Israël en guerre - Jour 489

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Un an après la mort et l’enlèvement de leurs proches, le 7 octobre, les familles attendent de pouvoir tourner la page

Des proches en deuil ont pris la parole lors d'un événement organisé sur la Place des Otages, à Tel Aviv, faisant part de leur désir ardent de voir rapatriés les corps sans vie des 36 captifs décédés qui sont retenus à Gaza

Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Des membres des familles en deuil - avec Yael Adar, complètement à gauche, Michel Illouz, Roy Baruch, Bar Godard et le modérateur Ben Shani - s'expriment sur la place des Otages de Tel Aviv le 27 octobre 2024. (Autorisation : Hostages and Missing Families Forum)
Des membres des familles en deuil - avec Yael Adar, complètement à gauche, Michel Illouz, Roy Baruch, Bar Godard et le modérateur Ben Shani - s'expriment sur la place des Otages de Tel Aviv le 27 octobre 2024. (Autorisation : Hostages and Missing Families Forum)

Cela fait plus d’un an que Yael Adar a perdu son fils, Tamir Adar, alors qu’il combattait les terroristes du Hamas qui avaient pris d’assaut le kibboutz Nir Oz, le 7 octobre 2023. Évoquant sa souffrance, Adar explique qu’elle ne parvient pas à faire le deuil de son fils – et qu’elle n’y arrivera pas tant que son corps sans vie, capturé et emmené à Gaza, ne sera pas rapatrié sur le sol israélien pour y être inhumé dignement.

« Il y a une idée d’ordre dans le deuil : Vous êtes d’abord informé de la mort de l’être que vous aimiez, ensuite il y a les funérailles, il y a la shiva, il y a les prières, il y a une tombe », explique Adar devant les Israéliens qui se sont rassemblés, dimanche soir, sur la place des Otages de Tel Aviv. « A Nir Oz, à Beeri, à Kfar Aza, il ne s’agit pas seulement de la perte d’une personne mais aussi de la perte d’un foyer – la disparition d’une communauté qui était la vôtre, à laquelle vous apparteniez. A chaque fois qu’une mère est informée de la mort de son fils au combat au cours d’un appel téléphonique, je suis de tout cœur avec elle mais j’éprouve un peu de jalousie parce que la chambre de son fils est toujours là, que son foyer est toujours là. Pour notre part, nous avons traversé la shiva sans dépouille ni foyer. »

Adar est l’une des membres des nombreuses familles qui participent à « Deuil sans tombe » – une table ronde organisée à l’occasion de la journée officielle de commémoration de la date-anniversaire du pogrom du 7 octobre, conformément au calendrier hébraïque. Parmi les intervenants figurent des proches de quatre des 36 victimes du 7 octobre dont les corps sans vie se trouvent encore à Gaza.

Bar Godard, la fille de Manny et Ayelet Godard, qui avaient été tués au kibboutz Beeri, parle de ses parents. Son père, dont la dépouille a été emmenée au sein de l’enclave côtière, était un homme aimant, un père et grand-père attentionné qui était maître-nageur de profession et qui, à ce titre, était responsable de la piscine du kibboutz.

Chaque saison passée à la piscine était une célébration de la vie, se rappelle Godard, qui habitait également Beeri au moment de l’attaque du 7 octobre.

Bar Godard, dont les parents ont été tués au kibboutz Be’eri le 7 octobre, s’exprime sur la place des otages de Tel Aviv le 27 octobre 2024 (Courtesy Hostages and Missing Families Forum).

Godard était enceinte de sept mois et elle avait trouvé refuge dans la pièce blindée de son habitation, en compagnie de son époux et de son enfant en bas âge, le 7 octobre, lorsque sa mère l’avait appelée à 8 heures du matin, pleurant de manière incontrôlable. Elle lui avait annoncé que Manny avait été tué et qu’elle-même se cachait dans les buissons, leur maison ayant été mise à feu par les terroristes.

Godard savait qu’il lui était impossible de sortir dehors alors que les terroristes rôdaient dans le kibboutz – mais elle avait eu la certitude que sa mère serait sauvée. Il avait fallu plusieurs jours avant qu’elle n’apprenne, avec ses frères, que leur mère avait été tuée lors du pogrom – et que le corps sans vie de leur père avait été emmené à Gaza.

« Il y a quelque chose dans ces morts, dans cet événement en lui-même, qui s’apparente à un tsunami. Vous n’avez plus rien à quoi vous raccrocher », indique Godard. « Vous n’avez plus de maison, vous n’avez pas de tombe… Vous n’avez plus rien, vous vous raccrochez au vide, vous vous raccrochez au moindre souvenir. C’est un sentiment de néant ».

Un sentiment partagé par d’autres intervenants en deuil qui évoquent la perte d’êtres chers qu’ils ne peuvent pas pleinement pleurer, un an après le massacre commis par les terroristes du Hamas qui avaient tué plus de
1 200 personnes, kidnappant également 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.

Roy Baruch, dont le frère Uriel Baruch a été tué le 7 octobre et dont le corps a été emmené en captivité à Gaza, s’exprime sur la Place des Otages de Tel Aviv, le 27 octobre 2024. (Autorisation : Hostages and Missing Families Forum)

Roy Baruch ne savait pas que son frère Uriel Baruch allait à la rave-party Nova, qui était organisée dans le désert – il n’avait qu’ultérieurement découvert qu’il s’y était rendu à la dernière minute, ayant reçu ses billets pour assister au festival de musique électronique seulement la veille.

Ce père de deux enfants avait d’abord été considéré comme porté-disparu, puis comme pris en otage – ce qui avait soulagé la famille, raconte Roy, « parce qu’on avait encore une chance qu’il soit en vie ».

Cela n’avait été qu’au mois de mars 2024 que la famille avait été informée qu’Uriel avait été tué le 7 octobre et que sa dépouille avait été emmenée à Gaza.

« Tout le monde ne voulait pas faire la shiva« , note son frère, qui souligne que les membres religieux de la famille étaient dans l’incapacité de faire le deuil d’Uriel en l’absence de son corps.

La semaine dernière, alors qu’il n’y avait toujours pas de tombe sur laquelle se recueillir, les amis d’Uriel – qui ont entouré la famille de leurs soins affectueux pendant des mois – ont organisé une sorte d’hommage sur le site de la rave, à la veille de la fête de Simhat Torah. Des centaines de personnes sont venues pleurer Uriel et réciter la prière traditionnelle du deuil « parce que nous n’avions pas d’autre endroit où la dire », explique Roy Baruch.

Michel Illouz, père en deuil, lors d’un événement commémorant le 7 octobre sur la place des otages de Tel Aviv, le 27 octobre 2024. (Autorisation : Hostages and Missing Families Forum).

Michel Illouz, le père de Guy Illouz, 26 ans, qui avait été blessé, kidnappé et qui a succombé à ses blessures à Gaza, souligne qu’Israël ne se relèvera jamais, en tant que société, tant que tous les otages – vivants ou morts – n’auront pas été rapatriés.

« Cette blessure restera ouverte, nous saignerons toujours », affirme Illouz.

Il n’avait appris que 27 jours après le pogrom que son fils, porté-disparu, avait été pris en otage lors du festival de musique Supernova.

« Je ne suis pas religieux mais j’ai prié jour et nuit pour que mon fils ait été emmené vivant à Gaza », déclare-t-il.

Guy avait appelé son père le 7 octobre en tout début de matinée. Il cherchait alors à fuir le massacre. Il lui avait dit qu’il l’aimait et qu’il l’appelait pour lui dire au revoir, alors que les coups de feu se faisaient entendre autour de lui au téléphone.

Michel Illouz avait alors sauté dans sa voiture et il était parti vers le sud, parvenant à atteindre une intersection proche de l’endroit où se trouvait son fils. Il avait découvert un spectacle de mort et de désolation, avec des corps sans vie ramassés et chargés à bord de pick-ups.

« J’ai vu la catastrophe de mes propres yeux, j’ai vu qu’il n’y avait pas de soldats présents, j’ai vu qu’il n’y avait que des résidents qui tentaient de s’organiser », se souvient Illouz qui était resté sur place pendant quatre heures, vérifiant que son fils ne se trouvait pas dans les véhicules où les dépouilles avaient été chargées.

« C’est difficile parce que cette histoire est la mienne et qu’elle est douloureuse. Mais il y a des histoires bien pires que la mienne, avec des familles entières qui ont été exécutées », dit Illouz. « Toutefois, je n’ai toujours pas auprès de moi le corps sans vie de mon fils ».

C’est une ancienne otage, Maya Regev, libérée lors de la trêve d’une semaine qui avait eu lieu à la fin du mois de novembre, qui avait raconté à la famille Ilouz qu’elle avait été hospitalisée aux côtés de Guy pendant deux jours – et qu’elle l’avait vu rendre son dernier soupir. Sa dépouille avait ensuite été mise dans un sac mortuaire.

« C’est la seule chose que nous ayons », déplore Illouz. « Le récit de Maya ».

La chanteuse Riki Gal avec la mère de l’otage en deuil Yael Adar, à droite, sur la Place des otages de Tel Aviv, le 27 octobre 2024 (Autorisation : Hostages and Missing Families Forum)

Adar et Illouz sont assis l’un à côté de l’autre – deux parents éplorés qui s’accordent à dire que le gouvernement israélien doit absolument arriver au bout des négociations en cours avec le Hamas, des pourparlers portant sur la remise en liberté des captifs.

Adar affirme que son fils mérite une sépulture digne de ce nom après être sorti pour tenter de protéger sa communauté et la frontière sud du pays.

« J’ai besoin qu’il soit là pour clore ce chapitre », confie-t-elle.

Adar indique qu’elle a passé une partie de la journée de dimanche au kibboutz Nir Oz, où son fils vivait avec sa famille. Elle y avait elle-même élevé ses enfants avant de déménager, il y a plusieurs années.

« Tamir avait deux petits enfants et ces enfants vont grandir dans un endroit où ils ont été abandonnés [par l’État], où leur père a été enlevé sans être ramené », s’inquiète Adar. « Ce sont les citoyens de demain et nous devons nous battre parce que ces enfants nous observent ».

À la fin de la discussion, la chanteuse Riki Gal monte sur scène pour interpréter « Someone », le classique de Matti Caspi dont les paroles ont été écrites par Jonathan Geffen.

« Avant, j’aimais ces chansons de deuil, celles que l’on entend à Yom HaZikaron », indique Adar. « Aujourd’hui, je fais moi-même partie intégrante de ces chants de deuil – et personne ne m’a demandé la permission avant de sacrifier mon fils ».

Gal se penche et étreint Adar avant de chanter – et Adar prononce ensuite les paroles de la chanson, juste à côté d’elle : « Quelqu’un, quelqu’un s’inquiète, s’inquiète pour moi depuis le ciel ».

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