Un expert envisageait deux voies possibles pour Israël. Puis il y a eu le 7 octobre
Le Franco-israélien Michael Horowitz, spécialiste en géopolitique, avait presque fini son livre "Hope and Despair" quand le Hamas a massacré plus de 1 200 personnes en Israël. Il fait pourtant encore preuve d'un optimisme prudent
Même si cela paraît difficile, Michael Horowtiz, ressortissant franco-israélien et expert en géopolitique, trouve encore des raisons d’être optimiste concernant l’avenir qui est réservé à Israël au Moyen-Orient.
Certes, son optimisme est « prudent », dit-il – mais prenons donc un peu de recul et examinons l’idée qui est celle de Horowitz : Le Moyen-Orient d’aujourd’hui n’est plus le Moyen-Orient qui existait il y a des décennies, quand il se caractérisait par des régimes autoritaires qui ne dissimulaient pas leur hostilité à l’encontre d’Israël.
Des paradigmes qui ont changé en raison d’événements relativement récents – d’abord, les Printemps arabes, avec des appels publics en faveur de la démocratie qui ont secoué les autocrates. Ensuite, il y a eu les Accords d’Abraham qui ont été l’occasion d’une normalisation sans précédent des liens entretenus par Israël avec quatre États arabes ou à majorité musulmane de la région – les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan.
Des changements spectaculaires qui sont autant de promesses pour Israël – même dans le sillage du pogrom commis par le groupe terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, quand les hommes armés ont massacré plus de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et qu’ils avaient enlevé 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza. C’est en tout cas ce qu’affirme notamment le nouveau livre de Horowitz, Hope and Despair: Israel’s Future in the New Middle East, qui a été publié par la maison d’édition Hurst.
« C’est dur, en particulier actuellement, de déceler de l’espoir ou de voir des raisons d’espérer », concède Horowitz au Times of Israel au cours d’un entretien via Zoom. « En revanche, c’est très facile de voir des raisons de désespérer ».
Pourtant, dit-il, « si vous regardez les choses à l’échelle de la région, il y a des opportunités qui se présentent. »
Dans son livre, l’auteur relève le défi. En écrivant son ouvrage, pendant deux ans, il a compté sur son expertise acquise dans le cadre de son emploi – il est chef des renseignements au sein de l’entreprise Le Beck International, une société de conseil en sécurité dont le siège se situe au Bahreïn. Il s’est aussi appuyé sur ses expériences passées alors qu’il servait dans l’unité du porte-parole de Tsahal, au bureau européen.
Alors qu’il avait envoyé ce qu’il pensait être le texte final de son livre à son éditeur et que le travail de révision était en cours, l’impensable s’était produit, le 7 octobre. Les atrocités commises par le Hamas ont amené l’auteur à réactualiser douloureusement le texte – et il a depuis dédié l’ouvrage à une victime du pogrom, Sigal Levi, une assistante sociale de 31 ans qui venait d’acheter sa robe de mariée et qui avait été assassinée alors qu’elle se trouvait au festival de musique électronique Supernova.
« J’ai eu le sentiment qu’il fallait évidemment parler de ce qui était arrivé », explique Horowitz. « En même temps, j’avais de grandes incertitudes sur ce qui pourrait survenir après le 7 octobre. Nous ignorons encore tout de ses conséquences à long-terme ».
En écrivant Hope and Despair, l’auteur s’est concentré sur un instant très précis, survenu peu avant la signature des Accords d’Abraham. L’ambassadeur émirati aux États-Unis, Yousef al-Otaiba, avait pris l’initiative sans précédent d’appeler le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à ne pas annexer certains pans de la Cisjordanie. Al-Otaiba, qui est aussi ministre d’État, avait directement lancé ce message à la population israélienne par le biais d’une Opinion qui avait été publiée en hébreu dans le quotidien Yedioth Ahronoth.

« Aux Émirats arabes unis et dans une grande partie du monde arabe, nous aimerions croire qu’Israël est une chance, pas un ennemi », avait conclu al-Otaiba, selon une traduction en anglais figurant sur le site internet de la mission émiratie à Washington. « Nous affrontons trop de dangers et nous comprenons parfaitement le potentiel formidable que pourraient avoir des relations plus chaleureuses. La décision qui sera prise par Israël sur l’annexion sera un signe inratable qui nous signalera si Israël voit, lui aussi, les choses de cette façon ».
« C’était réellement intéressant », note Horowitz. « C’était la première fois qu’un leader arabe, issu d’un pays arabe, parlait à Israël – à la population israélienne, aux citoyens, pas seulement au gouvernement. Il tentait alors d’expliquer son positionnement : avec un choix qu’il décrivait comme étant celui de l’isolement – ce qu’aurait entraîné l’annexion – ou une autre voie ouvrant la porte à plus d’échanges, avec la possibilité de la normalisation avec le monde arabe ».
« Et pour moi, ça a été quelque chose de révolutionnaire », ajoute-t-il.
Une idée qui se reflète dans « le nouveau Moyen-Orient » qui figure dans le sous-titre du livre – un nouveau Moyen-Orient où il y aurait davantage de possibilités, pour Israël, d’entretenir des relations faciles avec ses voisins. Et pourtant, de nombreuses menaces planent sur cette perspective. Certaines menaces émanent des ennemis d’Israël, de l’Iran de façon notable. Et Israël s’inflige à lui-même d’autres menaces. Il suffit de regarder comment al-Otaiba avait décrit le projet d’annexion de Netanyahu dans son Opinion.
« Acte unilatéral, délibéré, l’annexion est la saisie illégale de terres palestiniennes », avait écrit l’ambassadeur. « Elle vient défier le consensus arabe – et international, d’ailleurs – sur le droit à l’autodétermination des Palestiniens. Elle déclenchera des violences, elle enhardira les extrémistes. Elle transmettra une onde de choc dans toute la région, en particulier en Jordanie, pays dont la stabilité – qui est souvent tenue pour acquise – profite à toute la région et spécialement à Israël ».

Le meurtre de trois Israéliens au poste-frontière d’Allenby, le 8 septembre, dans un attentat terroriste commis par un chauffeur de camion jordanien avait été fêté dans les rues d’Amman alors que la frustration face à la guerre que mène actuellement Israël contre le Hamas, à Gaza, ne cesse de devenir plus forte et que le ministre de la Sécurité nationale israélien, Itamar Ben Gvir, menace de changer le statu-quo sur le mont du Temple de Jérusalem, statu-quo qui interdit les prières publiques des non-musulmans sur le site. A noter également, les avancées significatives enregistrées par les partis islamistes de la ligne dure lors des élections parlementaires du 10 septembre, en Jordanie.
L’ouvrage fait aussi remarquer que l’Opinion qui avait été écrite par al-Otaiba avait entraîné un torrent de critiques en Israël. Prenant de la distance, Horowitz s’inquiète de l’intérêt porté par Israël à une sorte d’isolement volontaire qui prendrait la forme de frontières fortifiées – un concept dont l’histoire est ancienne. L’idée d’un « rideau de fer » avait été soulevée en 1923 par Zeev Jabotinsky, l’un des premiers leaders du mouvement sioniste. Elle est devenue la métaphore du développement militaire, l’outil de dissuasion utilisé par le pays face à un voisinage hostile.
Il y a pourtant une réserve : même Jabotinsky n’avait pas totalement écarté la paix. Horowitz reproche à la droite israélienne d’ignorer cette réalité lorsqu’elle appelle de ses vœux un rideau de fer 2.0 plus extrême, basé sur l’unilatéralité des politiques mises en œuvre à Gaza et en Cisjordanie. Il considère également qu’Israël s’isole au niveau économique – évoquant comme exemple le fromage blanc. Malgré la situation stratégique du pays au niveau géopolitique, il ne parvient pas à négocier des prix plus bas pour ce produit laitier très populaire dans les rayons des supermarchés.
Horowitz invite Israël à s’appuyer sur les accords d’Abraham et à trouver davantage de partenaires de négociation au Moyen-Orient. Il est conscient des difficultés à trouver de tels partenaires, qu’il s’agisse de la conclusion d’un accord de paix avec les Palestiniens ou d’un accord avec l’Arabie saoudite.

« Israël a l’opportunité de signer potentiellement un accord historique avec l’Arabie saoudite », explique Horowitz. « Les Saoudiens ont fait savoir qu’ils étaient prêts à signer un tel accord pour les raisons qui sont les leurs ». Et pourtant, continue-t-il, « si Israël finalise cet accord, il y aura un prix à payer en matière de concessions faites en faveur de la Palestine ».
En ce qui concerne les Palestiniens eux-mêmes, déclare-t-il, « je crois encore que la paix est possible si nous le voulons. Trouver un partenaire du côté palestinien reste un problème mais en théorie, nous pourrions trouver un accord ».
En pratique, les espoirs de paix de Horowitz se heurtent à des personnalités issues des deux parties – et notamment au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et au ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.
Pour l’auteur, Abbas « est une personnalité controversée parce qu’il a manqué des opportunités de faire potentiellement la paix avec Israël et dans la mesure où il n’a pas réellement découvert de formule lui permettant de défendre le nationalisme palestinien sans recours à la violence ». Smotrich, de son côté, « est très déterminé à légaliser plus de cent avant-postes illégaux. Il le fait discrètement, alors que la guerre à Gaza est en cours. C’est quelque chose qui pourrait radicalement changer la perspective d’une paix possible. A la minute même où vous aurez une majorité de résidents d’implantations qui vivront à proximité des centres de population palestiniens majeurs, cela rendra la paix très, très difficile ».

Le livre analyse des scénarios possibles pour l’avenir d’Israël et du Moyen-Orient, ce qui donne souvent lieu à une lecture désespérante – qu’il s’agisse d’une succession de crises au sein de l’Autorité palestinienne ; de la logistique qui serait nécessaire pour assurer le départ des résidents d’implantation de la Cisjordanie ou de la difficulté rencontrée pour détruire le programme nucléaire iranien, pour combattre l’Iran ou son allié, le Hezbollah dans le cadre d’un conflit ouvert sur de multiples fronts. L’auteur envisage même l’hypothèse d’une chute du régime iranien – dont le remplaçant serait un gouvernement tout aussi hostile à l’égard de l’État juif.
Toutefois, Horowitz offre un certain espoir – et parfois par le biais de déclarations paradoxales.
« De nombreux ennemis d’Israël, qu’il s’agisse de l’Iran ou du Hezbollah, n’assoient leur domination que par la force. L’Iran « peut sembler être un ennemi très fort – et d’une certaine manière, il l’est – en renforçant ses ambitions de manière intelligente, avec prudence. Le régime peut aussi disparaître, en quelques mois, en raison de l’image qu’en ont les Iraniens. C’est la même chose si vous regardez le Hezbollah… l’image qui est celle du Hezbollah tient un rôle majeur dans la crise que connaît actuellement le Liban. C’est une raison d’espérer », dit-il.
« En fin de compte, je ne pense pas qu’Israël résoudra militairement ses conflits, qu’il s’agisse du Hezbollah ou de l’Iran », explique Horowitz. « Je ne pense pas que ce soit la solution. La seule solution à ces conflits, c’est que le peuple libanais, le peuple iranien, se soulève contre l’Iran et contre ses proxies. Cela peut sembler fantaisiste mais ce n’est pas le cas ».
L’espoir et le désespoir se distinguent en cela que l’espoir finit par disparaître. Prenez par exemple le pronostic à long-terme de l’auteur concernant un accord de paix israélo-palestinien.
« Ce qui manque, c’est la volonté politique de convaincre les populations que c’est la bonne chose à faire », estime Horowitz. « Dans 10 ou 20 ans, même si les populations sont convaincues que la paix est la seule chose à faire, qu’elle doit être réalisée, il se peut que ce ne soit plus possible. À mon avis, le principal échec stratégique d’Israël, c’est de supprimer la possibilité même de la paix ».
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