Une expo sur la nourriture et l’humour juifs recrée l’ambiance de la « Boscht Belt »
Présenté au Borscht Belt Museum d'Ellenville jusqu'en novembre, "And Such Small Portions !" reflète une époque révolue où les invités trouvaient du réconfort dans la nourriture, les rires et les relations humaines
New York Jewish Week — « Nous avons passé notre lune de miel au Kutsher’s à la fin du mois d’octobre 1968 », se souvient Barbara Gelman dans un témoignage pour le Borscht Belt Museum. « Lorsque nous avons commandé le dîner, la serveuse a énuméré tous les desserts et mon nouveau mari a simplement dit ‘oui' ».
Le témoignage de Mme Gelman, qui fait partie d’une nouvelle exposition au musée d’Ellenville, dans l’État de New York, résume toute une culture juive en moins de 30 mots. Le complexe Kutsher’s était l’un des hôtels juifs les plus connus des Catskills, la région du nord de l’État de New York qui a prospéré en tant que lieu de villégiature pour les Juifs américains au début du 20e siècle et jusqu’aux années 1970.
Et si les Catskills représentent beaucoup de choses, cette région représente aussi deux choses importantes : la nourriture et l’humour. Les deux étaient présents en abondance : des tas de plats, pour la plupart ashkénazes, et des tas de divertissements ancrés dans le yiddish et une attitude urbaine qui apprenait à se détendre dans l’air de la montagne.
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Ces deux éléments ont été intégrés dans l’exposition « And Such Small Portions ! Food and Comedy in the Catskills Resort Era », ouverte jusqu’en novembre 2024. L’exposition tire son nom d’une blague emblématique (nous y reviendrons) et son inspiration du surnom de la région. Sa pièce maîtresse est une immense sculpture d’un bol de bortsch réalisée par l’artiste Robin Schwartzman, qui trône dans une petite galerie entourée de photomontages des salles à manger autrefois grandioses des hôtels, de portraits d’humoristes comme Jerry Lewis et Joan Rivers, et même d’une image de l’une des centaines de familles d’agriculteur juifs qui ont contribué à faire des comtés de Sullivan et d’Ulster une destination de vacances très prisée.
Les conservateurs sont fiers de la reconstitution de l’intérieur d’un bungalow des années 1950, avec ses boiseries, ses appareils électroménagers et ses documents d’époque, sauvés par l’archiviste du musée, ainsi que de la reconstitution d’une chambre de l’hôtel Kutsher’s des années 1970, aménagée dans une palette de couleurs datées de verts et de jaunes.
Et des menus – des tas de menus. Le menu d’un dîner chez Kutsher’s peut proposer jusqu’à 11 « plats principaux », des classiques juifs comme le plat de côte bouilli et le ragout de poitrine de bœuf à des plats plus exotiques comme le poulet cacciatore et les « côtes de bœuf de première qualité barbacuées [sic], mandarine ». Parmi les hors-d’œuvre, on trouve le « poisson d’eau douce farci au raifort de betterave rouge », qui ressemble étrangement à du gefilte fish. Pour le dessert, il y avait du strudel aux pommes, des « nœuds papillon en sucre », du sorbet aux fruits et de la gelée de framboise.
Je me souviens vaguement de ces choix lorsque mes parents nous emmenaient dans l’un des hôtels de la Borscht Belt, généralement en hiver. Je me souviens que le serveur proposait un choix de poulet, de bœuf ou de poisson, et que les plus avisés, comme le mari de Gelman disaient : « Je vais tous les essayer. » Et le serveur s’exécutait.
Ce genre d’excès a été à la fois tourné en dérision et célébré dans la blague qui donne son titre à l’exposition. Les conservateurs – Debra Schmidt Bach, Steven H. Jaffe et Mackensie Griffin – ont retrouvé la trace d’un recueil de chansons et d’histoires datant de 1927 et intitulé « Bronx Ballads », bien que Woody Allen en ait proposé une version beaucoup plus dépouillée dans son film « Annie Hall », sorti en 1977 : Deux femmes âgées se trouvent dans une station de montagne de Catskill, et l’une d’elles dit : « Bon sang, la nourriture dans cet endroit est vraiment horrible », ce à quoi l’autre répond : « Oui, je sais, et les portions sont si petites ».
D’une certaine manière, ce sentiment d’injustice et l’idée que tout était dû n’étaient pas des sujets de plaisanterie pour la génération qui avait vécu la Grande Dépression et la Shoah, explique Jaffe, un historien qui a également organisé des expositions au musée de la ville de New York.
« Les gens qui font des réserves de nourriture alors qu’ils n’en ont pas vraiment besoin, c’est quelque chose que nous aurions qualifié de névrotique, n’est-ce pas ? Mais il s’agit d’un trait culturel ou d’un trope culturel », m’a-t-il expliqué lors d’une interview réalisée sur Zoom, en collaboration avec Bach. « Des historiens comme Jonathan Sarna se sont penchés sur la peur d’avoir faim : une fois que l’on s’en est sortis, même si l’on vit sur Grand Concourse [dans le Bronx] et que l’on possède un petit atelier de confection, on a toujours cette impression, propre aux immigrés, qu’il n’y a jamais trop de nourriture. »
Et comme le dit le vieil adage, quand on ajoute du temps à la tragédie, on obtient de la comédie. « Une grande partie de la comédie est liée à l’inconfort, à la colère, à la frustration ou à l’anxiété », a déclaré Jaffe. L’exposition comprend une phrase de Joan Rivers : « Nous portons tous le deuil à notre manière. Je pleure avec un bon steak. » Il s’agit d’une blague sur l’appétit, mais aussi une façon de dire que « bien vivre est la meilleure des vengeances ».
Bach, conservatrice des arts décoratifs à la New-York Historical Society, connaît bien le lien entre les Catskills, la nourriture et l’humour : ses grands-parents possédaient et géraient le Grand Hotel, un centre de villégiature casher à Parksville, dans l’État de New York.
« Tout ce qui avait trait à la nourriture chez mes grands-parents était imprégné de comédie d’une manière ou d’une autre », se souvient-elle. « D’habitude, il s’agissait simplement d’un va-et-vient pour sortir les repas. Mais cela faisait tellement partie de la culture que même quand j’étais petite, j’en étais très consciente. »
Ses grands-parents insistaient pour que « personne ne parte le ventre vide », dit-elle. « Ils voulaient que les gens soient heureux et s’amusent, et cela s’appliquait aussi à la façon dont la nourriture était servie. Tout était empreint d’humour ».
Cet humour est devenu aussi étroitement lié aux « montagnes » qu’à la nourriture. Un portrait de Danny Kaye figure sur un mur de « Legacies ». Il rappelle que l’acteur comique juif, comme un grand nombre d’autres comiques, a commencé comme « tummler » dans les Catskills – une fonction qui conjuguait les rôle de maître de cérémonie et de directeur social dont le travail consistait, selon Jaffe, à empêcher les invités de rentrer chez eux dans le Bronx les jours de pluie.
La petite exposition, située dans une partie de l’ancien bâtiment de la banque que le musée, créé il y a un an, espère transformer en un dépôt grandeur nature de tout ce qui concerne la Borscht Belt, présente diverses images et objets associant le culinaire et le comique. Un bidon de lait évoque les fermiers juifs qui ont fini par convertir leurs maisons et leurs granges en auberges et en pensions pour les Juifs qui voulaient échapper à la chaleur de la ville pendant l’été. Certains produits d’épicerie évoquent l’époque : Café Savarin, fromage blanc Breakstone. Il y a même un bencher – un livret contenant le prières de grâce que l’on réciter après les repas – provenant du regretté Tamarack Lodge.
Le livret évoque la diversité des montagnes, qui ont attiré des juifs de tous les horizons religieux et idéologiques. Les deux conservateurs de l’exposition ont fait remarquer que la troisième section de l’exposition s’intitule « Choix, choix », ce qui fait référence non seulement à la variété de la nourriture, mais aussi à la diversité des invités.
« Je ne sais pas s’il existe un endroit comparable où les laïcs et les religieux, peu importe, pourraient se réunir », a déclaré Bach. « C’est ce qui distingue les Catskills de l’appartenance à une synagogue. Vous rencontrez toute sortes de personnes qui sont juives, qui ne sont peut-être pas religieuses, mais le lien culturel et ethnique est bien là ».
Le musée espère célébrer ce lien avec sa deuxième édition du « Borscht Belt Fest », un événement de trois jours proposant des spectacles comiques, des conférences et des visites du musée. Lors de la soirée d’ouverture, le vendredi 26 juillet, un dîner intitulé « Dine Like It’s 1968 » proposait des plats inspirés d’un menu de 1968 de l’hôtel Waldemere de Livingston Manor, dans l’État de New York.
En discutant avec les conservateurs, j’ai pensé à d’autres liens entre la nourriture juive et la comédie juive, en particulier au milieu du 20e siècle. Pour les clients du Kutsher’s, du Concord, du Nevele et du Grossinger’s, les montagnes représentaient une évasion de la ville, mais aussi une évasion dans leur zone de confort. La nourriture d’Europe de l’Est, tout comme les plaisanteries aux accents yiddish, était heimish, c’est-à-dire familière, et casher, même dans les hôtels où elle ne l’était techniquement pas. Il n’était pas nécessaire de faire des concessions à ses voisins ou clients non juifs, mais on pouvait se délecter du schmaltz et des blagues. À une époque où l’antisémitisme était institutionnel, où d’autres hôtels des Catskills interdisaient l’accès aux Juifs, la Borscht Belt offrait aux Juifs un ventre plein et des rires à gorge déployée, selon leurs propres termes.
« Ce n’est pas tout à fait le shtetl », a décrit Jaffe, « mais vous sortez de votre quartier, vous rencontrez de nouvelles personnes et vous le faites avec un sentiment de liberté ».
« Et pas trop loin », ajoute Bach. « Il n’y avait vraiment que 90 minutes de trajet depuis la ville. »
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de JTA ou de sa société mère, 70 Faces Media.
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