droit d’afficher ce que l’on veut sur une propriété privée. Elle a fini par cesser d’apposer les affiches des otages à proximité de son commerce après que des foules en colère de manifestants anti-Israël les ont arrachées à plusieurs reprises des piliers situés devant son magasin.
Ses tentatives de dialogue avec les manifestants ayant échoué, elle a craint pour sa sécurité et elle s’est barricadée avec ses employés à l’intérieur.
Un acte qui relève de la liberté d’expression
Aussi laid que soit le fait de dégrader ou d’arracher une affiche d’otages, il s’agit d’un acte relevant de la liberté d’expression, selon Aaron Terr, directeur de la défense des intérêts publics à la Fondation pour les droits individuels et l’expression.
« L’acte de coller une affiche est l’expression d’un point de vue. Si quelqu’un d’autre vient l’arracher, cela revient à un droit de veto de sa part. Il s’agit de personnes qui décident ce que les autres peuvent voir et quels discours et opinions ils peuvent écouter », a noté Terr.
Shapira intègre, dans son film, des images montrant comment certains ont refusé de laisser les « chahuteurs » gagner. Dès que ces militants sensibles à la cause des otages constatent que des affiches manquent sur le mur d’une longue bouche de métro, ils en remettent.
Terr note qu’il est possible que toutes les personnes ayant collé des affiches d’otages ne l’ont pas fait dans le but de soigner le traumatisme causé par les horreurs du 7 octobre, ou avec pour objectif de sensibiliser à la situation des otages.
« Il se peut que, dans certains cas, des personnes collent des affiches dans l’intention de provoquer la colère d’autres personnes. Mais cela fait partie du débat. Cela peut être critiqué. Les gens peuvent dire qu’en faisant cela, on ne va pas aider à combler le fossé entre les différentes parties de ce conflit », explique Terr.
« Mais les personnes qui le font, en même temps, peuvent faire valoir que c’est la manière la plus efficace d’exprimer leur point de vue, et qu’elles veulent coller ces affiches pour que les personnes qui ne sont pas d’accord avec elles les voient. Peut-être ne le font-elles pas de la manière la plus productive, mais cela fait partie du débat autorisé dans ce pays par le premier amendement. »
L’arrachage des affiches a créé un climat de peur et d’autocensure, tout comme « l’annulation » ou le « doxxing » des personnes qui ont pu les arracher. « TORN » comprend des séquences téléchargées sur les réseaux sociaux qui identifient les personnes qui ont enlevé les affiches. Dans certains cas, ces personnes ont été menacées, suspendues des universités où elles faisaient leurs études ou licenciées.
Les interviews de personnes ayant retiré ou détruit des affiches d’otages sont manifestement absentes de « TORN ». Shapira indique qu’il a contacté de nombreuses personnes qui avaient été victimes de doxxing, mais qu’elles ont toutes refusé d’être interviewées ou d’apparaître dans le documentaire. À la place, Shapira compile des déclarations qui ont été faites, en public, par des individus qui ont souffert des conséquences du doxxing. Il ajoute avoir demandé à la scénariste Nina Mogilnik, une affichiste active, d’y répondre.
Un petit bout d’affiche à New York représentant une personne prise en otage en Israël le 7 octobre 2023, comme le montre le documentaire de Nim Shapira « TORN : The Israel-Palestine Poster War on NYC Streets ». (Crédit : Eyal Bau Cohen)
« Je pense que le fait d’enlever une affiche ne devrait pas être un délit passible d’amende. Je pense que cela réduit l’espace d’expression des gens. Mais, selon moi, il y a eu des cas où des personnes auraient dû être licenciées – des personnes qui ont exprimé des opinions haineuses, violentes et odieuses », déclare Mogilnik.
Mogilnik note que si les affiches ont contribué à sensibiliser l’opinion publique, elle n’est pas sûre qu’elles aient été, en fin de compte, salvatrices à l’égard des otages.
« Tous ces mois plus tard, 100 otages (vivants et morts) sont toujours à Gaza, et presque aucune affiche KIDNAPPED n’est restée intacte dans les rues de New York », indique-t-elle.
« Elles ne sont pas comme les pyramides. Elles sont emportées par la pluie », renchérit Shapira.
C’est pourquoi il est émouvant de voir dans le documentaire que l’activiste Elisha Fine a rassemblé avec dévouement les restes d’affiches d’otages lacérées, brûlées, recouvertes, vandalisées et même souillées d’excréments.
« Il y a une certaine kedousha [sainteté] dans ces affiches. »
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