Viol en réunion d’une Britannique par des touristes israéliens : Chypre condamnée par la CEDH
La Cour a estimé que le classement de l'affaire par la justice chypriote après « une série de manquements » dans l'enquête était due à des « préjugés concernant les femmes à Chypre qui ont entravé la protection effective des droits de la requérante »

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné jeudi Chypre pour de « nombreuses défaillances » et des « stéréotypes de genre » dans l’enquête sur un viol collectif dénoncé par une touriste britannique en 2019.
Michael Polak, avocat de la Britannique, a salué « une décision historique pour les victimes de violences sexuelles ».
« Elle renforce le principe fondamental selon lequel les accusations de violences sexuelles doivent faire l’objet d’une enquête approfondie et équitable, sans obstruction institutionnelle », a-t-il souligné auprès de l’AFP.
En juillet 2019, la jeune femme, alors âgée de 18 ans, avait affirmé avoir été violée par un groupe de jeunes Israéliens dans leur chambre d’hôtel de la station balnéaire d’Ayia Napa (sud-est).
Plusieurs Israéliens avaient ensuite été arrêtés, puis libérés après un nouvel interrogatoire de plusieurs heures de la jeune femme lors duquel elle était revenue sur ses déclarations.
Elle avait alors immédiatement été poursuivie pour dénonciation calomnieuse. Jugée coupable de cette infraction en première instance, elle avait été acquittée en appel en janvier 2022, la Cour suprême chypriote relevant que diverses défaillances avaient entaché l’enquête relative au viol dénoncé.
Dans un arrêt publié jeudi, la CEDH, qui siège à Strasbourg, note elle aussi que l’affaire a été marquée par « une série de manquements », notamment l’insuffisance des éléments médico-légaux et des témoignages recueillis.

La cour souligne en outre que les autorités n’ont pas examiné la question du consentement de la jeune femme.
« La crédibilité de l’intéressée semble avoir été appréciée à l’aune de stéréotypes de genre préjudiciables et d’attitudes consistant à rejeter la faute sur la victime », indique la cour.
Ces éléments, ainsi que le fait qu’elle a dû répéter son récit à de nombreuses reprises « atteste d’une re-victimisation », et d’un « défaut des autorités » à adopter une attitude respectueuse envers les victimes.
Pour la Cour, cette affaire « révèle certains préjugés concernant les femmes à Chypre qui ont entravé la protection effective des droits de la requérante en tant que victime de violences basées sur le genre ».
À la lumière de ces « nombreuses défaillances » et « sans exprimer d’avis sur la culpabilité des suspects », la CEDH condamne Chypre pour violation des articles 3 (absence d’enquête effective) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la convention européenne des droits de l’homme.
Chypre doit verser à la requérante 20 000 euros pour dommage moral et 5 000 euros pour frais de justice.

« Nous espérons que la décision de la Cour amènera le procureur général de la République de Chypre à reconsidérer sa décision et à ordonner une enquête en bonne et due forme en faisant appel à des enquêteurs extérieurs », a déclaré Michael Polak, avocat de la Britannique.
Il a ajouté que sa cliente avait « fait preuve d’une immense résilience dans sa quête de justice et nous espérons que ce résultat incitera d’autres personnes à dénoncer de telles infractions et à demander des comptes des autorités ».