USA : l’appel au boycott d’Israël fragilise les démocrates face à Trump
22 démocrates sur 47 ont voté contre une loi pour combattre le boycott d'Israël, estimant qu'il violait le droit au boycott économique; 2 élues musulmanes sont ouvertement pro-BDS
Le soutien de deux élues musulmanes démocrates à une campagne de boycott d’Israël fragilise leur parti et ouvre une brèche dans l’alliance historique et inconditionnelle entre les Etats-Unis et l’Etat hébreu.
Ilhan Omar et Rashida Tlaib, membres de l’aile gauche du parti à la Chambre des représentants, ont publiquement appuyé le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) qui appelle au boycottage économique, culturel ou scientifique d’Israël.
Rashida Tlaib, 42 ans et d’origine palestinienne, affirme vouloir attirer l’attention sur « les questions comme le racisme et les violations par Israël des droits humains des Palestiniens ».
Ilhan Omar, 37 ans, fille de réfugiés somaliens et seule parlementaire à porter le foulard islamique, veut rééquilibrer la position américaine qui « donne clairement la priorité » à l’Etat hébreu. Elle dénonce aussi une loi de 2018 définissant Israël comme l' »Etat-nation du peuple juif », comparant la situation des minorités religieuses à celles d’Iran ou d’Arabie saoudite.
Ces déclarations ont provoqué un tollé à la Chambre. Le représentant républicain Lee Zedlin a fustigé « la haine contre Israël et la haine antisémite que l’on commence à voir s’infiltrer dans la politique américaine, jusque dans les allées du Congrès ».
Le groupe républicain a accusé la direction du parti démocrate d’encourager la « rhétorique de haine et d’intolérance envers Israël ».
L’Anti-Defamation League (ADL), principale organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme, a rejeté toute comparaison « entre un Israël démocratique et des théocraties répressives ».
Pour lutter contre le BDS, le Sénat a approuvé la semaine dernière à une large majorité une « loi pour combattre le boycott d’Israël » qui permettra aux autorités publiques de refuser les appels d’offre d’entreprises boycottant l’Etat hébreu.
La loi anti-boycott israélien (Israel Anti-Boycott Act), qui rendrait pénalement répréhensible la participation au boycott d’Israël, et la loi de lutte contre le BDS (Combating BDS Act) qui accorderait des protections fédérales aux Etats mettant en œuvre des législations anti-BDS, ont récemment été adoptées par le Sénat dans le cadre d’un plus grande ensemble de mesures législatives. Elles devraient toutefois être rejetées à leur arrivée devant le Congrès, dorénavant sous contrôle des démocrates.
Les textes anti-BDS rencontrent également l’opposition farouche de l’ACLU (American Civil Liberties Union), du groupe libéral sur le Moyen-Orient J-Street et d’autres organisations progressistes qui s’inquiètent qu’ils ne contreviennent au Premier amendement américain sur la liberté d’expression en élargissant la capacité d’un Etat à faire disparaître un mouvement politique impopulaire.
Mais 22 démocrates (sur 47) ont voté contre le texte, estimant qu’il violait le droit au boycott économique, une forme de liberté d’expression protégée par la Constitution. Et son adoption reste incertaine à la Chambre, à majorité démocrate.
« Grandir »
Même si des responsables démocrates ont pris la défense des élues musulmanes, qui récusent tout antisémitisme, leurs positions fragilisent le parti.
« Il y a clairement une lutte intense au sein du parti démocrate sur la façon de gérer la campagne BDS et ceux qui la soutiennent », explique à l’AFP Alvin Rosenfeld, directeur de l’Institut pour l’Etude de l’antisémitisme contemporain à l’Université d’Indiana. « Si le parti penche vers l’extrême gauche et semble s’éloigner des liens traditionnels de l’Amérique avec l’un de ses plus proches alliés, il le sentira certainement dans les urnes », met-il en garde.
La poussée de l’aile gauche démocrate aux élections de novembre pourrait ainsi rebuter l’électorat modéré, notamment les juifs libéraux, dans l’optique de la présidentielle de 2020.
Selon M. Rosenfeld, les démocrates doivent « montrer qu’ils mènent réellement la lutte contre l’antisémitisme », alors que le président républicain Donald Trump a encore renforcé les liens avec l’Etat hébreu en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël en 2017 puis en transférant l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
Eliot Engel, le président démocrate de la commission des Affaires étrangères de la Chambre dont fait partie Mme Omar, a promis de « ne pas laisser sous le tapis » des déclarations qu’il a qualifiées de « particulièrement blessantes », a affirmé le New York Times. Selon le quotidien, il a espéré que son premier mandat au Congrès – elle a été élue comme Mme Tlaib en novembre – l’aide à « grandir ». La commission s’est réunie mercredi mais M. Engel n’a pas répondu aux demandes d’entretien de l’AFP sur la controverse.
Pour contrer l’influence de l’aile gauche du parti, plusieurs élus démocrates ont créé un groupe pro-Israël au Congrès.
Mais pour Amy Elman, professeure de sciences politiques au Kalamazoo College (Michigan), « les démocrates ne devraient pas se soucier d’où viennent les accusations d’antisémitisme, ce qui compte c’est si elles sont avérées ».