USA : Deborah Lipstadt, choisie pour combattre l’antisémitisme, devant les sénateurs
La femme choisie comme envoyée spéciale a semblé jouir d'un soutien bipartisan lors d'une audience tardive, même si certains républicains affichent un certain mécontentement
WASHINGTON (JTA) — Deborah Lipstadt, choisie par le président américain Joe Biden pour devenir envoyée spéciale dans la lutte contre l’antisémitisme, est venue avec deux invitées, deux femmes juives, lors de son audience de confirmation : Une femme dont le rabbin a récemment été pris en otage par un islamiste, et une autre qui avait dissimulé tout ce qui pouvait permettre de l’identifier comme Juive pour se protéger face à des nazis américains.
Et, sous le regard d’Anna Salton Eisen, membre de la congrégation Beth Israel de Colleyville, au Texas, et de Diane D’Costa, récemment diplômée de l’université de Virginie, l’historienne spécialiste de la Shoah très respectée a affirmé que l’antisémitisme, quel que soit son origine, représentait une menace.
« Je suis une adversaire ‘opportuniste’ de l’antisémitisme, je l’appréhende partout où il se montre », a expliqué Lipstadt. « Je pense que pour assumer cette mission, encore faut-il être profondément déterminé à lutter contre la haine anti-juive partout où elle se trouve ».”
Lipstadt est soutenue la majorité Démocrate de la commission et les républicains ont semblé décidés à dépasser la colère qui avait été entraînée par des déclarations passées de l’historienne, des propos défavorables à leur parti. Ce qui signifie que la nomination de la spécialiste du génocide juif pourrait bien être confirmée… quand elle sera présentée au vote. Personne, au Capitole, ne semble savoir quand il pourrait avoir lieu.
Seule exception dans ces soutiens : le sénateur républicain du Wisconsin Ron Johnson, qui avait tenu des propos, l’année dernière, au sujet des émeutiers du Capitole, le 6 janvier – des paroles qui, selon Lipstadt, reflétaient une idéologie propre à « la suprématie blanche ». Johnson a accusé Lipstadt lors de l’audience de faire se propager « un poison pernicieux ».
Les organisations juives non-partisanes, qui ont remarqué la recrudescence récente des faits d’antisémitisme, ont vivement recommandé la nomination de Lipstadt face aux tentatives de certains sénateurs républicains de la bloquer. Même si ces groupes sont habituellement réticents à s’investir dans les procédures de nomination, ils ont réclamé avec force sa désignation suite à la prise d’otages qui est survenue dans une synagogue du Texas en date du 15 janvier.
Le groupe Christians United for Israel, organisation évangélique conservatrice écoutée par de nombreux sénateurs républicains, a également approuvé la nomination de l’historienne.
« Alors que l’audience s’est déroulée aujourd’hui, la Dr. @deborahlipstadt est la bonne personne au bon moment pour occuper le poste d’envoyé spécial à la lutte contre l’#Antisémitisme », a écrit l’organisation dans un tweet, mardi.
Ces pressions semblent avoir payé : Les questions posées par le républicain qui s’est exprimé lors de l’audience, Marco Rubio (Floride), ont été amicales et un autre républicain, Rob Portman (Ohio), a déclaré de manière répétée que Lipstadt était qualifiée pour le poste.
Les deux femmes assises derrière Lipstadt, légèrement à distance – COVID oblige – dans la salle d’audience de la Commission des relations étrangères du sénat ont paru représenter de manière visible l’antisémitisme dénoncé par l’historienne, cette haine anti-juive susceptible d’avoir de multiples origines.
Eisen, ainsi que sa mère centenaire et survivante de la Shoah, fréquente la synagogue où un islamiste de nationalité britannique avait pris un rabbin et trois fidèles en otage sous la menace d’une arme pendant 11 heures à Colleyville, au Texas, le 15 janvier. Les otages étaient parvenus à fuir et l’attaquant avait été tué lors de l’assaut mené par les agents fédéraux. Au moment où se tenait l’audience de Lipstadt, dans le Capitole, dans une autre salle, le rabbin du lieu de culte, Charlie Cytron-Walker, était en train d’intervenir par visioconférence pour réclamer plus de fonds pour assurer la sécurité des synagogues.
D’Costa , pour sa part, était en train d’aller dans sa chambre, au mois d’août 2017, quand des néo-nazis avaient fait leur apparition sur le campus de l’université de Virginie à Charlottesville, scandant : « Les Juifs ne nous remplaceront pas ». Elle a expliqué qu’elle avait alors dissimulé tout ce qui pouvait permettre son identification en tant que juive, comme la hamsa (une amulette en forme de main) qu’elle portait en collier. Le jour suivant, un néo-nazi avait projeté sa voiture dans un groupe de contre-manifestants, tuant une jeune femme et blessant au moins 20 autres personnes pendant un défilé à Charlottesville, en Virginie.
D’Costa et Lipstadt avaient toutes les deux témoigné lors du procès ouvert contre les manifestants néo-nazis de Charlottesville, l’année dernière. Integrity First for America, le groupe qui avait lancé les poursuites, a indiqué dans l’intervalle que le témoignage apporté par Lipstadt montrait qu’elle avait toutes les compétences nécessaires pour prendre le poste.
« Elle a su résister à toutes les tentatives horribles des accusés de normaliser leur extrémisme et ce de manière très efficace », a noté l’organisation dans un communiqué, mardi.
Les démocrates, dans le panel, ont fait remarquer à de multiples reprises que James Risch, républicain de l’Idaho – le membre républicain le plus important de la commission – avait reporté la confirmation de Lipstadt à cause de ses attaques passées contre les républicains.
« C’est une bonne chose de vous voir ici, cela fait un moment qu’on tente de vous faire venir », a commenté Ben Cardin, sénateur démocrate du Maryland et lui-même Juif, à Lipstadt lorsque cette dernière est entrée dans la salle.
« Je suis réellement déçu qu’il ait fallu si longtemps », a dit le sénateur démocrate du New Jersey Robert Menendez au tout début de l’audience.
Risch a reconnu ce retard, disant qu’il avait entendu les « récriminations » et que c’était une opportunité, pour les nominés à des postes qui s’en prennent à des membres de la commission susceptibles de les confirmer un jour à leurs fonctions, « de tirer des leçons » (Johnson est membre de la commission). Risch a toutefois laissé entendre qu’il était disposé à la désigner au poste, sa nomination étant « importante ».
C’est Rubio, président de la sous-commission en charge de l’hémisphère ouest au sein de la commission des Relations étrangères du sénat, qui a principalement posé des questions.
Rubio a fait allusion aux critiques passées de Lipstadt à l’égard des républicains mais sans la rejeter, lui demandant d’expliquer ses paroles. Lipstadt a déclaré avoir appris à ne pas écrire sur Twitter « au milieu de la nuit » et elle a aussi remarqué qu’elle s’était montrée « excessivement critique de membres du parti démocrate » (elle avait accusé, en 2019, la représentante démocrate du Minnesota, Ilhan Omar, d’utiliser le trope sur la « double loyauté »).
Rubio a ensuite interrogé l’historienne sur le récent rapport controversé émis par Amnesty International qui a accusé Israël d’apartheid. Une question qui a donné à Lipstadt l’opportunité de dénoncer à la fois le document et l’utilisation du terme, qui est devenu une ligne rouge pour les communautés pro-israéliennes centristes et de droite.
Johnson, de son côté, a manqué suffisamment l’audience pour établir clairement qu’il s’opposerait à la désignation de Lipstadt, disant qu’elle avait injecté un « poison pernicieux » dans un tweet qu’elle avait publié l’année dernière. Johnson avait dit lors d’un talk-show, au mois de mars dernier, que les émeutiers du 6 janvier, qui avaient cherché à empêcher la confirmation de la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles, blessant 140 policiers au cours d’une insurrection meurtrière, ne représentaient pas une menace et qu’ils « aimaient leur pays ». Lui se serait davantage inquiété, avait-il ajouté, si des manifestants du mouvement Black Lives Matters étaient entrés au Capitole.
« C’est de la suprématie blanche/du nationalisme », avait écrit l’historienne sur Twitter à ce moment-là, reprenant les propos de Johnson dans une publication. « Purement et simplement ».
Lipstadt a déclaré à Johnson, mardi, qu’elle regrettait sa publication et qu’elle s’en était pris à des propos généraux et non à lui personnellement. Il a exprimé ses remerciements à Lipstadt pour ses regrets, notant que Menendez, de son côté, n’avait jamais présenté d’excuses pour une accusation similaire lancée à son encontre dans l’enceinte du sénat américain.
Menendez a conclu l’audience en raillant Johnson pour sa tentative visant à demander aux responsables de taire une évidence.
« Quand vous… décrivez ces gens qui ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier comme des individus qui, dites-vous, ‘respectent l’État de droit’, ‘adorent ce pays’, en ajoutant que vous vous seriez inquiété s’il s’agissait de Black Lives Matters, je trouve personnellement ces propos profondément, très profondément problématiques », a dit Menendez.
Il a noté la menace spécifique posée par certains de ces émeutiers à la communauté juive. « Il faut aussi souligner que les émeutiers, ce jour-là, ont arboré sans honte aucune des symboles nazis », a-t-il continué. « Peut-être le sénateur n’a-t-il pas craint pour sa vie, mais tous les Juifs qui se trouvaient dans le Capitole à ce moment-là ont eu très certainement des raisons d’avoir peur pour la leur ».
Reconnaître l’antisémitisme là où il se trouve est déterminant dans le rôle d’envoyé, a insisté Menendez. « Si vous n’êtes pas en mesure d’identifier un trope ou un préjugé antisémite, comment allez-vous parvenir à assumer une telle fonction ? »
Lipstadt avait été aussi mise en cause, dans le passé, par la gauche américaine critique d’Israël en raison de ses dénonciations d’Omar et d’autres – mais ces mises en cause n’ont pas été évoquées pendant l’audience.
Le sénateur démocrate du Maryland Chris Van Hollen lui a rendu hommage pour avoir su distinguer l’antisémitisme et la critique d’Israël. Dans sa réponse, Lipstadt s’est appropriée la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) qui est rejetée par des politiciens de gauche parce qu’elle considère que certaines critiques d’Israël relèvent de la haine anti-juive.