Un photographe israélien capture à merveille la vie très particulière des juifs écossais
Pour le photographe Judah Passow, la communauté juive d'Ecosse n’est pas en train de disparaître. Elle s'adapte. Et ses photographies le prouvent

LONDRES — “Mon impression, c’est que tous ceux qui pensent que la communauté juive écossaise est sur le déclin ne savent pas de quoi ils parlent,” affirme Judah Passow, célèbre photojournaliste qui affirme : “C’est une communauté qui se réinvente”.
Passow sait de quoi il parle. Il vient de passer deux années à voyager à travers les villes et villages écossais, ainsi que dans les îles reculées du pays. Tout cela pour prendre en photo, et apprendre à connaître cette communauté juive bien particulière.
Le résultat : une exposition réjouissante qui capture la complexité et la diversité de la vie juive en Ecosse, et qui examine la capacité de la communauté à assumer son patrimoine, à vivre au présent et à construire son avenir.
Les photos de Passow transmettent un récit à la fois intime, festif et à certains moments inattendu : où on y croise un ‘nez’, spécialise en whisky appuyé sur un tonneau dans une distillerie de Fife, ou bien cette vieille femme rencontrée dans un restaurant casher à l’occasion d’une nuit de Burns Night, une fête annuelle organisée en commémoration à la vie et à l’oeuvre d’un poète écossais, Robert Burns, lors de laquelle se dégustent des produits et des boissons écossaises.
Et comme c’est souvent le cas avec le travail de Passow, les photos laissent le spectateur avide de connaître plus encore les histoires évoquées par les images.
L’exposition, intitulée “les Juifs écossais”, a été lancée il y a deux ans lors d’une réception au Parlement écossais. Depuis, elle a essaimé en Amérique, au Canada et en Europe de l’est. Elle est actuellement accueillie au Jewish Museum de Londres. Là, pour la première fois, les 80 photos numériques en noir et blanc sont projetées sur quatre larges écrans, et non plus présentées sous leur format imprimé.
Chaque écran affiche un groupe de 20 images qui ont été pré-assemblées et qui disparaissent et apparaissent en une transition continue.
“Les images ont été juxtaposées en raison de leur tension émotionnelle ou de leur « conversation visuelle », des images qui se parlent les unes aux autres au niveau photographique ou graphique”, explique Passow.
Alors que le Times of Israel l’a rencontré au musée, en amont de l’inauguration de l’événement, Passow indiquait qu’en plus d’éviter des attroupements autour des photographies exposées, les images projetées à l’écran ont un petit côté « spectaculaire ».
Un livre en anglais réunissant tous les clichés, intitulé “Scots Jews: Identity, Belonging and the Future” a également été publié.
Les Juifs sont présents en Ecosse depuis le début du 18e sicècle. les juifs écossais peuvent s’enorgueillir, selon le site Internet du projet, de la manière dont ils ont su « épouser la fabrique de la société écossaise, tout en sachant maintenir leurs traditions ».
Un recensement de la population juive, qui a été mené peu de temps avant que Passow ne commence à travailler son projet, a révélé que la communauté s’élevait à 7 000 personnes, la majorité vivant dans les villes Édimbourg et de Glasgow, les autres vivant dans des zones plus isolées. Certains estiment que la communauté avoisine plutôt les 5 800 âmes.
L’idée des « Juifs écossais » lui est venue parle biais d’un expatrié de Glasgow à Londres, un dénommé Michael Mail, qui a abordé Passow après avoir vu son exposition, en 2012, intitulée “No Place Like Home”.
Elle étudiait la signification d’être à la fois juif et Britannique au Royaume-Uni. Mail était désireux de créer un portrait pictural similaire de la vie juive en Ecosse. Passow s’est porté volontaire si Mail parvenait à financer le projet. Six mois plus tard, raconte Passow hilare « le téléphone sonne et Mail me dit : Quand pouvez-vous commencer ? ».

Passow, qui habite Londres, admet qu’il ne connaissait que peu l’Ecosse avant de s’embarquer dans le projet. Il ne s’y était rendu qu’une seule et unique fois depuis son déménagement des Etats-Unis vers le Royaume-Uni en 1978.
Né en Israël et après avoir étudié aux USA, il a travaillé sur des reportages pour des magazines américains et européens pendant plus de 35 ans. Il a remporté quatre prix au World Press Photo pour sa couverture du conflit au Moyen-Orient. Son travail a été publié et exposé dans le monde entier.
Les données du recensement se sont avérées essentielles dans la réalisation de ses recherches méticuleuses. « J’ai posé une grande carte de l’Ecosse sur le mur de mon bureau et j’ai commencé à faire des lignes et à poser des épingles là où il y avait des gens intéressants pour moi. Ce que je recherchais, c’était des gens intéressants qui faisaient des choses intéressantes », explique-t-il.
Son instinct journalistique et sa curiosité l’ont amené à rechercher la vie juive dans des endroits inattendus, comme cette infirmière sur l’île de Yell — l’île Shetland écossaise la plus au nord, qui, pointe-t-il sur la carte, se situe à plus grande proximité du cercle arctique que de Londres.

« Après avoir appris cela, j’ai été complètement excité. J’ai sorti immédiatement mon matériel”, raconte-t-il.
Il a également rencontré un photographe de paysages sur l’Ile de Skye.
“J’ai pensé que cette idée d’un photographe approchant l’autre pourrait être vraiment intéressante”, explique Passow. “Moi venant du photo-journalisme et lui vivant dans l’isolement total, photographiant le néant, les paysages… Qu’auraient donc à se dire ces deux photographes l’un à l’autre, pour mieux comprendre leur travail réciproque ?” Les deux hommes sont devenus depuis des amis proches.
Passow indique que toutes ses photos ont résulté d’au moins une journée, et dans la majorité des cas d’une semaine ou presque passée aux côtés de ses modèles. Parfois, il est parvenu à faire la photo qu’il voulait à un moment improbable, comme avec Dee, bergère dans les Highlands écossais. Il s’est arrangé pour rester avec elle pendant quatre jours mais il a obtenu le cliché qu’il recherchait seulement au bout d’une heure après son arrivée.

“Je suis arrivé là-bas en fin d’après-midi et, mes sacs posés, nous sommes descendus dans le champ pour ramener les moutons dans l’enclos”, dit-il. “Sur le chemin du retour, j’ai noté ce crépuscule écossais incroyable. Elle marchait vers moi, conversant, et j’ai soudainement [vu] qu’elle portait cette Etoile de David autour du cou et dans la lumière du soleil qui déclinait, juste un petit rayon venait illuminer le collier. J’ai pris mon appareil et j’ai fait l’un de ces clichés où tout est [simplement] à sa place. J’ai pris la photo et je me suis dit que ça pourrait bien fonctionner. »
‘Elle portait cette Etoile de David autour du cou et dans la lumière du soleil qui déclinait, juste un petit rayon venait éclairer le collier’
“Ce genre de photographie est, d’une certaine manière, presque un cliché visuel. Mais il est nécessaire », déclare Passow.
“J’ai accepté cela. J’ai été très conscient durant ces 18 mois que j’avais besoin de ces clés visuelles. Le défi était d’atténuer ce côté cliché et de l’inscrire dans une certaine forme de légitimité journalistique. Le fait est que j’avais besoin de photos qui incluent à la fois le kilt et la kippa !”
Il fait ici référence à la photo d‘un invité portant un kilt en tartan lors d’un mariage juif. « Il y avait également un joueur de cornemuse », dit-il, soulignant l’endroit où il se tenait, hors du cadre. Mais Passow a décidé de ne pas en faire trop et de ne pas l’inclure sur le cliché.
Malgré l’accès complet à la communauté dont Passow a bénéficié, il y a eu également des défis comme celui d’arriver quelque part sans avoir rien prévu à l’avance. Parmi ces lieux, Findhorn, une communauté spirituelle alternative sur la côte, formée d’un couple de Juifs. Après deux jours, il a reconnu ne pas avoir été touché, en tant que photographe, par ce qu’il y avait vu.
“Le voyage avait été long et j’en suis reparti les mains vides. Je commençais à être à la fois en colère contre moi-même pour avoir fait ce mauvais choix et frustré par le fait que j’avais perdu du temps et de l’argent du budget en me rendant là-bas”, explique-t-il.

Il a passé du temps avec le directeur de la galerie d’art de Findhorn, prenant des clichés qu’il qualifie d’ordinaires et très conventionnels. Ils étaient assis dans une pièce utilisée pour le dessin de modèles, avec un squelette mis à disposition de l’artiste. Son sujet a quitté soudainement la pièce pour répondre à un appel téléphonique mais à son retour, il devait passer devant le squelette.
“J’ai saisi mon appareil et j’ai attendu qu’il rentre. J’ai simplement appuyé sur le bouton déclencheur et j’avais la photo. Je savais à ce moment-là que si je rassemblais rapidement mes bagages, je pourrais probablement prendre le prochain train vers Inverness et me sortir de là ! » rit-il. « C’était comme essayer de faire couler de l’eau d’un rocher. Cela ne fonctionnait pas, tout simplement”.

Passow pense que l’un des facteurs ayant assuré la survie du peuple juif est “cette capacité fondamentale de réinvention”. « C’est ce qui survient actuellement au sein de la communauté écossaise juive, » ajoute-t-il.
“Nous cherchons constamment à nous interroger [en tant que Juifs] : Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ? Où sommes-nous ? Que devons-nous faire pour nous assurer que ceux que nous sommes et que ce que nous sommes soit cohérent avec l’époque à laquelle nous vivons. C’est fondamental pour le judaïsme. [En Ecosse ] il y a une nouvelle génération qui s’interroge sur elle-même : Quelle sorte de Juifs désirons-nous être ? “
Il a passé deux jours au sein du seul externat juif— Calderwood Lodge à Glasgow — où, selon Passow, environ 40 % des élèves sont musulmans en raison de la diminution des inscriptions des élèves juifs. Les parents musulmans sont pleinement conscients que leurs enfants suivront un programme juif et ils sont tous favorables à cette idée, explique-t-il. Son cliché de deux fillettes, une pakistanaise et l’autre juive, étudiant la Torah ensemble est particulièrement frappant.
“Leurs grand-parents n’auraient sûrement rien à faire les uns avec les autres”, ajoute-t-il.
Pour Passow, cette photo signifie l’avenir.
Passow a reçu l’autorisation de rejoindre un voyage scolaire à Amsterdam, dans le cadre du programme sur l’Holocauste développé par l’école, aux côtés d’élèves âgés de 11-12 ans. Il a produit, dit-il, l’une des photos les plus obsédantes, et l’une de ses préférées, du projet. Le cliché a été pris à l’issue de la visite de la maison d’Anne Frank et du musée éponyme. Les expressions faciales des enfants, à ce moment-là, témoignent d’un choc profond.
Mais l’impression globale qui persiste après l’exposition est celle d’une communauté juive à la fois vibrante et épanouie, estime Passow.
“Elle se sent bien”, témoigne-t-il. “Elle est très heureuse parce qu’elle est prospère, éduquée et bien établie. C’est comme le tartan. Les juifs se sont inextricablement tissés au cœur de la fabrique de la vie juive. [Mais] ils conservent une prise ferme sur le présent et un œil ouvert sur l’avenir.”
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