Un rabbin en deuil s’inspire de son fils otage assassiné à Gaza pour réclamer un accord
Avant son exécution, Ori Danino a aidé d’autres otages, dont Hersh Goldberg-Polin ; ses actes héroïques inspirent aujourd’hui son père dans son combat pour honorer sa mémoire

À sa libération des geôles du groupe terroriste palestinien du Hamas à la fin du mois dernier, Eliya Cohen a rencontré le rabbin Elhanan Danino, le père de l’otage assassiné Ori Danino, pour lui rapporter les conversations qu’il avait eues avec Ori dans les tunnels sous Gaza durant les premiers jours de leur captivité.
« Parler à Eliya a été un véritable choc », confie Danino. « C’était un moment très intense et très émouvant ; c’est le dernier témoignage que j’ai, à ce jour, de mon fils. »
Selon Cohen, les deux jeunes otages, tous deux dans la vingtaine, issus de familles religieuses de la région de Jérusalem et capturés au festival de musique Supernova, ont rapidement noué un lien.
« Eliya m’a raconté qu’Ori était assis sur le sol du tunnel. En voyant [Hersh Goldberg-Polin], il lui a dit : ‘Viens ici, viens t’asseoir à côté de moi’, et c’est ce qu’il a fait », se souvient Danino.
Durant les premiers jours de captivité dans les tunnels, Eliya a été témoin du courage d’Ori, qui, bien que lui-même blessé à l’épaule par une balle, protégeait courageusement son compagnon de captivité blessé, Hersh, dont la partie inférieure du bras gauche dominant avait été arrachée [par une grenade lancée dans l’abri où il se trouvait par les terroristes du Hamas] avant qu’il ne soit pris en otage.
« Ori s’est battu avec les terroristes du Hamas », raconte Cohen. « Il a crié, hurlé, exigeant qu’ils fournissent des soins médicaux à Hersh. »

« Eliya m’a dit que dans les tunnels, Ori savait qu’il ne reviendrait jamais », confie Danino. « Mais il savait qu’il devait essayer de sauver Hersh. »
Ori et Goldberg-Polin ont été exécutés en même temps que Carmel Gat, Eden Yerushalmi, Almog Sarusi et Alex Lubanov dans un tunnel à Gaza. Leurs dépouilles ont été retrouvées par Tsahal le 31 août.
Aujourd’hui, Danino s’efforce d’honorer la mémoire de son fils en lui dédiant un rouleau de Torah et en menant d’autres actions qu’il estime conformes aux valeurs d’Ori. Il représente également les familles dont les proches sont toujours retenus en otage à Gaza, prenant régulièrement la parole lors de rassemblements, de manifestations et à la Knesset.
Pendant les dix mois de captivité d’Ori, Danino, son ex-femme Einav et leurs quatre autres enfants ont choisi de rester en retrait, évitant les projecteurs. À 25 ans, Ori Danino était un soldat de carrière ayant choisi de poursuivre son engagement au sein de l’armée après son service obligatoire. Les Danino faisaient donc partie du groupe des familles d’otages dont les proches sont des soldats. Au début de leur combat pour obtenir la libération des otages, ils ont opté pour la discrétion, craignant qu’une trop grande médiatisation de leur statut militaire ne mette davantage leurs proches en danger.
Lorsqu’Ori et les cinq autres otages ont été exécutés par leurs ravisseurs du Hamas, Danino a exprimé sa colère contre Benjamin Netanyahu lorsque ce dernier lui a présenté ses condoléances.
« Tout s’est passé sous votre mandat », lui a dit Danino. « Mon fils a été assassiné dans un tunnel que vous avez laissé construire sous votre responsabilité. »

Depuis, Danino considère que son engagement public est un devoir envers son fils, un prolongement du courage d’Ori.
Ori avait réussi à fuir le massacre du festival Nova en montant dans une voiture, mais il était retourné sur les lieux pour secourir Omer Shem Tov, Maya Regev et Itay Regev. Tous les quatre avaient ensuite été enlevés ; les frère et sœur Regev ont été libérés en novembre 2023 et Omer Shem Tov, le 22 février 2025.
« Si mon fils s’est jeté dans la gueule du loup pour sauver des Juifs, comment pourrais-je ne pas me lever de ma chaise pour aider ceux qui sont en captivité ? » déclare Danino. « Mon fils m’y oblige. J’ai vécu cette situation pendant 330 jours. Je sais ce qu’ils ressentent, matin et soir, à chaque instant. Ils n’ont plus rien à donner. »
Danino a ajouté que son rôle était également de représenter la voix religieuse dans la lutte pour les otages.
« Je ne suis pas toujours à l’aise avec ça, mais j’ai l’impression d’être la seule voix religieuse », confie Danino. Plus particulièrement à la Knesset, où les familles des otages et leurs sympathisants se réunissent chaque lundi.
Danino s’adresse directement aux dirigeants haredim, qui le perçoivent souvent comme l’un des leurs.
« Je leur dis : ‘Ne restez pas les bras croisés’ », explique-t-il, citant la Torah. « ‘Des gens se font assassiner là-bas, et quoi, rien ?’ Plus de cinq cents jours ont passé, ‘et vous n’avez pas tapé sur la table pour que ça s’arrête ?’ »

Danino connaît bien les rouages de la Knesset, car il a été impliqué dans le parti ultra-orthodoxe Shas jusqu’à il y a une quinzaine d’années. Puis, il a décidé qu’il ne pouvait plus concilier politique et intégrité personnelle, tout en voulant être un exemple pour ses enfants. À cette époque, le Shas était en proie à des dissensions internes et à des scandales judiciaires, notamment des accusations de détournement de fonds et des condamnations pénales visant certains de ses dirigeants.
Aujourd’hui, Danino est de retour au Parlement, déterminé à obtenir un accord sur les otages et à ramener tous les captifs à la maison.
« C’est de la folie », s’indigne-t-il. « Ils veulent faire passer pour normal qu’il y ait des otages à Gaza. Il y a des gens bien [à la Knesset], mais la plupart ont abandonné leur cœur à l’entrée. »
Farouchement opposé à l’idée d’une libération progressive et prolongée, alors que 24 des 59 otages encore détenus à Gaza sont présumés vivants. Il veut que tout le monde sorte, tout de suite.
« Des phases ? Vous vous moquez de moi ? A-t-on le temps pour des phases ? Vous avez vu [l’otage libéré Eli] Sharabi ? fulmine Danino. « Je l’ai vu, je l’ai rencontré en personne. Je ne souhaite cela à personne. C’est ce que nous avons vu il y a 80 ans lors de la Shoah. »
L’histoire derrière l’histoire
La famille Danino vit à Ramot, une enclave majoritairement orthodoxe située à l’extrémité nord de Jérusalem. Depuis son divorce, Danino réside dans un modeste appartement, où les murs sont ornés d’objets judaïques et de photos de ses cinq enfants. Parmi elles, une photo d’Ori lors de sa bar-mitsva aux côtés du rabbin Ovadia Yosef, défunt chef spirituel de longue date du Shas. Ses deux plus jeunes enfants, Aharon, 16 ans, et Hodaya, presque 12 ans, partagent leur temps entre les domiciles de leurs parents.
Hodaya, la benjamine et unique fille de la fratrie, a reçu un chien l’an dernier. Un cadeau destiné à l’aider à surmonter la captivité et l’assassinat d’Ori.
Danino tente de rester serein, en particulier lorsque ses trois fils aînés font des choix différents concernant leur pratique religieuse.

Ori n’était pas pratiquant, mais cela ne posait aucun problème à son père.
« Je ne suis pas l’avocat de Dieu », explique Danino. « Tous mes enfants restent mes enfants, quelles que soient leurs décisions. Chacun fait ce qui est bon pour lui. »
Il n’a pas été surpris lorsqu’Ori a voulu s’engager dans l’armée ; lui-même avait fait ce choix, malgré son éducation dans un foyer ultra-orthodoxe, où faire son service militaire est exceptionnel.
« Ori voulait être dans l’armée, c’était tout ce qu’il désirait. Il disait que c’était sa carrière, sa façon de servir le peuple juif. »
L’aîné, Ori, parlait souvent au nom de ses frères et de sa sœur, raconte Danino.
« Je n’intervenais pas, je signais simplement les chèques », plaisante-t-il. « Ori comprenait leur monde. Je n’ai ni Instagram, ni Facebook, ni TikTok ; lui pouvait leur parler à leur niveau. »
C’est l’un des soldats d’Ori qui l’a invité au festival Nova, qui se tenait le Shabbat et qu’Ori n’avait pas mentionné à son père lorsqu’ils s’étaient appelés la veille.
Danino n’a pas été surpris d’apprendre que son fils était retourné sur les lieux du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, pour tenter de sauver trois autres festivaliers qu’il avait rencontrés à la rave.
« Son instinct le poussait à aider les autres », confie Danino. « Je lui disais toujours : ‘Quoi, le monde entier repose sur tes épaules ? Toute l’armée ?’ Il me répondait : ‘Papa, j’ai de la force et des capacités, et s’ils se tournent vers moi, c’est qu’il leur manque l’une d’elles. Je peux leur apporter ce qu’il leur faut. C’est ce que je fais.’ »
« C’était un homme qui se donnait aux autres », poursuit-il. « Il passait toujours les autres avant lui. Il me disait qu’il savait prendre soin de lui. »
Il y a quelques années, Ori avait dit à son père qu’il considérerait comme un honneur de mourir pour l’État d’Israël.
« Il m’a dit : ‘Quand tu vas au travail, tu vas dans un bureau. À l’armée, on va à la guerre. Je ne resterai pas dans un bureau, je serai en première ligne.’ », se souvient Danino. « Je suis sûr qu’il sourit de là-haut. J’espère simplement que je fais ce qu’il aurait aimé que je fasse. »
Ce que l’avenir pourrait réserver
L’un des projets de Danino concerne les adolescents haredim (et leurs parents) qui ne souhaitent pas étudier la Torah toute la journée. Il les accompagne dans leur orientation et les informe notamment sur la possibilité de servir dans l’armée, un sujet controversé au sein de la communauté orthodoxe.
Danino repense aux choix qu’Ori a faits à l’adolescence, lorsqu’il fréquentait un lycée haredi, où beaucoup de ses camarades ont également fini par s’engager dans des unités de combat.
« Si Ori a pu le faire, ils le peuvent aussi », affirme-t-il. « Ori n’était pas Samson. Il avait l’esprit et nous lui avons apporté notre soutien ; il savait que sa famille était toujours derrière lui. »
Aujourd’hui, Danino dit prier chaque matin pour qu’Ori l’oriente et lui montre ce qu’il attend de son père.
« Je m’étais mis en retrait, et c’est là que je voulais rester », explique Danino. « Mais mon fils m’emmène vers un endroit semblable à celui où il a vécu, pour me faire voir l’autre réalité. »
Il compare cette prise de conscience à l’amitié qui, il le sait aujourd’hui, est née en captivité entre Ori et Goldberg-Polin.
« Regardez-les », dit-il. « [Supporters d’équipes de football rivales] Beitar et Hapoel, Israélien et Américain. Eliya m’a dit qu’il n’avait pas quitté Hersh un seul instant. Eliya l’a vu. Mon fils s’est battu et je poursuivrai son chemin. »

Danino rend hommage à sa foi et à ses 49 années de pratique religieuse, qui l’ont aidé à traverser les mois de captivité d’Ori et la période de deuil qui s’en est suivie.
« Les 11 premiers mois où il a été otage ont été les plus difficiles, c’était avoir un cancer pour lequel il existe un traitement mais auquel on ne peut pas accéder. »
« Si j’avais été plus jeune, je ne suis pas sûr que j’aurais pu l’accepter », a expliqué Danino. « Les 11 premiers mois durant lesquels il était otage, ont été la chose la plus difficile que l’on puisse imaginer, un peu comme un cancer pour lequel il existe un traitement mais auquel on n’a pas accès. »
Savoir qu’Ori a été exécuté et qu’il ne reviendra jamais a déclenché une prise de conscience brutale. Cela lui a donné la liberté de s’exprimer et de dire des choses difficiles au Premier ministre.
Danino dit qu’il puise sa force dans ses amis et dans le groupe de parents d’otages dont les enfants étaient soldats lorsqu’ils ont été capturés. Ce groupe reflète la diversité de la société israélienne, rassemblant Bédouins, Haredim, ultra-orthodoxes, laïcs, libéraux et Israéliens de droite. Ils se retrouvent toutes les deux semaines pour dîner et partager leur vécu.
« Ce sont mes concitoyens », affirme-t-il. « Je serai avec eux jusqu’à la fin de ma vie. »
Pour lui, cette unité est primordiale et il espère que l’ensemble de la population israélienne en prendra conscience.
« Nous sommes d’accord sur 90 % des questions. Le reste, nous pouvons en discuter », dit-il.

Danino est également tombé amoureux récemment d’une femme qui lui avait envoyé une gravure qu’elle avait faite du visage d’Ori. Cette esquisse, désormais accrochée au mur de son appartement, a marqué le début d’une relation qui, en ces mois de deuil, s’est révélée être une bénédiction imprévue.
Rien ne sera plus jamais comme avant, a déclaré Danino.
« Avec la disparition de mon fils, je ne veux pas que ma vie continue comme avant. Je veux que ma vie continue, mais avec le sentiment de la présence de mon fils », a-t-il déclaré. « Je ne veux pas vivre dans la tristesse, mais chaque jour, il me manque quelque chose. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel