Une gradée de l’unité 8200 de Tsahal brise les tabous de l’amour libre
Si certains militaires d'élite lancent des startups de plusieurs milliards de dollars, Shir Talor est une pionnière du poly-amour qui a un espace de câlins à rendre jaloux
A deux pas des magasins de houmous et des coiffeurs, dans le centre de Pardes Hannah, se trouve une communauté d’amour libre où des dizaines de personnes font volontiers le doigt d’honneur aux normes de la société.
Les anciens de la ville israélienne pensent que c’est un mythe, et même les nombreux hippies qui ont migré vers la petite ville de 42 000 habitants à une heure au nord de Tel Aviv ne sont pas sûrs de croire les rumeurs du collectif d’amour établi l’an dernier.
« Ne nous appelez pas un couple », dit Shir Talor, 33 ans, assise avec l’un de ses partenaires. « Appelez-nous des amoureux. »
Roi Frampshes-Givony sourit à Talor en lui témoignant son approbation. Les deux ne voudraient pas utiliser un langage qui exclut Michal Frampshes-Vexler, Aviv Losh, ou les trois autres qui vivent en permanence dans la communauté – ni les nombreux membres de la « famille » poly-amoureuse qui lui rendent fréquemment visite.
Frampshes-Givony explique : « J’ai une relation avec Shir et Michal dans la maison, et d’autres en dehors de la maison. »
Il vit au jour le jour, et ne croit pas qu’il faille se poser des questions à long terme, comme qui restera ensemble ou qui seront des compagnons dans la vieillesse. « Je ne sais pas si je veux vieillir avec elle », dit l’artiste de cirque de 39 ans, en regardant Talor. « Chaque jour, je choisis de nouveau la relation avec elle. Je lui dis que je l’aime. »
Cette insistance à vivre pour le moment se manifeste aussi dans d’autres domaines. Les membres de la communauté ne célèbrent pas la fête de Rosh Hashanah, qui signifie le nouvel an juif, mais plutôt Sof HaShana, ou « fin de l’année ». Alors que les autres Israéliens souhaitent bonne chance à leurs amis, cet équipage dit juste, « que sera sera ».
Une idée brûlante
Talor ne prend pas le chemin prévisible de la plupart des anciens de l’unité 8200 du Corps de renseignement israélien, qui sont souvent à la tête de startups ou donnent des conférences sur la cybersécurité dans des forums internationaux. Au lieu de cela, après 11 ans passés dans l’unité d’élite, son grand projet est d’être la pionnière du poly-amour dans une maison caractérisée par un « espace câlin » suffisamment grand pour que plusieurs personnes puissent avoir des relations intimes.
Elle est convaincue que la société doit devenir plus « pluraliste » en matière de sexe plutôt que de le considérer comme nécessairement lié au mariage, à la procréation et à un caractère exclusif.
« Pour nous, la sexualité n’est pas un but que l’on atteint sur le chemin de quelque chose ou quelque part. C’est un outil, tout comme la conversation ou les jeux de société, pour passer du temps avec une autre personne et construire une intimité. Parfois, la sexualité mène à d’autres choses et parfois non », dit-elle.
Talor est architecte – ou comme elle le dit, une « anarchitecte », c’est-à-dire une « architecte anarchiste » – et utilise ses compétences en design pour cartographier les relations complexes entre plus de 30 personnes du groupe poly-amoureux aux lignes croisées. Elle appelle le diagramme une « polycule » parce qu’il ressemble au plan d’une molécule, mais le réseau est en fait beaucoup plus grand, souligne-t-elle, avec beaucoup plus de relations entre les membres du même sexe et ceux de sexe différent.
Elle dit que le poly-amour est largement désapprouvé en général, mais qu’il suscite des réactions particulièrement négatives en Israël « à cause du lien entre la religion et l’État ».
Les liens qui unissent
Talor partage l’histoire d’une rencontre mignonne dans laquelle une appréciation commune du bondage de style japonais l’a rapprochée de Frampshes-Givony et de leurs partenaires actuels.
« J’ai été dans une relation monogame avec Aviv pendant environ 10 ans », dit Talor. « On s’est rencontrés dans l’armée, et on a décidé d’ouvrir notre relation il y a trois ans. »
Il y a un an et demi, elle était à un festival avec Losh et il « passait du temps » avec quelqu’un d’autre. « Peut-être qu’ils ne faisaient que parler, peut-être qu’ils s’embrassaient, peut-être qu’ils couchaient ensemble, ça n’a pas vraiment d’importance », précise-t-elle.
Elle a repéré Frampshes-Givony, un artiste de cirque, suspendant quelqu’un en shibari, une forme d’art japonais de bondage à la corde. « Je lui ai demandé de me suspendre, et il m’a suspendu à un arbre. Après avoir fini la séance, j’ai dit à Roi que je sentais qu’on avait une forte connexion et il a suggéré qu’on passe la nuit ensemble dans son camion. »
Alors que la nuit « étonnante » touchait à sa fin, la dame du camion est arrivée. Frampshes-Vexler était (et est) le partenaire de Frampshes-Givony. Ils étaient ensemble depuis cinq ans au moment du festival, et partagent le nom de famille Frampshes, qu’ils ont inventé ensemble.
Le couple avait parlé d’ouvrir leur relation dès le début, et c’est arrivé un jour où Frampshes-Vexler est tombée amoureuse de quelqu’un d’autre. Elle l’a dit à Frampshes-Givony, et il a dit que c’était « génial ».
Talor se souvient que Frampshes-Vexler était tout aussi enthousiaste en la trouvant dans le camion.
« Je la connaissais, mais pas très bien », dit Talor. « Elle est entrée dans le camion et n’était pas surprise qu’il y ait quelqu’un, mais elle était surprise que ce soit moi. Sa réaction a été : « Hé bébé, tu ramènes les plus belles femmes. »
« Nous avons passé les quelques heures suivantes ensemble, à parler, à avoir des interactions sexuelles, à faire des câlins et à passer du temps ensemble », dit Talor, ajoutant que ce n’est « qu’un exemple » de la façon dont les membres de leur communauté élargissent leur cercle sexuel – et un exemple « très représentatif ».
Affaires familiales
Tous les membres de la « famille » qu’ils ont construite, qu’ils vivent dans la communauté ou ailleurs, ont le libre choix de leur maison, un grand bâtiment dans lequel personne n’a de chambre. Comme la monogamie, les aménagements conventionnels des maisons sont considérés comme des constructions sociales oppressantes – chaque espace de cette maison est disponible pour que chacun puisse faire n’importe quoi avec n’importe qui.
C’est normalement réservé aux adultes – les résidents n’ont pas d’enfants, bien que « certains de nos amants aient des enfants et parfois ils les amènent à la maison », dit Talor. Lors des visites d’enfants, on évite la nudité et les activités sexuelles.
Les membres de la communauté sont tellement désireux de se définir comme une grande « famille » qu’ils disent « famille biologique » lorsqu’ils parlent de liens de parenté. Lors de la plus grande occasion familiale du calendrier israélien – la première nuit de Pâque, ou nuit du seder – 30 personnes se sont réunies dans la communauté. Tout comme la coterie évite les relations conventionnelles, elle a aussi tendance à rejeter la religion, et a bouleversé la nuit du seder.
Le « Seder » signifie « ordre » en hébreu, car la nuit est basée sur des traditions exécutées dans un arrangement strictement prescrit. La communauté a organisé la « nuit du balagan« , ou « nuit du chaos ».
« Je ne pense pas que la tradition soit mauvaise ; elle doit simplement être ajustée à ce qui vous sert en ce moment », dit Frampshes-Givony. « Donc au lieu que tout le monde aille dans sa famille biologique pour le seder, nous avons la soirée balagan. Nous mangeons des trucs délicieux ensemble, nous faisons des choses qui nous sont agréables, et cette année nous lisons une haggadah [histoire de l’exode] féministe sur la libération de l’humanité du patriarcat.
Hérésie et hédonisme
Le père de Talor a grandi dans l’une des banlieues les plus juives de Londres, Hendon, et a déménagé en Israël après avoir passé des années dans un mouvement de jeunesse sioniste. Mais, comme Frampshes-Givony, Talor ne se considère pas comme juive et rejette le sionisme et l’identité nationale. La plupart des membres de la communauté ont été élevés dans la religion juive, bien que certains soient des non-juifs venus en Israël de l’étranger. Il n’y a pas encore de membres arabophones.
Comme Frampshes-Givony, Talor ne se considère pas comme juive et rejette le sionisme et l’identité nationale
Les membres du groupe croient que leur style de vie est l’un des nombreux tabous à briser, et donnent des conférences pour promouvoir ce message sous la bannière d’un projet éducatif qu’ils appellent la Naked Truth [Vérité Nue].
Ils ne savent pas combien de temps leur communauté va durer ni ce qui pourrait, en fin de compte, la faire éclater – bien qu’ils soient persuadés que la jalousie ne prendra pas le dessus sur eux.
Frampshes-Givony prétend « ne jamais éprouver de jalousie de la façon dont la plupart des gens la définissent », car ce qu’un amant ressent pour quelqu’un d’autre « n’a rien à voir avec ce qu’elle ressent pour moi. »
« Je ne pense pas que vous développiez une immunité contre la jalousie ; ce que vous développez, c’est de meilleurs outils pour communiquer à ce sujet et y faire face », dit Talor.
« Le processus que je suis en train de suivre consiste à apprendre à demander ce dont j’ai besoin, et à ne pas blâmer mon partenaire pour avoir fait quelque chose de mal », dit-elle. « Si je veux une attention particulière de la part de Roi, je suis aussi contrariée s’il est avec un autre amant que s’il est plongé dans son téléphone, à parcourir Facebook. »