Tunisie : « les démocrates de l’islam » se tournent vers l’IA pour préserver leur héritage
Said Al-Barouni, bibliothécaire, s'est donné pour mission, à l'aide des technologies actuelles, de préserver l'héritage de sa communauté ibadite, un courant minoritaire et modéré de l'islam
Dans sa modeste maison de l’île tunisienne de Djerba, Said Al-Barouni s’est donné pour mission, à l’aide des technologies et de l’intelligence artificielle, de préserver l’héritage de sa communauté ibadite, un courant minoritaire et modéré de l’islam.
« Regardez ce que l’humidité de Djerba a fait à celui-ci », explique ce fonctionnaire à la retraite de 74 ans à l’AFP en feuilletant de sa main gantée un manuscrit religieux.
Depuis qu’il a pris, dans les années 1960, les rênes de la bibliothèque que la famille s’est transmise sur six générations, il s’est lancé dans une course contre la montre pour sauver un maximum de documents anciens.
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La bibliothèque contient plus de 1 600 textes et ouvrages sur des sujets aussi variés que l’astrologie ou la médecine, dont certains remontent à l’an 1357.
Ce passionné continue de collecter des documents dispersés au cours des siècles pendant lesquels la petite communauté ibadite de Tunisie, regroupée à Djerba (est), a dû pratiquer sa foi en catimini.
Selon la tradition, les Ibadites sont une branche des Kharijites, un courant extrémiste dont les partisans s’étaient retournés contre Ali, le quatrième calife de l’islam (656-661) et le pouvoir sunnite avant de s’éparpiller dans des coins reculés de la Libye, l’Algérie et la Tunisie actuelles ainsi qu’à Oman.
« Réfugiés »
« Pour préserver leur existence, les Ibadites se réfugièrent sur l’île de Djerba, dans le désert algérien et dans la zone montagneuse de Nefoussa en Libye », explique à l’AFP Zouhair Tighlet, un spécialiste de l’ibadisme.
Ils furent alors confrontés à deux options : « entreprendre une guerre sans fin et disparaître comme les autres minorités (religieuses, ndlr) ou accepter de devenir invisibles mais d’utiliser cette situation pour entamer une renaissance culturelle », ajoute l’expert djerbien.
Aujourd’hui, la majorité des manuscrits anciens dorment dans des bibliothèques familiales.
« Toutes les familles de Djerba possèdent une bibliothèque, même si une grande partie des manuscrits ont été vendus ou échangés », note M. Barouni, qui continue sa quête de livres anciens.
Dans une pièce aux fenêtres condamnées, des piles de documents s’entassent au milieu du bourdonnement de générateurs d’ozone, utilisés pour éliminer les moisissures.
Dans une autre, chaque texte est nettoyé et numérisé, « la seule solution » pour sauvegarder ces documents anciens, explique M. Barouni, dont l’association est aidée par des fidèles et quelques financements publics ou d’ONG.
Pour décrypter l’écriture arabe cursive ancienne, M. Barouni s’est servi d’un logiciel d’intelligence artificielle mis au point par la société Zinki, capable d’extraire un texte à partir d’une photo et de le simplifier.
Selon Feras Ben Abid, le fondateur tunisien de Zinki, basé à Londres, son outil permet de déchiffrer une myriade de manuscrits anciens, inaccessibles au lecteur contemporain. A ses yeux, c’est aussi un « moyen de changer les idées fausses de certaines personnes sur des sujets », comme l’héritage ibadite.
« Opposés aux tyrans »
Les Kharijites dont est issu le courant ibadite, ont été historiquement ostracisés pour s’être rebellés contre le pouvoir sunnite, branche majoritaire de l’islam.
« Ils nous appellent les Kharijites (les « sortants » de l’islam), comme si nous étions contre la religion, alors que pas du tout, nous nous sommes simplement opposés aux tyrans », souligne M. Barouni.
Ceux qui se présentent comme les « démocrates de l’islam » ont pour tradition de confier à un conseil d’anciens la résolution des problèmes sociaux et politiques « dans le but de préserver la société ibadite », note l’expert.
En Tunisie, les héritiers de l’ibadisme se sont concentrés à Djerba, refuge d’autres minorités comme les catholiques et la plus grande communauté juive du pays avec plus de 1 500 membres.
Forte de cette diversité, reflétée dans des dizaines de monuments emblématiques, l’île touristique a été inscrite l’an passé sur la liste du patrimoine protégé par l’Unesco.
Les Ibadites, qui forment aujourd’hui les deux tiers d’environ 160 000 habitants, ont apporté « un urbanisme particulier qui est l’une des motivations » du label Unesco, selon le spécialiste.
Leur mode de vie frugal se reflète dans l’architecture de leurs mosquées, aux lignes simples, blanchies à la chaux et dotées de petits minarets. Tout cela découle de « leur doctrine consistant à ne pas être condescendant envers les autres », souligne M. Tighlet.
Certaines mosquées sont même souterraines « pour des raisons à la fois symboliques et de sécurité », tandis que d’autres en bord de mer surveillaient la côte à l’affût des navires ennemis.
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