Une militante juive appelle les entreprises américaines à faire don des invendus
Anna Sacks, une jeune New-yorkaise de 28 ans, mène une campagne originale pour récupérer les déchets encore aptes à la consommation et réduire le gaspillage dans sa ville
Anna Sacks passe plusieurs soirées par semaine à fouiller dans les poubelles des rues de New York. Quelle que soit la météo, à la fin de sa tournée de deux heures, son fidèle chariot de course est rempli.
En voyant la jeune femme aux longs cheveux roux, des passants s’approchent parfois d’elle et lui demandent si elle a besoin d’argent ou de nourriture. Elle décline gentiment leurs offres, en leur disant, « Ça va bien, merci ».
Anna Sacks ne fait pas les poubelles parce qu’elle est à la rue ou affamée – mais plutôt parce qu’elle est une « arpenteuse de poubelles » bien déterminée à récupérer des articles encore bons pour la consommation. Son objectif : marquer le coup contre la culture consumériste et contribuer au sauvetage de la planète.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Ces derniers mois, Anna Sacks a reçu l’attention des médias locaux et nationaux pour avoir transformé ses tournées de collecte de poubelles en une campagne dirigée conte CVS, la plus grande chaîne de parapharmacie des États-Unis, qui compte plus de 10 000 boutiques à travers le pays.
Elle a en effet découvert que les boutiques CVS jetaient de très grandes quantités d’articles non déballés et encore utilisables, ce qui l’a poussée à lancer une pétition en ligne #DonateDon’tDump [Donnez, ne jetez pas] sur le site change.org. Il s’agit de faire pression sur l’entreprise pour qu’elle réduise ses déchets et qu’elle donne ses produits non utilisés à des organisations caritatives locales. Jusqu’à présent, la pétition a obtenu 70 % des 500 000 signatures escomptées.
En fouillant les sacs poubelles laissés devant les magasins CVS à Manhattan, la militante a découvert que des produits comme des couches, du maquillage, du dentifrice et des tampons hygiéniques étaient envoyés vers des décharges et des incinérateurs simplement parce que leur emballage extérieur était légèrement abîmé. Des cartes et des articles liés aux fêtes sont aussi jetés parce que les vendeurs veulent faire de la place à d’autres marchandises. De la nourriture finit également à la poubelle pour la simple raison que la date de consommation optimale approche.
« Légalement, seuls les produits pour les enfants doivent présenter une date ‘à consommer de préférence avant le’. Ces dates limites sur tous les autres produits sont indiquées volontairement par les producteurs et donnent souvent seulement des indications sur la qualité d’un produit, et non pas sa sécurité », explique Anne Sacks sur sa page change.org. « Si quelqu’un devait tomber malade à cause de la nourriture donnée, CVS serait protégé de toute responsabilité légale en vertu de la loi Good Samaritan Food Donation Act. En outre, il n’y a pas eu de procès liés aux dons de nourriture, » souligne-t-elle.
Les diverses tentatives d’Anna Sacks pour contacter Larry Merlo, le président et PDG de CVS, sur le sujet se sont soldées par des échecs. Un responsable régional a lui accepté de répondre, expliquant que CVS avait conclu un partenariat national avec les associations de don de nourriture Feeding America et Feed the Children, et que des partenariats locaux seraient établis. Elle doute de la réalité de ces changements et n’a pas observé un impact évident sur le volume des déchets, pourtant encore bons à la consommation, produits par les magasins CVS qu’elle a contrôlés.
« J’ai découvert que ce que je voyais à Manhattan avait également lieu dans des magasins CVS d’autres villes. Ce n’est pas simplement un problème à New York », a-t-elle dénoncé auprès du Times of Israël.
Et ce n’est pas seulement non plus un problème propre à la chaîne. Un jour, la jeune femme de 28 ans a découvert une telle quantité de produits utilisables jetés par une parapharmacie Duane Reade à Manhattan qui fermait ses portes, qu’elle a dû appeler un Uber XL pour transporter l’immense cargaison.
« Ils jetaient tout, notamment des médicaments pour enfants non périmés et non ouverts », déplore-t-elle.
Anna Sacks a contacté le New York Post après avoir repéré des fournitures scolaires toutes neuves et encore emballées – livres, cahiers, classeurs, crayons de couleur, tubes de colle et du papier – jetées par une école publique de la ville de New York. Ironiquement, l’école faisait partie de l’initiative « Zéro déchets scolaires » du service de collecte des ordures de la ville.
Elle a décidé de consacrer son compte Instagram uniquement à ses tournées de collecte de déchets, sur lequel elle publie des photos et des descriptions d’articles qu’elle récupère. Les gens peuvent la contacter au sujet de marchandises qu’ils aimeraient bien récupérer. D’autres articles sont utilisés par la militante elle-même, ou par ses amis et sa famille. Elle donne tout ce qui reste au public, en plaçant les articles devant chez elle, lesquels sont habituellement récupérés par des voisins ou des passants dans les 24 heures.
Anna Sacks a grandi dans le quartier Upper West Side de Manhattan. Elle a étudié à l’école Abraham Joshua Heschel jusqu’en quatrième avant d’aller dans un lycée privé pour filles. Elle a expliqué, qu’à l’origine, elle n’était pas sensible à la question écologique.
« J’avais l’habitude de jeter automatiquement les yaourts le lendemain de leur date de péremption, je buvais dans un gobelet en plastique et le jetais sans même y réfléchir », se souvient-elle.
Les choses ont changé lorsqu’elle a obtenu une licence en langues et cultures de l’Asie de l’Est à l’université de Colombia et après avoir passé six mois à Adamah : une coopérative agricole juive à Falls Village, dans le Connecticut. Après s’être immergée dans l’agriculture biologique et les pratiques de gestion durable de déchets comme le composte, elle est revenue à Manhattan à l’été 2017, où la vue de déchets entassés sur les trottoirs l’a choquée.
« On voit ça partout. Les gens ne pensent pas aux déchets qu’ils produisent ni où ils vont. Vous sortez vos sacs poubelles, et ils disparaissent comme par magie », commente-t-elle. « Les gens ne sont pas impactés financièrement par leurs comportements en matière de déchets, comme ils le seraient pas un robinet qui fuit ou par des lumières restées allumées ».
En s’appuyant sur son expérience limitée de fouille des poubelles pour trouver des vêtements vintage pendant son adolescence, Anna Sacks est passée à l’étape supérieure avec ses tournées des poubelles. Elle a également trouvé un travail chez Think Zero [Penser zéro], une start-up qui donne des conseils pour la réduction des déchets et leur réutilisation.
Elle a parcouru les rues de son quartier d’Upper West Side, notant les jours de la semaine et les moments où différents quartiers ou bâtiments sortent leurs poubelles et les produits recyclés. Elle a mis au point un emploi du temps et un itinéraire à suivre qui commence avec les bâtiments résidentiels où des portiers et des concierges – qui ont remarqué qu’elle était propre et qu’elle refermait ensuite bien les sacs – étaient généralement tolérants envers ses activités.
Elle reconnaît qu’elle a eu besoin de plus de courage pour récupérer les déchets commerciaux, ce qu’elle a commencé à faire en janvier 2019. « Parfois, des employés me criaient dessus, et j’avais peur qu’ils appellent la police », se souvient-elle.
Elle explique que ses activités se situent probablement dans une zone grise juridique et qu’elle pourrait être convoquée ou même arrêtée par la police pour vagabondage ou pour trouble à l’ordre public. Elle pense qu’elle s’en sort plutôt bien avec ses tournées de collecte en grande partie parce qu’elle, une jeune femme blanche soignée, ne semble pas constituer une menace.
« Si je n’étais pas blanche, ce serait différent, je crois bien », confie-t-elle.
Elle indique que l’enseignement sur la Shoah qu’elle a reçu à l’école Heschel lui a appris qu’il n’est pas toujours bien de suivre la loi et l’opinion populaire.
« Peu importe la légalité ou les opinions des autres, ce que je fais est juste, et cela suffit à me motiver. Je n’ai ni honte ni gêne à fouiller les poubelles en public », affirme-t-elle.
Celle qui s’est rendue en Israël à de nombreuses reprises a été impressionnée lors d’une récente visite par un arrêt de bus qui avait été transformé en bibliothèque de prêt de quartier. Elle a été moins satisfaite par le manque de recyclage dans l’État juif, et elle a été en colère quand elle a appris que la population israélienne avait un appétit insatiable pour les couverts jetables en plastique. « Cela va tellement à l’encontre du judaïsme, qui nous enseigne de prendre soin de la terre et à être respectueux de la planète et de toutes les créatures », déplore-t-elle.
« Le gouvernement doit s’impliquer et faire adopter une loi pour imposer aux entreprises de donner les articles utilisables dont elles ne veulent plus. Je pense que nous devrons attendre 5 à 10 ans étant donné l’influence de ces entreprises dans ce pays », commente-t-elle.
En attendant, elle se focalise sur des problèmes plus immédiats : trouver du temps pour trier les tas de marchandises récupérées qu’elle conserve dans différents coins de la maison qu’elle partage avec d’autres membres de sa famille.
« Ils ont été très compréhensifs, mais cela n’a pas été simple pour eux de vivre avec des affaires partout », conclut-elle.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel