Une loi permettant d’expulser les parents de terroristes avance, suscitant un vif débat
Ce texte qui autorise le ministre de l'Intérieur à expulser, sans autre forme de procès, les citoyens encourageant les membres de leur famille à commettre des attentats "n'est pas constitutionnel", a indiqué l'ACRI, le groupe de défense des droits

Les membres de la Commission de la chambre, à la Knesset, ont voté l’avancée – par neuf voix « Pour » et deux voix « Contre » – d’un projet de loi qui autoriserait le gouvernement à expulser les membres des familles de terroristes ayant la nationalité israélienne. Le texte devrait être présenté en séance plénière de la Knesset pour ses deuxième et troisième lectures. S’il remporte l’aval des députés lors de ces deux lectures, il aura force de loi.
Cette législation controversée, qui a été parrainée par le député Hanoch Milwidsky (Likud), accorde au ministre de l’Intérieur le pouvoir d’expulser un parent au premier degré d’un auteur d’attentat s’il a eu connaissance de l’attaque à l’avance et s’il a : a) omis de signaler le projet à la police ou b) « exprimé son soutien à un acte de terrorisme ou s’il s’y est identifié d’une manière ou d’une autre » ou « s’il a écrit des posts faisant l’éloge, encourageant ou faisant part de sa sympathie à l’égard d’un acte terroriste ou d’une organisation terroriste ».
Un projet de loi qui s’applique expressément aux citoyens israéliens – qui conserveraient, malgré tout, leur citoyenneté même après leur expulsion du pays. Il précise qu’après réception d’informations portant sur un individu spécifique, le ministre organisera une audience et que le suspect aura le droit de présenter sa défense à cette occasion. Le ministre disposera alors de 14 jours pour prendre une décision et pour éventuellement signer un ordre d’expulsion.
Le ministère de la Justice et le Bureau de la Procureure générale ont tous les deux fait part de leur inquiétude concernant cette législation qui stipule que les personnes expulsées seront envoyées soit dans la bande de Gaza, soit vers d’autres destinations, en fonction des circonstances. Elles resteront hors des frontières d’Israël pour une durée de 7 à 15 ans pour les citoyens et de 10 à 20 ans pour les résidents légaux.
Alors qu’un représentant du ministère de la Justice a déclaré aux législateurs mardi que le Premier ministre Benjamin Netanyahu n’avait pas encore adopté de positionnement officiel sur ce projet de loi, de nombreux membres de son cabinet se sont prononcés en faveur de ce dernier.
Le ministre sans portefeuille Gideon Saar (Tikva Hadasha), la ministre des Transports Miri Regev (Likud) et le ministre de la Culture et des Sports Miki Zohar (Likud) ont tous soutenu la législation – tout comme cela a été le cas du ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite Itamar Ben Gvir (Otzma Yehudit), qui a déclaré dimanche qu’il « s’attend à ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ainsi que tous les députés du Likud, soutiennent cette loi afin qu’elle soit adoptée ».

Ben Gvir a ensuite publié une déclaration qui a appelé le chef de l’opposition Yair Lapid (Yesh Atid) à voter également en faveur de la loi.
Avant le vote de mardi, Ben Gvir a exhorté les législateurs de la Commission de la Chambre de la Knesset à approuver le projet de loi, même s’il a insisté sur le fait qu’il s’estimait mieux placé pour ordonner les expulsions que ne l’est le ministre de l’Intérieur.
Les tensions ont été vives lorsque les membres de la Commission ont débattu du projet de loi, mardi – le député Ariel Kallner (Likud) affirmant qu’Israël faisait face à un « ennemi intérieur » alors même que le pays est en guerre contre le Hamas et le Hezbollah, à l’étranger. Le député de la faction Raam à majorité arabe, Yasir Hujeirat, a pour sa part accusé les partisans de la législation d’apporter leur appui à « une sanction collective ».
Le débat consacré à la loi a ensuite laissé place à des hurlements. Les huissiers de la Knesset ont été contraints de retenir à plusieurs reprises les législateurs après l’arrivée du député Ofer Cassif, le seul membre juif du parti radical Hadash-Taal, une formation elle aussi à majorité arabe.
Knesset ushers have to physically separate lawmakers Ofir Cassif and Almog Cohen pic.twitter.com/wq5zFF3IkV
— Sam Sokol (@SamuelSokol) October 29, 2024
Alors que Cassif faisait son entrée dans la salle, il a été alpagué par la mère d’un réserviste de l’armée israélienne qui lui a reproché les propos qu’il avait tenus au sujet d’un soldat de Tsahal qui était tombé sur le front dans la matinée.
Lorsque les huissiers ont tenté de les séparer, le député Almog Cohen (Otzma Yehudit) s’est approché de Cassif et il a commencé à crier. La sécurité a dû maîtriser physiquement les deux hommes.
Les députés de droite ont alors commencé à invectiver Cassif, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir le qualifiant de « terroriste ».
Cassif a ensuite pris la parole devant les membres de la Commission, évoquant un « rassemblement de fascistes ». Les législateurs, hurlant, l’ont sommé de quitter les lieux, demandant au président de la coalition Ofir Katz de le faire sortir de la salle.
« Heureusement que vous n’avez pas apporté votre bipeur », a lancé un député, faisant référence à l’explosion de milliers d’appareils de communication qui se trouvaient en possession d’hommes armés du Hezbollah, une attaque dont l’origine a été largement attribuée à l’État juif.

S’adressant au Times of Israel, Oded Feller, le directeur du département juridique de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), a expliqué que le projet de loi était « populiste, tout simplement », faisant remarquer que « sa mise en vigueur au niveau pratique n’est pas clairement établie ». Il a affirmé qu’expulser un citoyen comportait de nombreuses ramifications, des conséquences que les législateurs n’ont pas abordées.
« Le ministre décide [d’expulser quelqu’un]. Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous allez le mettre dans un avion ? Vous allez jeter des gens par-dessus la clôture frontalière, pour qu’ils rejoignent la bande de Gaza ?… Ce n’est absolument pas constitutionnel. S’il y a bien une chose que la citoyenneté garantit, c’est que vous ne serez pas expulsé. »
La loi propose déjà des moyens de prendre en charge les personnes qui encouragent ou qui soutiennent matériellement le terrorisme, a ajouté Feller qui a noté que les personnes qui commettent des crimes doivent être jugées par les tribunaux.
Toutefois, les membres de la Commission ont largement rejeté les inquiétudes suscitées par la perspective de confier le pouvoir d’expulser des citoyens à un ministre et non aux tribunaux, ce qui posera inévitablement des problèmes juridiques.
« Cet outil nous permettra de prévenir de nombreuses attaques terroristes et, à ce titre, je pense qu’il est essentiel », a dit Zeev Elkin (Tikva Hadasha), au Times of Israel, affirmant que le pouvoir, en ce qui concerne la prise en charge des questions relatives à la citoyenneté et aux expulsions, revenait au ministère de l’Intérieur et que le projet de loi était pleinement conforme au droit israélien.

De la même manière, le député Nissim Vaturi (Likud) a rejeté la nécessité d’impliquer les tribunaux, disant que le système judiciaire était plus occupé à « poursuivre les soldats ».
Almog Cohen (Otzma Yehudit) a de son côté insisté sur le fait que la mesure était conforme au droit international et qu’une audience devant le ministre de l’Intérieur serait largement suffisante.
Alors qu’il lui était demandé pourquoi de tels dossiers ne pourraient pas être traités par les tribunaux, Cohen a affirmé que le système judiciaire était « totalement déconnecté de la rue israélienne » et que même « les citoyens arabes et musulmans d’Israël soutiennent, en fin de compte, cette législation parce qu’ils souffrent eux aussi du terrorisme ».