Une campagne israélienne achète des parcelles de forêts pour les sauver
Uri Shanas a créé une plateforme à la disposition de ceux qui veulent aider l'environnement, en leur permettant de participer à l'achat de parcelles de terres menacées
Les mauvaises nouvelles qui tombent constamment sur l’environnement peuvent être paralysantes et la multiplicité des « Journées mondiales » pour chaque animal et chaque sujet possible et imaginable peut être déroutante et étouffante.
Il est difficile de savoir par où commencer pour faire sa part afin de préserver la faune et la flore.
Tel était le sentiment d’Uri Shanas, qui a obtenu un doctorat en zoologie à l’université de Tel Aviv, a effectué un stage postdoctoral à l’université de Columbia et a ensuite rejoint le département de biologie et d’environnement de l’université de Haïfa-Oranim.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Il y a environ 20 ans, j’ai commencé à donner un cours sur la préservation de la nature », a-t-il déclaré au Times of Israël à l’approche de la Journée mondiale de l’environnement des Nations unies, vendredi.
« Année après année, j’ai enseigné ce cours et quand on enseigne, on comprend aussi mieux. J’ai été choqué par le rythme de l’extinction et à un moment donné, j’ai commencé à me dire qu’il n’était pas logique que j’enseigne sans rien faire. »
Le résultat, bien des années plus tard, a été TIME – This Is My Earth – qui, à la connaissance d’Uri Shanas, est la première organisation internationale, démocratique, bénévole, financée de façon participative et à but non lucratif, visant à acheter des terres où la biodiversité est riche mais où les risques de disparition sont imminents.
Il en coûte au minimum un dollar par an pour adhérer à l’organisation et pour pouvoir voter sur les habitats menacés à sauver.
Les particuliers et les organisations étrangères qui souhaitent acquérir des terres pour la préservation de l’environnement doivent remplir des formulaires détaillés et se soumettre à un examen approfondi par un conseil consultatif scientifique composé d’experts internationaux.
Chaque année, trois projets sont mis en ligne sur le site web de TIME pour faire l’objet d’un vote. Chaque votant a le même poids, quel que soit le montant de sa contribution. L’argent collecté est ensuite réparti, au prorata, entre les projets, en fonction de la proportion de votes, mais si l’argent collecté n’est pas suffisant pour acheter des terrains pour les projets les moins populaires, il est soit attendu que la somme minimale soit atteinte, soit mis dans le pot pour une initiative choisie par la majorité.
La première campagne, en 2016, a permis de récolter plus de 30 000 dollars (26 500 euros) pour un terrain de 66 hectares dans la forêt péruvienne d’El Toro, en Amazonie, où vit le singe laineux à queue jaune, en danger critique d’extinction. La parcelle forme un corridor biologique naturel entre les zones protégées, ce qui permet aux créatures de se déplacer d’une zone à l’autre et réduit la fragmentation de la forêt.
En 2017, 17 000 dollars (15 000 euros) ont été alloués à l’achat d’une zone de terre, également en Amazonie péruvienne, qui était menacée par des bûcherons, des chasseurs et des squatteurs illégaux. Richement diversifiée, elle abrite également de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères rares, endémiques (n’existant que là-bas) et menacées, dont le colibri royal ange-soleil et le singe-araignée à front blanc, en voie de disparition, l’ours à lunettes, vulnérable, et le jaguar, quasi-menacé. (Les statuts proviennent de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’autorité mondiale en la matière.)
En 2018, l’organisation a dépensé 30 000 dollars pour deux hectares de l’atoll de Turneffe au Belize, un foyer écologique mondial pour la biodiversité marine.
Et l’année dernière, l’organisation a permis l’achat de 35 hectares dans la vallée du Magdalena en Colombie, menacée par la déforestation causée par l’élevage du bétail. Cette zone fournit des habitats à environ 20 % des oiseaux colombiens ainsi qu’à de nombreuses autres créatures telles que le singe-araignée marron, en danger critique d’extinction, et la tortue du fleuve Magdalena.
Cette année, les membres sont appelés à voter sur deux projets au Kenya et un au Brésil.
L’organisation Wildlife Clubs of Kenya veut acheter pour 196 027 dollars (173 480 euros) de terres au pied du Mont Longonot, qui sont principalement menacées par l’expansion agricole. Les éleveurs masaï vendent des terres dans la région à de petits agriculteurs, qui coupent la végétation pour l’agriculture et s’établir. La faune de la région comprend des hippopotames, des ongulés tels que les gazelles de Thomson, des léopards et des guépards.
Nature Kenya – la Société d’histoire naturelle d’Afrique de l’Est – demande elle au moins 40 600 dollars (36 000 euros) pour acheter des terres dans la forêt de Dakatcha, un refuge pour de nombreuses espèces menacées que l’on ne trouve que dans une poignée d’autres sites. Il s’agit de l’un des deux endroits au monde où vit le tisserin de Clarke.
Parallèlement, l’Instituto Uiraçu cherche à obtenir un minimum de 56 624 dollars (50 000 euros) pour acheter une parcelle dans la Serra Bonita, qui fait partie de la forêt atlantique, le biome le plus menacé du Brésil et le deuxième site écologique le plus menacé du monde. Sur les 633 espèces animales menacées au Brésil, 383 se trouvent dans la forêt atlantique. Parmi les habitants de Serra Bonita, on trouve le capucin à tête chamoisée, en danger critique d’extinction, le tamarin-lion à tête dorée, en danger, le vulnérable titi à mains noires et le vulnérable ouistiti de Wied.
L’une des principales caractéristiques de l’organisation est que les terres sont achetées au nom des populations ou des organisations locales, selon l’idée que le succès à long terme dépend de la participation des personnes vivant dans et autour des forêts. La section de la forêt d’El Toro, par exemple, a été achetée, avec l’aide de TIME, en 2016 par deux agriculteurs locaux, membres d’une communauté de La Esperanza qui travaille en étroite collaboration avec les partenaires de TIME à l’Asociación Neotropical Primate Conservation Perú.
Les agriculteurs travaillent sur une partie des terres qui ont déjà été déboisées tout en gardant la totalité de la parcelle. Un accord de conservation garantit qu’il n’y aura plus d’exploitation forestière, et les résidents locaux surveillent et patrouillent les terres.
Un militant écologiste de longue date
En plus d’être chercheur et enseignant universitaire, M. Shanas est depuis longtemps un militant de l’environnement. Il a co-fondé l’organisation de défense de l’environnement Adam Teva V’Din, a dirigé la campagne contre l’autoroute qui est devenue la Route 6 et a joué un rôle central dans la bataille pour la protection de la dune de Samar dans le sud du désert d’Arava en Israël, où il effectue régulièrement des recherches avec ses étudiants, en collaboration avec l’Institut d’études environnementales d’Arava.
« Nous avons fait campagne pendant huit ans pour sauver les dunes de l’extraction commerciale du sable et nous avons perdu. Puis un jour, j’ai emmené [le directeur de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs ou INPA] Shaul Goldstein dans les dunes. Les camions venaient déjà pour enlever le sable. Et j’ai soudain dit à Shaul : ‘Je vais acheter le sable au sous-traitant’, et il m’a regardé comme si j’étais fou. Beaucoup plus tard, il m’a dit qu’il était retourné à son bureau et s’était demandé pourquoi je devrais acheter le sable alors que lui, en tant que directeur de l’INPA, pouvait le faire. »
« Il a payé le sous-traitant, a obtenu de l’Autorité des terres israéliennes qu’elle accepte de sauver l’endroit, et il est en passe de devenir une réserve naturelle. Je lui ai donné une idée, et ce que nous n’avons pas réussi à faire en huit ans, il a réussi à le faire en deux mois. »
Uri Shanas avait commencé à rêver bien avant d’avoir l’idée d’acheter la dune de Samar. « Je me suis demandé quel serait mon plus grand rêve, et la réponse a été de sauver toutes les forêts du monde. Évidemment, je ne pouvais pas toutes les acheter moi-même. Je me suis dit qu’il devait y avoir suffisamment d’autres personnes qui s’en soucient, et peut-être que nous pourrions faire cela ensemble. »
« Je ne savais pas par où commencer, mais je savais qu’il y avait des sites importants où la biodiversité est riche, mais où les menaces sont imminentes. »
« J’ai réalisé que les foyers de biodiversité occupent 2,3 % de la surface terrestre du monde, et que plus de 50 % d’entre eux sont aux mains de particuliers. Je n’ai pas pu sauver toute la terre, alors j’ai dit : commençons par là. »
Il a fallu des années à l’écologiste pour trouver ce qu’il voulait faire, dans la mesure où il fallait que le projet soit différent de toutes les organisations qu’il connaissait. Selon lui, ces dernières ont échoué, dans la mesure où les forêts continuent à disparaitre – l’année dernière, la superficie de forêt tropicale qui a disparu représentait la taille de la Suisse.
« Je voulais une organisation où chacun pourrait être impliqué, dès son plus jeune âge, sentir qu’il ou elle pouvait faire quelque chose et avoir le sentiment de réussir et pouvoir dire : ‘Waouh, grâce à moi, nous avons sauvé ce singe ou cette forêt' », a-t-il dit.
« Et je voulais que tous les enfants qui venaient à TIME sachent que je ne voulais pas seulement leur argent mais aussi leurs décisions, leur participation. »
« Je voulais que chaque enfant sache qu’il ou elle est aussi important que Bill Gates quand il s’agit de leur contribution. »
« Nous sommes dans une période où la démocratie n’est plus ce qu’elle était. Nous devons enseigner aux enfants les bases de la démocratie et son fonctionnement. »
Lorsque le programme TIME est présenté dans les écoles, les classes sont divisées en trois groupes, chacun prenant un projet qui a besoin d’être soutenu, l’étudiant en profondeur et essayant ensuite de convaincre les autres de voter pour lui.
Actuellement, TIME est entièrement géré par des bénévoles « afin qu’un enfant qui donne de l’argent de poche, ou mon fils qui a donné l’argent de sa bar mitzvah, sache que cet argent ne sert pas à la promotion ou aux salaires, mais 100 % à sauver des terres », explique M. Shanas.
Cela limite inévitablement l’impact de l’organisation. À ce jour, TIME compte environ 5 000 membres – dont probablement la moitié sont Israéliens – et implique quelques poignées d’écoles.
Une première section de TIME a récemment ouvert ses portes au Queens College de la City University de New York et, mardi, elle a organisé son premier événement – une conférence via Zoom par Nick Haddad, membre du conseil consultatif scientifique de TIME.
Mais pour avoir un grand impact, l’organisation doit se développer et employer du personnel, et pour cela, Uri Shanas aura besoin du soutien non pas des citoyens, mais des principaux donateurs.
Interrogé sur la raison pour laquelle il pensait que les gens à Tel Aviv, Londres ou New York ressentiraient le besoin de sauver un singe à l’autre bout du monde, M. Shanas répond : « C’est beaucoup plus facile à expliquer aujourd’hui, après qu’un morceau d’ARN provenant de quelque part en Chine a réussi à paralyser le monde. »
« Ce qui se passe au loin a un impact sur nous. L’augmentation des maladies qui proviennent des animaux a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années, et l’une des raisons est notre destruction de l’environnement, qui nous apporte les maladies. »
Il ajoute : « Un enfant qui donne un dollar pour acheter un terrain dans un site important contribue à empêcher 175 kilogrammes de dioxyde de carbone de se retrouver dans l’atmosphère. Cet arbre en Colombie affecte nos vies et notre survie, en particulier dans un endroit comme Israël, qui se réchauffe plus rapidement que d’autres parties du monde. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel