Israël en guerre - Jour 471

Rechercher
Interview

Un des pionniers de l’économie verte s’attaque au problème dans son usine de sandales Shoresh

En écho aux propos d'Elon Musk, Yoki Gil, à la tête de la première usine zéro émission d'Israël, dit que le monde fonctionnera bientôt grâce aux énergies renouvelables et que ceux qui sautent le pas aujourd'hui en profiteront le plus

Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Sur cette photo non datée, Yoki Gil, fondateur et président de Shoresh (Source), pose avec des sandales emblématiques de son entreprise. (Liron Cohen Aviv)
Sur cette photo non datée, Yoki Gil, fondateur et président de Shoresh (Source), pose avec des sandales emblématiques de son entreprise. (Liron Cohen Aviv)

TIRAT CARMEL — Le très visionnaire Yoki Gil comprend énormément de choses au sujet de l’environnement.

Mais il y a une chose qu’il ne comprend toujours pas : c’est l’incapacité du gouvernement et des hommes d’affaires à prendre la mesure du fait que, d’ici quelques dizaines d’années, le monde fonctionnera grâce aux énergies renouvelables. Il ajoute que ceux qui prennent le train en marche aujourd’hui seront ceux qui en profiteront le plus.

« Des centaines de personnes viennent nous voir », explique Gil, qui possède deux usines dans le nord d’Israël, dont l’une fabrique ses célèbres sandales Shoresh (connue dans le monde entier sous le nom « Source ») et a été la toute première en Israël à atteindre le niveau de zéro émission de carbone en ce qui concerne son alimentation électrique et les modes de transport qu’elle emploie.

« Ils me disent : ‘Super!’ Mais une fois repartis, ce qu’ils ont entendu ressort par l’autre oreille », regrette Gil.

L’escalier qui mène aux bureaux de Shoresh, à Tirat Carmel, est orné de récompenses et de photographies de Gil, toujours un peu gauche, avec des célébrités. La dernière en date est celle prise avec l’actuelle ministre de la Protection de l’environnement, Idit Silman. Le prix de la personne de l’année, décerné ce mois-ci à Gil à l’occasion d’une conférence internationale sur l’énergie et le commerce, dans le centre d’Israël, attend encore de trouver sa place sur le mur.

Avec ses cheveux gris ramassés en queue de cheval, Gil ressemble plus à un philosophe qu’à un homme d’affaires. Il balaie d’un revers de main les questions portant sur le retour sur investissement obtenu en adoptant un mode de vie durable et en dirigeant une entreprise sans impact négatif sur les ressources des générations futures.

Il préfère expliquer pour quelle raison il est important de penser globalement – et d’agir à l’échelle locale.

Sur cette photo de 2022, Yoki Gil pose sur le toit de son usine, à Tirat Carmel, dans le nord d’Israël. (Liron Cohen Aviv)

La fabrication des sandales remonte à 1989 et Gil se trouve aujourd’hui à la tête d’une entreprise de 350 employés pour un chiffre d’affaires annuel de 400 millions de shekels et un taux d’exportation de ses produits de 80 %.

Bien connue des Israéliens pour ses fournitures de randonnée – près de 250 000 sandales sont fabriquées chaque année, la plupart vendues en Israël – la marque tire l’essentiel de la gamme Source Tactical que lui achètent les armées et forces de police du monde entier.

L’usine de fabrication de sandales est un endroit plutôt calme : c’est là que les les semelles sont moulées et que les sangles sont cousues, l’assemblage étant fait à la main. Une fois terminées, les sandales sont emballées dans un sac conçu par Gil et inspiré des origamis. Cette usine émet zéro émission sur le plan électrique, ce qui signifie qu’elle produit autant d’électricité qu’elle n’en consomme à partir du réseau national.

Le reste du complexe, à commencer par la société d’équipements tactiques, affichera lui aussi un bilan de zéro émission d’ici la fin 2025.

« Le monde pourrait fonctionner proprement avec la moitié de l’énergie utilisée aujourd’hui »

La soixantaine bien tassée, Gil ne sait pas encore s’il doit se réjouir de l’arrivée du milliardaire Elon Musk au sein de ce qui sera la deuxième administration du président élu Donald Trump, aux Etats-Unis. Il tient à montrer un extrait de la journée des investisseurs de Tesla de l’an dernier, au cours de laquelle Musk a dévoilé le troisième Plan Directeur de l’entreprise et expliqué que le monde pourrait vivre « dans l’abondance », avec une population plus importante encore, en utilisant la moitié de l’énergie consommée aujourd’hui à condition de passer des combustibles fossiles au soleil, à l’eau et au vent.

En effet, seule une toute petite part de l’énergie nécessaire à l’extraction, au raffinage, au transport et à la distribution des combustibles fossiles fournit in fine de l’électricité ou des mouvements mécaniques.

« La crise climatique est l’occasion d’une grande révolution énergétique », assure M. Gil.

« Chaque personne sur Terre tirera bientôt son énergie de sources renouvelables et non plus de combustibles fossiles. Nous verrons cela de notre vivant, comme le dit Musk. Et comme pour toute révolution, les premiers à franchir le pas seront ceux qui en tireront les meilleurs profits. Réveillez-vous. La révolution est en marche ! »

Selon Gil, c’est la mauvaise gestion de trois ressources qui rend le mode de vie actuel tout sauf durable : l’électricité, le transport et les déchets.

« C’est pourtant simple. Pas besoin d’attendre l’hydrogène ou une technologie d’avenir. L’énergie renouvelable est infinie et nous avons d’ores et déjà les technologies qu’il faut », assure-t-il.

Quid du coût de la neutralité carbone ? « Évidemment, il faut investir dans des panneaux solaires, des batteries et des véhicules électriques pour devenir durable, que ce soit chez soi ou sur son lieu de travail, mais il n’est pas nécessaire d’investir de capital personnel », poursuit Gil. « On peut obtenir des prêts bancaires facilement, car il n’y a aucun risque. Le soleil brillera toujours. »

« Au lieu de payer des factures d’électricité et d’essence, il vaut mieux rembourser les intérêts de ces prêts et, au bout de quelques années, le prêt sera remboursé et vous n’aurez plus de factures », souligne-t-il.

Jusqu’à sa transition, progressive, entamée en 2019, l’usine de Gil dépensait 1,1 million de shekels par an en électricité, transports et gestion des déchets.

Il a découvert que l’objectif de carboneutralité était parfaitement cohérent, tant sur le plan commercial qu’environnemental. En 2018 déjà, il avait commencé à tester le mode de vie durable chez lui.

« Avant, je n’avais jamais regardé de près mes factures d’électricité, de voiture ou de gestion des déchets », admet-il. « Nous sommes tous pareils. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Nous acceptons le fait que notre facture d’électricité augmente parce qu’il y a la guerre en Ukraine, comme si nous ne pouvions rien y faire. »

Il a remplacé les 15 voitures de sa flotte par des véhicules électriques, installé des chargeurs et fait venir en Israël le tout premier camion de livraison électrique.

Coutures des sangles des sandales à l’usine Shoresh (Source) à Tirat Carmel, dans le nord d’Israël, le 18 décembre 2024. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

Il a installé des panneaux solaires sur le toit, qui produisent l’électricité nécessaire à l’usine comme aux véhicules. Et il a acheté une batterie pour les jours où le soleil ne brille pas et les prix du réseau, élevés.

« Les batteries solaires actuelles sont presque rentables et elles seront bientôt avantageuses », assure Gil.

Les batteries permettent de bénéficier d’ « une vraie sécurité énergétique. L’année dernière, il y a eu une coupure de courant durant huit heures parce qu’un transformateur avait grillé à la mi-journée. Notre usine a été la seule, dans les environs, à pouvoir continuer à travailler. »

Le système électrique de Shoresh fonctionne en circuit fermé — c’est ce que l’on appelle un micro-réseau. L’usine consomme l’électricité qu’elle produit, ce qui représente une charge de 80 % d’électricité en moins sur le réseau. En outre, l’électricité a une faible distance à parcourir entre les panneaux du toit et le point d’utilisation.

Gil estime que ces micro-réseaux sont le moyen le plus cohérent et économique de passer aux énergies renouvelables. Si davantage de personnes produisaient l’électricité qu’elles consomment, le réseau, actuellement surchargé, n’aurait pas besoin d’être étendu.

Des moules sont utilisés pour créer les semelles en caoutchouc des sandales fabriquées à l’usine Shoresh (Source) à Tirat Carmel, dans le nord d’Israël, le 18 décembre 2024. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

La Compagnie israélienne d’Électricité est réticente à promouvoir les micro-réseaux, de crainte d’une perte de contrôle sur ce qui se fait, et les autorités continuent d’investir dans de grands champs de panneaux solaires, dans le nord et le sud d’Israël, pour approvisionner un centre très densément peuplé, ce qui implique la construction de nouvelles infrastructures.

Les autorités ont par ailleurs le projet de mettre en place une chaîne de centrales électriques coûteuses fonctionnant au gaz fossile supposées prendre le relais en cas de très forte demande (par exemple, lors des vagues de chaleur).

Dans un document de perspective, l’Autorité de l’électricité estime que pour atteindre 30 % d’énergie renouvelable, il lui faudrait construire six stations de commutation (pour passer de la haute tension de 400 000 volts à la moyenne tension de 160 000 volts), une centaine de sous-stations (pour passer de 160 000 volts à une tension inférieure) et poser 1 600 kilomètres de câbles – de quoi sillonner le pays à trois reprises.

Selon ce même document, compte tenu du temps requis pour terminer les travaux de planification et obtenir les permis, il faudrait pas moins d’une dizaine d’années pour terminer ne serait-ce qu’une nouvelle sous-station. L’installation d’une ligne à haute tension peut également prendre une dizaine d’années, le temps d’acheter les terrains, de planifier les travaux, d’obtenir les autorisations et enfin de construire.

Toutes les sandales fabriquées par Shoresh (Source) sont vendues dans des sacs au design inspiré par les origamis, à l’usine Shoresh (Source) à Tirat Carmel, dans le nord d’Israël, le 18 décembre 2024. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

Bien que le micro-réseau de Gil puisse être déconnecté du réseau national en cas d’urgence (comme ce fut le cas lorsque le transformateur a grillé), il y est connecté la plupart du temps – et pas uniquement parce que la loi l’impose.

Pour pouvoir passer « hors réseau » (c’est-à-dire se déconnecter totalement), il faudrait se procurer tellement de panneaux que cela ne serait pas viable, économiquement parlant. La connexion est en fait ce qui permet à l’usine d’atteindre la neutralité carbone, de manière économique, en prenant de l’électricité dans le réseau en cas de besoin et en la restituant le week-end, moment où les panneaux continuent de fonctionner mais que l’usine est fermée.

Une économie qui protège du besoin

Après l’électricité et les véhicules, Gil s’occupe aujourd’hui de la neutralité carbone. L’année prochaine, il importera la toute première unité de gazéification des déchets.

Contrairement aux incinérateurs, les gazéificateurs – jusqu’à présent uniquement utilisés pour les déchets organiques – utilisent un processus thermochimique libre d’énergie, qui dégage de la chaleur dans un environnement à faible teneur en oxygène et réduit les déchets à leurs éléments de base.

L’un des sous-produits de ce processus est un gaz dit de synthèse, utilisable pour générer de l’électricité ou de la chaleur et donc assurer le chauffage des bâtiments.

La question de savoir si ces changements sont économiquement viables fait partie des questions que déteste Gil. (La réponse qu’il donne pour le retour sur investissement est « à deux chiffres », soit potentiellement tout ce que l’on peut imaginer et qui est supérieur à 10 %).

« Tous ceux qui viennent ici se demandent : ‘Quel est le retour sur investissement ?’ « , dit-il. « C’est la première question – comme si c’était le secret de la vie. Nous avons l’habitude de nous demander ce qui est viable financièrement, et non de ce qui vaut la peine de bien vivre. Personne n’est vraiment heureux parce qu’il gagne 11% d’intérêt et non 9%. Il y a même fort à parier qu’il ne fera qu’envier celui qui touche 15%. »

Enfilage de sangles dans les semelles des sandales de l’usine Shoresh (Source) à Tirat Carmel, dans le nord d’Israël, le 18 décembre 2024. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

Il poursuit : « Il ne faut pas seulement voir le retour sur investissement, car les gens trouveront toujours des excuses pour ne pas faire les choses. Ils diront qu’ils ne comprennent rien à l’énergie. Ils poseront des questions sur le rayonnement des panneaux solaires ou sur la gestion des panneaux en fin de vie. Ce sont ces mêmes personnes qui prennent l’avion pour aller faire du shopping, le week-end (ce qui génère des émissions de carbone), qui disent tout d’un coup se soucier de la fin de vie des panneaux solaires. »

Les entreprises ont déjà dû s’adapter aux nouvelles réglementations internationales, à commencer par les taxes sur le carbone et les exigences de neutralité carbone, poursuit Gil, en ajoutant qu’une proposition de son entreprise pour un contrat au Royaume-Uni doit nécessairement inclure un plan de réduction des émissions carbone.

« Tout ce que nous faisons est transparent et disponible », ajoute-t-il. « Toutes les feuilles Excel, les calculs financiers, sont totalement disponibles. C’est une question de nécessaire prise de conscience et une vraie question de culture. »

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.