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Interview

Un film dépeint le nouveau départ compliqué donné aux néo-nazis « post-haine »

Le documentaire 'Healing From Hate' est consacré à ces ex-skinheads qui tentent de s'amender de la seule manière qu'ils connaissent : Convaincre d'autres de quitter le mouvement

  • Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
    Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
  • Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
    Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
  • Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
    Une image du documentaire 'Healing From Hate'. (Crédit : Big Tent Productions)
  • Tony McAleer, suprématiste blanc repenti, parle avec des intervenants juifs et le public dans cette scène de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)
    Tony McAleer, suprématiste blanc repenti, parle avec des intervenants juifs et le public dans cette scène de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)
  • Peter Hutchinson, réalisateur de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)
    Peter Hutchinson, réalisateur de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)

NEW YORK — « Healing From Hate: Battle For The Soul of a Nation » attend beaucoup de son public : Le documentaire nous demande d’accepter, avant tout, que les gens peuvent réellement changer. La majorité d’entre nous croit en la seconde chance – tout en restant fidèle à l’adage qui veut que face à quelqu’un qui nous a trompé ou meurtri, « chat échaudé craindra toujours l’eau froide ».

Et lorsqu’il s’agit de personnes dont le corps est recouvert de tatouages sous forme de croix gammées, « chat échaudé craint l’eau froide » ne semble même plus être une option.

Mais ce documentaire, dont la première a eu lieu le 13 novembre au festival DOC de New York, est assurément sérieux. Il suit les pas d’un groupe d’ex-skinheads qui ont trouvé leur rédemption dans la seule chose qu’ils sachent dorénavant faire : Aider les autres à quitter le mouvement nationaliste blanc.

Le film descend dans les tranchées aux côtés de membres de l’organisation Life After Hate, un groupe dont les activités sont essentiellement des visites aux domiciles d’anciens extrémistes de droite tentant de revenir au sein de la société. Les histoires racontées peuvent d’abord mettre en rage – mais c’est l’espoir qui est néanmoins bien là avec la fin du documentaire, et même peut-être un peu de compréhension.

Le réalisateur Peter Hutchinson ne minimise pas les dangers. Les images de Charlottesville, en Virginie – je n’avais jamais vu certaines d’entre elles – sont dévastatrices, comme le sont les commentaires désinvoltes des instigateurs de la haine comme Richard B. Spencer. Les choses vont mal et elles empirent. Mais lorsque les activistes anti-haine parviennent à entrer en contact avec l’un d’eux, en face à face, le film montre comment l’humanité peut réapparaître quelque part chez un grand nombre d’individus – les mêmes dont on pourrait penser, initialement, que la situation était désespérée.

Le film va voyager à travers le circuit des festivals avant d’être proposé sur un service de streaming (il n’y a pas eu d’annonces, jusqu’à présent, concernant sa distribution). Je me suis entretenu avec Hutchinson juste après la projection de New York. Voici une retranscription révisée de notre entretien.

Il y a tant de choses au sujet de ce film qui sont « de maintenant ». Et pourtant, à l’ère de la « culture du zapping », le pardon n’est pas très tendance en ce moment.

Il y a un fort tribalisme à l’heure actuelle. Certains individus, dans des postes politiques élevés, sans pour autant aller réellement trop loin, ont assurément aidé à attiser ces flammes et ils n’ont pas fait suffisamment pour aider la nation à prendre en charge ces questions. Ce film tente de se présenter, en quelque sorte, comme un antidote à ce dialogue du « nous contre eux ».

Il n’y a pas tant d’issues optimistes ou porteuses d’espoir lorsqu’on évoque les gens au sein du mouvement nationaliste blanc. Les sujets soulevés dans mon film se trouvent sur la ligne de front. Ces activistes qui luttent contre la haine font un travail de terrain, d’une façon compassionnelle, dénuée de jugement. C’est une approche de l’ancienne école. Elle est même biblique, d’une certaine façon.

C’est une approche de l’ancienne école. Elle est même biblique, d’une certaine façon

Nous sommes à un an d’une élection et ça va être une guerre incroyablement litigieuse. L’ADL [Anti-Defamation League] vient tout juste d’annoncer, et pour la cinquième année consécutive, que les crimes de haine sont en augmentation. C’est un phénomène qui persiste sans discontinuer et l’année prochaine, ça risque d’être vraiment la pagaille. L’approche qui apparaît dans le film est l’une des quelques approches qui fonctionnent.

Une image du documentaire ‘Healing From Hate’. (Crédit : Big Tent Productions)

Eh bien, la réplique du film qui m’a horrifié, c’est : « Pour arrêter le venin, il faut un anti-venin ». Le seul moyen de créer une véritable connexion avec un suprématiste blanc, c’est quelqu’un qui comprend profondément ces croyances. Je suis Juif ! Je ne peux pas dire à quelqu’un de ne pas être antisémite. Mais quelqu’un qui va dire « dans le passé, j’étais comme toi », c’est différent.

C’est la ligne suivie par Frank Meeink, ce type dont le film « American History X » s’est inspiré. Ces gars-là savent ce qu’il faut savoir parce qu’ils savent comment le recrutement s’effectue et cette manière dont l’attraction pour ces mouvements repose finalement rarement sur l’idéologie en tant que telle. Il s’agit habituellement d’un besoin d’identité pour un jeune, d’un sentiment d’appartenance, de dévouement à un dessein qui vous dépasse. L’adhésion à l’idéologie arrive après.

Sa description d’une morsure de cobra qu’il faut soigner est juste, parce qu’eux-mêmes ont effectué ce parcours. Tous ces gens, qui sont aujourd’hui plus âgés, faisaient ce travail de leur côté. Et c’est pour ça qu’ils ont créé cette organisation. Ils ont tous des anecdotes dures sur le moment où ils ont quitté le mouvement – ils racontent de longues périodes de solitude, des tentatives d’assassinat. Ils ont dû s’éloigner de tout. Il y a ce véritable débat sur la difficulté à réapprendre, alors qu’on vous a regardé comme un néo-nazi, comme un rien du tout, à se considérer autrement.

Tony McAleer, une autre personnalité déterminante, évoque la recherche du retour au sein de la communauté après avoir quitté le mouvement. Ça peut se passer dans un bar local ou ailleurs, quand on découvre son passé et que le propriétaire de l’établissement demande à ce qu’il ne revienne pas. Et ce sont des choses que les gens ne comprennent pas. Ces types-là quittent tout lorsqu’ils quittent le mouvement – leurs moyens d’existence, leurs identités. Il y a des parallèles à faire avec les réseaux de réinsertion pour la consommation de drogues et d’alcool.

Tony McAleer, suprématiste blanc repenti, parle avec des intervenants juifs et le public dans cette scène de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)

Avez-vous eu des retours de la part de personnes réticentes à seulement envisager la pensée du pardon ?

Bien sûr. Et il y a de nombreux groupes qui auront des problèmes avec ce film. Tout le monde ne croit pas au concept de la seconde chance, et tout le monde n’est pas capable de reconnaître une possibilité d’humanité chez autrui. Et je dois le dire, cela nous laisse un peu dans quelque chose de noir, de désespéré. Qu’il s’agisse d’un toxicomane, d’un membre de gang, d’un ancien condamné, si on exclut un secteur entier de ce qu’est l’humanité, alors on a vraiment des ennuis.

On trouve de l’humanité en soi quand on trouve de la compassion pour des gens qui ont pris de mauvaises décisions ou qui ont dû se battre pour découvrir ce qu’est leur identité. J’ai eu cette conversation hier avec quelqu’un sur les antifas et on se disait tous les deux : « Hé, quand j’avais une vingtaine d’années, que j’étais très actif et progressiste, j’aurais pu moi-même me trouver dans un groupe antifa ». Je ressentais beaucoup de colère et il fallait que je trouve quelque chose pour l’exprimer. Et ce n’est pas très différent, sur cet aspect très spécifiquement, avec ce qu’il se passe pour les membres du mouvement nationaliste blanc. Ils trouvent une identité et une appartenance en étant dans le groupe ; ils ont leur exutoire. Et je ne pense donc pas que le mouvement antifa soit l’antidote pour la haine et le racisme – il ne me semble pas que ce soit la solution.

Une image du documentaire ‘Healing From Hate’. (Crédit : Big Tent Productions)

On en revient au point précédent – quand vous avez mentionné l’alcoolisme. Votre film décrit la haine comme une addiction, comme un shoot d’héroïne. On en a besoin. La misère aime la compagnie. Je peux un peu le comprendre. Parfois, quand je n’ai pas le moral, je vais regarder un grand ponte que je déteste, comme Sean Hannity, juste pour me mettre en colère. Mais pourquoi diable est-ce que je fais ça ? D’où provient ce besoin psychologique ?

Nous avons tous de la colère en nous. Mais nous devons trouver des moyens créatifs et positifs de l’exprimer. La colère peut être importante. Nous devons entendre la colère – mais tout dépend de la manière dont nous allons agir dessus.

Certains disent qu’avec l’ascension des psychothérapies, nous avons intégré une culture consistant à la retourner vers nous-même avec une intention narcissique. Une grande partie de cette colère existentielle aurait peut-être pu trouver un exutoire dans un forum public, lorsque les syndicats étaient plus actifs, quand la politique se passait dans les rues – mais tout cela n’existe plus. Et je pense que ces exutoires qui existaient avant étaient bons, et qu’ils entraînaient un changement constructif.

Aujourd’hui, on s’installe pour regarder Fox News et se mettre en rogne devant la télévision, on crache peut-être quelque chose sur Facebook en pensant que ça fait partie du processus politique. Mais cela n’est pas le cas.

Concernant les addictions, j’ai travaillé avec des individus en réinsertion et il y a un modèle de « personnes, lieux et choses ». Ce sont des détonateurs en termes de comportement. Dans leur cas, on est alors amené à changer les personnes, les territoires et les choses – et c’est exactement le même phénomène avec les groupes de haine. C’est une question de communauté, du territoire où vous allez traîner avec eux, c’est la question de ce qui vous donne un sentiment d’appartenance. Il faut s’éloigner de tout ça.

Une image du documentaire ‘Healing From Hate’. (Crédit : Big Tent Productions)

Richard B. Spencer apparaît dans votre film. Une séquence tournée il n’y a pas longtemps, à un moment où il faisait une tentative de se montrer sous un angle « plus présentable ». Il portait de jolis costumes, il avait peut-être adouci son langage pour paraître raisonnable. Il a depuis été révélé qu’il était bien le nazi terrifiant qu’un grand nombre pensait. Quel a été le sentiment que vous avez eu lors de votre rencontre ?

Il est fascinant. Il incarne vraiment l’évolution de l’alt-right, il en est la figure de proue s’il en faut une. Dans le film, Tony McAleer évoque la transformation consistant à abandonner les Doc Martens, le crâne rasé et les agressions physiques pour endosser le costume, la cravate et aller se pavaner dans les talk-shows. Spencer est l’incarnation vivante de ce phénomène.

Et ça se raccorde beaucoup à Trump.

Absolument.

Votre film rend évident aux yeux d’un sceptique potentiel que, oui, peut-être, le président Trump peut bien ne pas être un raciste ou un antisémite lui-même mais qu’il est indéniable qu’un grand nombre de ses partisans le sont. Il reste stupéfiant que de nombreux membres de la communauté juive détournent encore le regard là-dessus. Ils disent : « Eh bien, il a transféré l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem » comme si ça suffisait à atténuer la passion que les néo-nazis nourrissent à son égard. Vous avez un commentaire à faire à ce sujet ?

Oui. Mais j’ai également de la réticence à entrer trop en profondeur là-dessus avec un média d’information israélien. Mais comme vous le soulignez à juste titre, il y a un conflit énorme avec les Juifs américains qui soutiennent Trump. Sans équivoque possible, Trump a montré des tendances racistes et il a été lent à condamner des activités antisémites. C’est perturbant.

Sans équivoque possible, Trump a montré des tendances racistes et il a été lent à condamner des activités antisémites

Mais il y a de la politique là-dedans. C’est manifeste, Trump est un ami de l’Etat d’Israël, d’un point de vue stratégique. C’est un paradoxe. Mais c’est ce qui est difficile avec ces questions, elles sont bourrées de paradoxes partout, et c’est la raison pour laquelle le fameux argument « Nous contre eux » est inutile. Rien dans la vie ni dans l’histoire n’est aussi simple.

Peter Hutchinson, réalisateur de ‘Healing From Hate.’ (Crédit : Big Tent Productions)

Vous n’êtes pas Juif, je me trompe pas ?

Non, vous ne vous trompez pas. Mais mon épouse est juive et mon fils l’est donc aussi.

Le film aborde également un autre point important : La prison en tant qu’incubateur. Un jeune peut se faire arrêter pour avoir volé des pièces automobiles, être placé en détention pendant plusieurs mois et finalement en sortir néo-nazi. Etes-vous au courant d’initiatives qui seraient prises pour tenter de mettre un terme à ce tribalisme à l’intérieur des prisons ?

Parler à ces types qui se trouvaient derrière les barreaux, ça m’a appris que c’est un phénomène très ancré et qu’on ne fait pas grand-chose pour y remédier. Un gars, dans le film, dit même que s’il finit, pour une raison ou une autre, par retourner en prison, il faudra bien qu’il qu’il trouve une protection. Que c’est comme ça qu’il devra survivre.

C’est la communauté, l’identité d’abord puis l’idéologie

C’est le lieu idéal pour le recrutement initial. Un autre type dit : « Je n’étais pas raciste avant d’entrer, j’avais des amis black à l’extérieur », il ajoute qu’il a dû s’associer avec des suprématistes blancs pour échapper aux pressions. Puis qu’il avait traîné avec eux, qu’il avait discuté et que finalement il s’était retrouvé à penser comme eux. L’idéologie arrive plus tard. C’est tellement important. C’est la communauté, l’identité d’abord, puis l’idéologie.

Une image du documentaire ‘Healing From Hate’. (Crédit : Big Tent Productions)

Et un si grand nombre de personnes dans votre film sont issues de foyers brisés ou ont été abusés pendant l’enfance.

Il s’agit majoritairement de jeunes, de personnalités vulnérables. Certains ont de la chance et trouvent leur voie, comme la musique ou le sport. Ça arrive tout le temps. Un adolescent « recherche les siens » et c’est comme ça qu’il tombe dans une organisation. Nous ne nous rendons pas service en ne tentant pas de faire preuve d’honnêteté à ce sujet. Parce que ça peut être n’importe quoi. Si la bonne personne se présente, l’adolescent peut même rejoindre un club où on joue aux échecs.

Cela peut sembler être une plaisanterie mais « suivez plutôt les Grateful Dead » ou « allez à la convention Star Trek »…

Absolument !

Puis, il y a bien sûr le plus grand – la religion.

Bien sûr.

Aller à l’église, aller au temple, aller dans une mosquée ou dans un ashram. En espérant seulement que le chef spirituel que vous choisirez n’est pas trop intolérant ou cela mènera encore, je le suppose, à un autre documentaire tout entier.

C’est un autre documentaire tout entier, oui.

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